Le SOC et les relations germano-suisses

En novembre 1945, le Service suisse des ondes courtes (SOC) participe à la construction de ce que l’on peut appeler un discours de légitimation au sujet de la politique économique de la Confédération helvétique envers le IIIème Reich, menée pendant la Seconde Guerre mondiale.

Lauchlin Currie, le 17 juillet 1939. Conseiller économique du Président Roosevelt, il représente les Etats-Unis dans le cadre de la délégation alliée qui se rend à Berne du 12 février au 8 mars 1945 pour pousser les autorités suisses à mettre un terme aux relations économiques avec le Reich. © Library of Congress, Prints & Photographs Division, photograph by Harris & Ewing, reproduction number, LC-H22-D- 6999
Lauchlin Currie, le 17 juillet 1939. Conseiller économique du Président Roosevelt, il représente les Etats-Unis dans le cadre de la délégation alliée qui se rend à Berne du 12 février au 8 mars 1945 pour pousser les autorités suisses à mettre un terme aux relations économiques avec le Reich. © Library of Congress, Prints & Photographs Division, photograph by Harris & Ewing, reproduction number, LC-H22-D- 6999

Dans ses prescriptions à l’attention des médias, la Division Presse et Radio (DPR), organe fédéral en charge de la censure, fait figurer la question des relations économiques de la Suisse comme un sujet tabou, à l’exception des déclarations officielles du gouvernement. Malgré cela, à plusieurs reprises, le SOC éclaire son auditoire international sur les circonstances qui poussent la Suisse à traiter avec l’Allemagne. On retrouve ainsi régulièrement des chroniques faisant allusion au manque de matières premières essentielles ou de nourriture qui placent la population suisse en mauvaise posture. Le SOC exprime, de manière certes indirecte, le fait que, sans l’existence d’échanges économiques avec l’Allemagne, la Suisse court à sa perte.

Un bouclier face aux accusations du sénateur Kilgore

En juin 1945, la Suisse se voit critiquée par le sénateur Harley Kilgore, le vice-président de la commission des affaires militaires du Sénat américain. Ce dernier accuse en effet la Suisse d’avoir « saboté » les accords Currie du 8 mars 1945 concernant le blocage des avoirs allemands en Suisse. Il présente copie d’une correspondance entre le vice-président de la Reichsbank Emil Puhl et le ministre allemand des Affaires économiques Walter Funk qui semble indiquer une forme de double jeu de la part des autorités suisses.

La réponse du Conseil fédéral, dont le SOC se fait le porte-voix, est rapide et sans appel. Les Chroniques du jour du 15 et du 16 novembre 1945 font une place importante aux explications et à la défense de la Suisse vis-à-vis de ces attaques. Dans le cadre de la réponse, ou plutôt de cette « riposte », le SOC  joint à l’information officielle donnée par la Berne fédérale une prise de position propre et consacre une partie importante de ces chroniques à ce sujet : «Il faut souhaiter que cette réponse catégorique mettra fin une bonne foi à certaines attaques contre notre petit pays que l’on essaie de discréditer au mépris de toute bonne foi». L’auditoire auquel sont destinées les Chroniques du jour se trouve en dehors des frontières du pays. Le but du SOC est donc de délivrer un message clair au monde sur le fait que la Suisse rejette avec véhémence les accusations du sénateur américain et que l’attitude helvétique a été exemplaire.

Les deux chroniques de la mi-novembre 1945 accordent respectivement 19 et 22 lignes à ce sujet, proportion importante que l’on ne retrouve quasiment jamais sur des sujets économiques. On peut y voir la volonté de la Suisse de défendre sa position ainsi que le rôle de relais que joue le SOC pour la transmission au-delà des frontières d’une image irréprochable de la Confédération.

Le SOC comme acteur diplomatique

Bien que les relations économiques entre la Suisse et l’Allemagne soient un sujet qui doit être traité avec la plus grande prudence, le SOC joue un rôle majeur pour rassurer les milieux économiques et politiques des autres nations. Ce rôle relais se fait durant la guerre en dépit des restrictions imposées par la Division Presse et Radio. Toutefois, ces mesures seront quelque peu assouplies avec la volonté de construire un discours de légitimation vers la fin du conflit mondial, et par la suite. Les commentaires du SOC sur les relations économiques germano-suisses servent dès lors à renforcer le message officiel pour justifier un peu plus le comportement de la Confédération pendant et après la guerre.

Thibault Aegerter et Lionel Varone

Tous les textes du séminaire

Chroniques

Les Chroniques du jour du 15 novembre 1945 et du 16 novembre 1945 se situent après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les éléments importants pour notre réflexion se trouvent à la fin de chacune de ces deux chroniques lorsque le SOC traite des informations relatives à la Suisse. On y trouve en effet un paragraphe au sujet des accusations portées à l’égard de la Confédération, et plus précisément sur sa politique économique avec l’Allemagne. On peut également y lire la réponse de la Suisse à toutes ces attaques et ainsi relever l’importance du Service suisse des ondes courtes comme relais de ces informations au-delà des frontières du pays. La prise de position de la part du SOC, bien que cela soit un sujet confidentiel, montre l’importance de cet événement.

Annexes

1) Le Président de la Délégation suisse, W. Rappard, aux Chefs des Délégations alliées, L. Currie (USA), P. Charguéraud (FR) et D. Foot (GB), 8 mars 1945 (Documents Diplomatiques Suisses).

2) Commission Indépendante d’Experts Suisse – Seconde Guerre Mondiale, La Suisse, le national-socialisme et la Seconde Guerre mondiale. Rapport final 2001-2002, chapitre 4: Relations économiques internationales et transactions financières.

Liens

Sur la Deuxième Guerre mondiale
(Dictionnaire historique de la Suisse)

Sur la Mission Currie
(Dictionnaire historique de la Suisse)