Les enjeux politiques de la libération de la France transparaissent dans les Chroniques du jour du Service suisse des ondes courtes (SOC) et révèlent la lutte qui oppose les Alliés et les Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) pour la gestion du territoire jusqu’au terme du conflit mondial.
Le projet du débarquement en Normandie, concerté entre les Alliés, révèle dès sa planification de vifs débats autour de la capitale française. Les forces alliées veulent progresser le plus rapidement possible en direction du bassin de la Ruhr afin de détruire l’industrie allemande, comme l’écrit le général Bradley dans ses mémoires: « La ville (Paris) n’avait plus aucune signification tactique. En dépit de sa gloire historique, Paris ne représentait qu’une tache d’encre sur nos cartes ». Libérer la capitale française ne ferait que ralentir les troupes alliées et demanderait un effort logistique immense afin de ravitailler la ville après le départ des Allemands.
L’écho des ondes courtes
Pour ces différentes raisons, la libération de Paris n’est pas l’objectif immédiat des commandants alliés, qui subissent en revanche la pression exercée par le chef de la France Libre, le Général de Gaulle. Pour celui-ci, la libération de Paris est au contraire absolument prioritaire et doit se faire par une unité française. Les FFI sont entrées dans la capitale le 19 août 1944 et le 23, le Service suisse des ondes courtes (SOC) annonce la libération de Paris en reprenant une information de la BBC. Cette nouvelle anticipe la libération effective qui n’aura lieu en réalité que le 25 août. Les FFI, d’où provient l’information, veulent mettre en avant, par cette manœuvre médiatique, le rôle prépondérant joué par les Français dans la libération de la ville et garantir la place du pays à la table des vainqueurs du conflit. La chronique précise que « sa population s’est soulevée contre les Allemands » et plus loin, « la lutte de quatre jours a opposé 50’000 patriotes armés aux troupes d’occupation allemandes et aux collaborationnistes de Vichy ». Les FFI insistent dans leur communiqué sur la libération de la ville par leurs soins. En effet, l’ombre de l’Allied Military Government of Occupied Territories (AMGOT), section des états-majors alliés, plane sur la France. Charles de Gaulle est convaincu que le seul moyen d’éviter une transition gouvernementale sous l’autorité américano-britannique est d’entrer dans Paris en qualité de chef de la France Libre, avec l’entière adhésion des Français. Pour le futur chef de l’État, c’est à cet instant que se dessine la France de demain.
Sur le plan radiophonique, la BBC, qui avait relayé la proclamation des FFI, se fait remettre à l’ordre par le grand quartier général allié et doit, dès le lendemain, apporter un correctif au communiqué de la veille. Le 24 août 1944, la chronique du SOC souligne à son tour que «Paris n’a pas encore été libéré» et que les FFI ont demandé l’intervention des Alliés. De Gaulle obtiendra toutefois ce qu’il souhaitait afin de préserver sa liberté de manoeuvre en France: c’est une division française, celle du Général Leclerc, qui pénètre la première dans la capitale.
La libération de la France n’a pas suscité uniquement l’enthousiasme perceptible généralement à travers les images d’archives. D’importants désaccords divisent les Alliés et sont dissimulés derrière la simple mention de la chronique du 23 août: « Paris est libéré ».
Baptiste Jaccard et Damien Chenevard
La libération de la France suscite l’enthousiasme des pays alliés depuis un mois. La progression des troupes débarquées en Normandie annonce la fin d’une guerre qui n’a que trop duré. Les combats pour la libération de Paris commencent le 19 août 1944. Cela fait donc quatre jours que les médias n’ont pas de nouvelles de la capitale française et le monde retient son souffle. C’est pourquoi, lorsque la BBC annonce la libération de Paris, cette information est reprise avec empressement par le SOC dans sa Chronique du jour du 23 août 1944.
Suite à l’annonce de la veille, la BBC dans un premier temps, puis le Service des ondes courtes dans un second temps, font un correctif (Chronique du jour du 24 août 1944). La lutte pour Paris reflète la rivalité entre Français et Anglo-saxons pour la gestion du territoire. Après qu’une source française a annoncé de manière anticipée la libération de Paris sans l’aide des Alliés, ceux-ci ont tenu à corriger la nouvelle et souligner que rien ne pouvait se faire sans leur aide.
Audiovisuel
Extrait sonore tiré de Luneau Aurélie, Radio Londres: les voix de la liberté (1940-1944), Paris: Perrin, 2005.