Guerre des (m)ondes : L’URSS vue par le Service suisse des ondes courtes

Si au début de la Seconde Guerre mondiale les relations économiques et politiques entre la Suisse et l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques sont inexistantes, elles vont évoluer au cours du conflit. Le Service suisse des ondes courtes (SOC) transmet à son auditoire international une vision contrastée de ces relations bilatérales et de l’idéologie communiste elle-même.

Affiche créée en 1944 par l’artiste Hans Erni pour le Comité pour le rétablissement des relations entre la Suisse et l’URSS. © Catalogue collectif suisse des affiches, Bibliothèque nationale suisse.
Affiche créée en 1944 par l’artiste Hans Erni pour le Comité pour le rétablissement des relations entre la Suisse et l’URSS. © Catalogue collectif suisse des affiches, Bibliothèque nationale suisse.

Après la Première Guerre mondiale, toute relation diplomatique officielle entre l’URSS et la Suisse est suspendue malgré la neutralité proclamée par la Confédération helvétique. Le Conseil fédéral rompt avec les autorités soviétiques sous le prétexte de leur prétendue implication dans les événements de la Grève générale de 1918. En 1923, le délégué soviétique Vatzlav Worowski est assassiné à la Conférence de Lausanne par Moritz Conradi, un Suisse de Russie. Cette affaire fait grand bruit en URSS, surtout quand le tribunal vaudois acquitte le coupable, ce qui provoque le boycott commercial de la Suisse par l’URSS. A partir des années 1930, un groupement pour la restauration des relations avec l’URSS est fondé; ses membres proviennent pour la plupart des milieux de l’industrie, mais ils ne parviennent pas à contrebalancer le très fort anticommunisme qui prévaut au sein de la société suisse.

Renouer le dialogue sous l’angle économique

C’est au moment où le Pacte germano-soviétique est signé, le 23 août 1939, que l’on remarque une évolution progressive dans l’attitude du SOC vis-à-vis des relations Suisse-URSS. Les chroniques montrent notamment sous un jour favorable les démarches entreprises pour le rétablissement des contacts économiques. Dans une Chronique du jour du 9 janvier 1941, il est fait mention de relations officieuses entre les deux pays. Le journaliste évoque l’envoi d’une délégation économique suisse à Moscou et la nécessité de telles transactions pour le commerce extérieur helvétique.

Une position schizophrénique 

Paradoxalement, la vision du communisme reste très négative. Les chroniques du SOC peuvent se montrer virulentes à l’égard de l’URSS, n’hésitant pas à la considérer comme une puissance qui cherche à étendre son « hégémonie » sur le monde entier et qui a des revendications incompatibles avec l’honneur et la souveraineté. Ces attaques se retrouvent surtout lors des émissions diffusées entre le 30 novembre 1939 et le 13 mars 1940, dates de la guerre finno-soviétique. Lors de ce conflit, le SOC sort de sa réserve traditionnelle. Par exemple, dans la Chronique politique du 3 janvier 1940, il signale que des sommes importantes sont envoyées à la Croix-Rouge finlandaise comme un hommage « envers l’héroïque Finlande qui lutte pour les plus hautes valeurs spirituelles et verse son sang pour défendre avec ses libertés la cause de l’humanité toute entière ». Un parallèle est tissé entre la Suisse et la Finlande, tous deux des petits pays encerclés par des grandes puissances aux velléités hégémoniques.

Il en va de même pour l’idéologie communiste présente sur le territoire helvétique. En effet, elle est considérée comme un corps étranger qu’il faut combattre. Les différentes démarches pour proscrire le parti communiste suisse , dont l’interdiction sera effective en novembre 1940, et réduire son champ d’action sont annoncées, dans la Chronique politique du 7 août 1940, comme des « œuvres de propreté, de sécurité et de prévoyance politique ».

Entre la politique économique présentée d’un point de vue favorable et l’idéologie communiste vivement décriée, le SOC adopte une position que l’on pourrait qualifier de « schizophrénique ».

Dans la tourmente…

Depuis l’opération Barbarossa, l’URSS devient l’ennemie de l’Allemagne et de ce fait, les chroniques n’évoquent plus les relations entre la Suisse et l’URSS. C’est seulement après Stalingrad, quand l’URSS se profile comme puissance victorieuse, que le SOC relaye de manière positive les efforts de certains parlementaires pour rétablir des relations normales entre les deux pays. Différents pourparlers sont engagés durant l’été et l’automne 1944, mais ceux-ci sont rompus début novembre, l’Union soviétique, via Radio Moscou, refusant de renouer contact avec la Suisse car elle estime que la Confédération a toujours été une alliée d’Hitler. Trois jours plus tard, le 7 novembre 1944, une Chronique du jour reprend le communiqué du Conseil fédéral : «Le reproche de poursuivre une politique hostile à l’URSS ne peut présenter de réalité pour tout observateur impartial directement et complètement informé sur l’attitude de la Suisse, de son gouvernement et de son peuple».

Marek Chojecki et Cristina Eberhard

Bibliographie

Dreyer Dietrich, Schweizer Kreuz und Sowjetstern. Die Beziehungen zweier ungleicher Partner seit 1917, Zurich: Verlag NZZ, 1989.

Pavillon Sophie, L’Ombre rouge. Suisse-URSS 1943-1944. Le débat politique en Suisse, Lausanne: Antipodes, 1999.

Tous les textes du séminaire

Chroniques

La fin de la guerre finno-soviétique est présentée dans la Chronique politique du 13 mars 1940 comme un échec important face à un ennemi de la démocratie. Le chroniqueur n’hésite pas à comparer l’URSS à un pays impérialiste et sans morale. La Suisse, quant à elle, est identifiée à la Finlande: ce sont des petits peuples pacifiques qui cherchent à «vivre en bonne intelligence avec tous [leurs] voisins». La virulence de la chronique face à l’URSS est sans précédent. Pourtant, on remarque que le nom de ce pays et celui de son idéologie ne sont jamais cités.

Durant l’hiver 1939/1940, il n’y a toujours aucun contact commercial entre la Suisse et l’Union Soviétique. Les milieux de l’industrie d’exportation suisses redoutent que l’alliance de l’URSS avec l’Allemagne leur fasse perdre leurs contacts commerciaux avec cette dernière. Le Conseiller fédéral Marcel Pilet-Golaz, responsable du Département politique, se prononce alors pour des discussions d’ordre commercial avec l’URSS, mais contre une entrée en matière diplomatique. La Chronique du jour du 9 janvier 1941 montre une vision positive de l’URSS transmise par le SOC, alors que la situation économique de la Suisse l’exige.

Liens

Sur Marcel Pilet-Golaz
(Dictionnaire historique de la Suisse)

Sur les relations diplomatiques entre la Suisse et l’URSS
(Dictionnaire historique de la Suisse)