L’effort de guerre, une opportunité d’émancipation pour les femmes?

Les femmes travaillant aux champs, les conductrices de tramway en ville, l’augmentation du nombre d’ouvrières dans les usines pour remplacer les hommes mobilisés sont des réalités de la Seconde Guerre mondiale. Mais ces faits sont-ils pour autant des signes de l’évolution de la société et d’une certaine forme d’émancipation des femmes suisses?

Service complémentaire féminin à Zurich, le 1er juin 1940. © RDB
Service complémentaire féminin à Zurich, le 1er juin 1940. © RDB

Dans les chroniques radiophoniques du Service suisse des ondes courtes (SOC), les femmes sont présentées de différentes manières. Parfois, l’image de la femme sert avant tout à promouvoir la paix et l’amour. Dans ce cas, les chroniques ne parlent jamais du quotidien des femmes suisses, celles-ci sont ici uniquement des figures, des emblèmes de la paix et de la charité. Mais il existe d’autres chroniques qui évoquent leur quotidien durant la période de la Seconde Guerre mondiale. C’est principalement de ces chroniques que nous allons parler ici.

Un partage des tâches qui demeure

Pendant le second conflit mondial, les femmes ont plusieurs possibilités pour apporter un soutien à l’armée: s’engager dans le Service complémentaire féminin (SCF) ou se mettre à la disposition de différentes associations féminines, comme la Lessive du soldat dont parle la chronique du jour du 25 septembre 1940. Nous pouvons constater que ce type de travaux de soutien à l’armée et aux soldats mobilisés est fortement valorisé. Ainsi, à leur manière, les femmes suisses participent à l’effort de guerre.

Toutefois, la phrase suivante devrait interpeller le lecteur : « Les Suissesses ont pour devise de ne pas être des femmes habillées en soldat, mais de véritables auxiliaires de notre armée. » Le SOC montre ainsi que même si les femmes apportent une grande aide à l’armée, elles ne doivent en aucun cas être considérées comme des soldats. Elles sont les petites mains invisibles qui travaillent pour le bon fonctionnement de l’armée, et en particulier de son intendance. Ce n’est donc pas ici une révolution qui s’opère: la guerre demeure l’affaire des hommes. Les femmes ne sont là que pour prêter main forte, en accomplissant les tâches qui leur sont d’ordinaire assignées, comme la lessive, la cuisine ou la couture.

Le travail des femmes au service d’un discours patriotique

Au travers de nos recherches, la chronique datant du 13 octobre 1943 nous a paru particulièrement intéressante. Celle-ci remercie les femmes suisses pour tous les services qu’elles ont rendus à la patrie, aussi bien en remplissant leur rôle de mère qu’en assumant de nouvelles tâches pour remplacer les hommes. C’est également ici la première mention qui est faite dans les chroniques mises à notre disposition de la revendication pour le droit de vote féminin qui ne sera octroyé pourtant qu’en 1971. Cette intervention peut donc sembler progressiste pour son époque.

Mais une lecture plus attentive permet de voir que ce n’est pas le travail des femmes qui est valorisé, mais la nécessité de ce travail. Montrer qu’il est impératif de recourir à la main d’œuvre féminine, c’est montrer que la Suisse a aussi souffert de la guerre, qu’elle est dans une condition similaire à celle de ses voisins, quoique moins grave; c’est exprimer à la fois que la Suisse a dû et su faire des sacrifices, mais aussi qu’elle est toujours prête à se défendre. Cette analyse de la chronique peut être appuyée par le fait que son auteur, Peter Dürrenmatt, était un homme politique de droite très conservateur et patriote. Etant donné ses valeurs, son but premier n’était certainement pas de défendre les droits des femmes, mais plutôt de valoriser sa patrie, son pays.

Un retour en arrière à la fin de la guerre

S’il est vrai que de nouvelles tâches accomplies par les femmes pour faire face à la mobilisation des hommes sont mises en valeur dans les chroniques, cette attention poursuit souvent d’autres buts que la défense de leurs droits, comme nous l’avons montré ci-dessus.

Durant la Seconde Guerre mondiale, l’idéologie de la femme au foyer reste encore très fortement ancrée dans les mentalités et pas seulement dans les milieux conservateurs. Preuve en est la presse féministe de l’époque : si elle revendique le droit de vote, elle reste extrêmement traditionaliste pour ce qui est des tâches que les femmes doivent remplir dans la société, valorisant la ménagère ou les professions dites féminines.

Malgré la relative ouverture que représentent l’investissement croissant de cette population dans le marché du travail et l’effort de guerre fourni, ces changements ne s’accompagnent pas automatiquement d’une évolution des mentalités et d’une remise en question des rapports entre les sexes.

Alix Meister

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Chroniques

Dans la deuxième partie de la Chronique du jour du 25 septembre 1940, le journaliste du Service suisse des ondes courtes explique les différentes tâches réalisées par les femmes suisses pour venir en aide à l’armée et aux soldats mobilisés. Il fait également référence au dévouement et à la charité féminine.

La Chronique politique et culturelle du 13 octobre 1943 (disponible en allemand, en anglais et en espagnol) aborde la question du travail féminin en Suisse. Son auteur, Peter Dürrenmatt, parle brièvement de tous les secteurs d’activité, aussi bien le foyer que l’usine ou les services. Il insiste également sur la nécessité de ce travail effectué par les femmes en temps de guerre et sur le fait que la Suisse, elle aussi, n’a pas été totalement épargnée par le conflit.

Annexe

Emilie Gourd, «Aux Chambres fédérales. Questions féministes» [en pdf].

Le Mouvement Féministe, 8 juillet 1944, n° 666.

Audiovisuel

Sujet de Radio Lausanne sur les conductrices de tramways à Lausanne, par le journaliste Marcel Suès, 14 juin 1940 (archives RTS).

Liens

Sur le Service complémentaire féminin (Dictionnaire historique de la Suisse)

Sur la Lessive de guerre (Dictionnaire historique de la Suisse)

Sur Peter Dürrenmatt (Dictionnaire historique de la Suisse)