Quelle place pour le mouvement ouvrier ?

Les chroniques du Service suisse des ondes courtes (SOC) renvoient une image positive de la classe ouvrière et de ses représentants : à travers les ondes, c’est un pays  affranchi de ses conflits sociaux qui se présente sur la scène internationale

Ernst Nobs, le 7 décembre 1949. © RDB/ATP
Ernst Nobs, le 7 décembre 1949. © RDB/ATP

Alors que les années 1920 marquent le renforcement du poids politique du mouvement ouvrier, les années 1930 vont se distinguer par un processus de rapprochement progressif entre les partis bourgeois et le Parti socialiste suisse (PSS). Dès 1927, l’Union syndicale suisse efface de son programme la notion de « lutte de classes» : avec la crise économique qui se déploie les années suivantes, il s’agit bien davantage de lutter contre ses conséquences les plus néfastes que de dépasser le système capitaliste. En 1937, la signature de la paix du travail marque l’apogée de cette forme de réconciliation sociale, la Fédération des ouvriers sur métaux et horlogers renonçant à l’arme de la grève. Parallèlement, le Parti socialiste s’intègre toujours davantage à la démocratie bourgeoise tout en affirmant ses différences avec le Parti communiste.

La Seconde Guerre mondiale prend donc place alors que le nouvel équilibre entre partis politiques tente de s’établir. La façon dont les chroniques du SOC mettent en scène certains événements en lien avec le PSS et la population ouvrière semble révélatrice d’un désir de renvoyer l’image d’un pays qui a su dépasser les différents conflits sociaux.

Ernst Nobs, premier socialiste au Conseil fédéral

L’élection de M. Nobs au Conseil fédéral en 1943 marque un tournant décisif pour la gauche en Suisse. C’est en effet la première fois qu’un socialiste accède au gouvernement.

Au sein des chroniques, cet événement est présenté de manière positive. Cette élection est décrite comme un jour mémorable et marquant pour l’histoire du pays. La  chronique du 18 décembre 1943 insiste particulièrement sur le nouveau climat de collaboration qui va pouvoir être mis en place entre les différents partis par ce biais. Dorénavant, le Parti socialiste suisse se voit distingué des formations extrémistes, comme par exemple le Parti communiste, et devient un acteur avec lequel les partis bourgeois acceptent de coopérer.

La valorisation d’un personnage tel que Ernst Nobs permet à cette chronique de renvoyer une image de la Suisse caractérisée par son climat de cohésion sociale. D’une part, elle présente un pays qui est à l’écoute du peuple: la Suisse intègre les membres du parti qui représente la plus grande part de la population ; elle montre, d’autre part, la capacité du pays à créer une collaboration harmonieuse au sein des partis politiques.

Les chroniques de Charles Frédéric Ducommun

Le mouvement ouvrier n’est pas absent des chroniques. Celles-ci évoquent d’abord comment évoluent les relations entre ouvriers et patronat. Elles exposent ensuite le rôle que jouent les ouvriers au sein de la société en ces temps de guerre en montrant leur participation au maintien de la stabilité économique du pays.

Au-delà d’une simple valeur informative sur la classe ouvrière, les chroniques vont jusqu’à donner la parole à certains de ses représentants. En effet, plusieurs chroniques sont signées par Charles Frédéric Ducommun, Secrétaire adjoint de l’Union syndicale suisse et  l’une des chevilles ouvrières de la section Armée et Foyer. Au sein de ses émissions, il évoque la notion de « corporatisme » et invite à abandonner le principe de « lutte des classes » afin d’évoluer vers une communauté professionnelle. Ducommun insiste sur l’idée d’unité entre ouvriers et patrons et encourage à agir vers une « tâche commune ».

Le SOC ne donne pas ainsi la parole à n’importe quel représentant du mouvement ouvrier. Défenseur d’une vision pacifiée et consensuelle des rapports sociaux, Ducommun incarne une forme de collaboration de classe promue alors par les élites politiques et économiques helvétiques ; pour l’opinion publique internationale, ce visage rassurant du syndicalisme suisse a pour vocation d’étouffer le spectre de la Grève générale de 1918 qui avait conclu la Première Guerre mondiale en Suisse.

Rita Cunha

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Chroniques

L’élection d’Ernst Nobs est longuement présentée dans la Chronique du jour du 18 décembre 1943. Les propos du nouveau conseiller fédéral doivent rassurer quant aux craintes qui pourraient être liées à l’entrée du premier socialiste au gouvernement : Nobs, président de la Ville de Zurich, a démontré ses capacités à la tête d’un exécutif et dans la recherche de consensus avec la bourgeoisie. La chronique souligne par ailleurs le fair play du parti radical zurichois – qui a renoncé au siège qu’il détenait depuis près de 100 ans –… en passant sous silence le succès socialiste aux élections fédérales de l’automne 1943.

Charles-Frédéric Ducommun, Secrétaire adjoint de l’Union syndicale suisse (USS) de 1937 à 1942, intervient à plusieurs reprises au sein des chroniques du SOC, comme dans la Chronique politique et culturelle du 23 mai 1943. C’est un adepte de la communauté professionnelle, une notion intégrée dans le programme de l’USS au milieu des années 1930 mais qui tend à être marginalisée avec le déclin des puissances de l’Axe sur le plan international.

Annexe

Article évoquant l’union entre les ouvriers et les paysans [en pdf].

Kübler Arnold, «Eine verhinderte Allianz. Bauer und Arbeiter», Der Aufstieg, 12 novembre 1943 (avec des photographies de Paul Senn).

Audiovisuel

Récit de l’intégration de multiples ouvriers aux syndicats durant la Seconde Guerre mondiale sous l’impulsion des patrons.

Plans-Fixes, interview de Gabrielle Ethenoz-Damond du 6 octobre 2000.

Liens

Sur Ernst Nobs (Dictionnaire historique de la Suisse)

Sur Charles Frédéric Ducommun (Dictionnaire historique de la Suisse)