Icônes militaires

En raison du rôle particulier joué par les soldats dans les temps difficiles de la Seconde Guerre mondiale, leur image est fortement influencée par les intérêts et la volonté des autorités et groupes dominants. Quelle est la spécificité des représentations militaires relayées  par le Service suisse des ondes courtes et pourquoi  l’image de la sentinelle est reléguée à l’arrière-plan après la seconde mobilisation générale?

Couverture d'un numéro spécial de la Schweizer Illustrierte, juillet 1938. © RDB
Couverture d’un numéro spécial de la Schweizer Illustrierte, juillet 1938. © RDB

Deux mobilisations générales marquent les débuts de la Seconde Guerre mondiale en Suisse. La première, à la fin août 1939, constitue la réponse des autorités suisses aux tensions que connaît le continent européen, notamment suite aux annexions de divers territoires par l’Allemagne. La seconde est décidée, en mai 1940, en réaction à l’offensive de l’armée allemande en direction de l’ouest. Entre deux s’écoule environ une année durant laquelle le soldat apparaît avant tout comme le défenseur de la nation suisse et des valeurs qui la caractériseraient.

La sentinelle protectrice

Analyser les chroniques du Service suisse des ondes courtes (SOC) de ce début de guerre permet de mettre au jour une volonté de valoriser le soldat et de façonner l’image de la sentinelle : le soldat, armé mais non combattant, qui fait le guet à la frontière du pays. Celle-ci renvoie à l’homme de devoir, bien armé, discipliné et prêt à sacrifier sa vie pour la défense de la nation. Le SOC adopte ici une ligne servant les intérêts des autorités qui souhaitent rassurer la population sans afficher une posture trop agressive vis-à-vis de l’extérieur. On sait qu’en réalité le matériel de l’armée suisse présente de grandes carences. Surévaluer les capacités de l’armée est un moyen de rassurer les Suisses de l’étranger, public prioritairement visé par ces émissions, et à encourager leur engagement. On peut y voir également un complément à la propagande de guerre produite par l’armée elle-même, soit sa volonté de grossir ses capacités défensives aux yeux des gouvernements étrangers.

Une civilisation menacée

A l’image de la sentinelle sont associées les valeurs fondamentales qui caractériseraient la démocratie helvétique: celles de neutralité, de liberté et d’indépendance. La sentinelle ne défend pas seulement une terre, mais les fondements d’une civilisation à laquelle la Suisse appartiendrait. Cela permet de véhiculer l’image d’une démocratie des plus épanouies malgré la mise en place d’un régime de pleins pouvoirs. La chronique du 1er novembre 1939 revient d’ailleurs sur la bonne tenue de votations récentes. Le journaliste souligne la participation des mobilisés au vote, et cela librement et de manière disciplinée : «Sans doute a-t-on pris quelques mesures pour que les luttes politiques ne compromettent pas la discipline et la bonne entente entre les soldats». Cela permet de rapprocher les Suisses de l’étranger en jouant sur leur adhésion à ces mêmes valeurs.

Cette fibre identitaire est également touchée par la mise en avant de l’imbrication entre les sphères civile et militaire. Le soldat suisse est aussi un travailleur et un chef de famille qui doit tout laisser derrière lui pour remplir son devoir. L’auteur de la chronique du 15 septembre 1939 relève ce trait particulier du fonctionnement de la société suisse et ses conséquences. Il constate à la fois le vide laissé par les départs pour le service et l’aide que les soldats peuvent parfois apporter à la population. Le 30 août 1939, le journaliste développe l’idée selon laquelle la Suisse entière est une armée. Le peuple dans son ensemble est sur ses gardes, prêt à se défendre.

Priorité à l’économie

En été 1940 déjà, le Général Guisan juge les risques d’une confrontation armée avec l’Allemagne peu importants et fait valoir les arguments économiques à l’appui d’une hypothétique démobilisation. Les préoccupations d’ordre économique deviennent rapidement dominantes dans l’esprit des autorités et des élites du pays. Des accords ponctuent les négociations avec l’Allemagne et l’Italie et la Suisse s’intègre de plus en plus dans l’espace économique de l’Axe.

L’image du soldat véhiculée par le Service suisse des ondes courtes s’en trouve modifiée. Après la seconde mobilisation, la figure de la sentinelle laisse la place à des chroniques traitant des aides sociales dont jouissent les familles des mobilisés : les caisses de compensation pour perte de gains ou de salaire.

Suivant la tendance impulsée par les autorités, les chroniqueurs soulignent le caractère novateur de cette mesure et insistent sur son efficacité. Ils mettent en exergue l’exceptionnel esprit de solidarité que ce dispositif supposerait de la part de toutes les catégories de la population. Celles-ci se sacrifieraient pour favoriser la cohésion sociale, une rhétorique qui doit marquer la rupture avec la situation très conflictuelle de la société suisse à la fin de la Première Guerre mondiale et qui s’était traduite par la Grève générale de 1918.

Marc Huber

Bibliographie

Jost Hans-Ulrich, Le salaire des neutres: Suisse 1938-1948, Paris: Denoël, 1999.

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Chroniques

La chronique du 30 août 1939 est émise le jour même du vote des pleins pouvoirs au Conseil fédéral. L’Assemblée fédérale tranche en faveur du colonel Guisan pour être nommé général de l’armée suisse. Ce ne sont là que quelques décisions parmi tant d’autres que les autorités suisses prennent pour s’adapter aux tensions entre Etats-nations européens. Cette chronique illustre richement les valeurs auxquelles on voulait associer le soldat et le souhait de le voir unir une population elle-même aux aguets.

La chronique du 14 octobre 1940 fait le point sur le dispositif des caisses de compensation à l’avantage des soldats mobilisés et de leur famille, ce après plusieurs mois d’application. Cette émission prend tout son sens lorsque l’on sait qu’à ce moment-là la France a signé l’armistice. Comme en atteste l’allocution radiodiffusée du Conseil fédéral du 25 juin 1940, les autorités suisses sont avant tout préoccupées par les difficultés économiques et sociales qui s’annoncent.

Annexe

«L’Armée suisse aux frontières», Journal de Genève, 1er août 1941. Cet article signé par le Capitaine Eddy Bauer revient sur deux ans de service actif.

Lien

Sur les aspects militaires de la Seconde Guerre mondiale (Dictionnaire historique de la Suisse)