Dans l’ouvrage, La Suisse, démocratie-témoin, le sociologue et historien français André Siegfried dresse en 1948 le portrait d’une Suisse à la vie démocratique exemplaire pendant la Seconde Guerre mondiale, image d’Epinal qui perdurera. Malgré les signes d’un fléchissement de la démocratie, le Service des ondes courtes a, par le biais de ses Chroniques politiques, contribué à forger cette image mythique d’une Suisse, îlot démocratique au cœur d’une Europe en guerre.
On peut distinguer trois grandes périodes pendant lesquelles la démocratie a été traitée sous un angle différent par le Service suisse des ondes courtes (SOC), suivant l’avancement de la guerre et la situation des belligérants.
De 1939 à 1940, la Suisse vit une véritable crise et l’intégrité de ses institutions est menacée. Malgré un renforcement des mesures autoritaires, comme l’octroi des pleins pouvoirs au Conseil fédéral le 30 août 1939, le SOC insiste sur le fait que le peuple suisse a toujours le dernier mot sur les grandes questions. Des fissures apparaissent dans le système, mais les chroniqueurs ne relèvent aucune différence majeure avec le fonctionnement d’avant-guerre.
De fin 1940 à 1943, le renforcement autoritaire se poursuit et les critiques portées à la démocratie sur le plan intérieur s’intensifient. Le SOC change alors légèrement de stratégie en matière de communication extérieure sur la vie démocratique helvétique. Les chroniqueurs parlent beaucoup des votations cantonales ou de sujets plus superficiels afin certainement de se détourner du débat moral qui pourrait mettre en doute l’intégrité démocratique de la Suisse et l’adhésion de son peuple à ce régime politique.
De 1943 à 1945, le nombre des chroniques du SOC abordant la thématique démocratique explose. Cette mise en exergue correspond au moment où le vent semble tourner en faveur des Alliés. En diffusant à l’étranger une image exemplaire de la Suisse, le SOC cherche à présenter le pays sous son meilleur jour auprès des futurs vainqueurs et ainsi à lui assurer une place de choix dans le monde d’après-guerre.
L’exemple des pleins pouvoirs
La chronique du 18 septembre 1940 offre un bel exemple de la façon dont le SOC cherche à mettre sous le boisseau le durcissement de la vie démocratique en Suisse. La décision de donner les pleins pouvoirs au gouvernement le 30 août 1939 est présentée comme un acte d’union nationale et une preuve de confiance du peuple envers ses dirigeants. Cette mesure est légitimée par les journalistes à plusieurs reprises en invoquant notamment le facteur temps – les institutions suisses sont lentes, ce qui se révèle problématique en période de guerre – et en rappelant continuellement la surveillance que l’Assemblée fédérale exerce sur le Conseil fédéral durant ses sessions parlementaires. Ainsi, les droits fondamentaux des citoyens suisses ne leur seraient pas ôtés. En réalité, ils ont tout de même perdu de nombreuses occasions de s’exprimer, car l’instrument du référendum est supprimé. Il ne reste au peuple que le droit d’initiative et les votations sur les objets que le Conseil fédéral veut bien lui soumettre. Les chroniques du SOC mettent justement en avant ce droit d’initiative comme étant l’expression ultime de la démocratie, alors que cet instrument est laborieux à utiliser. Elles se font le relais de presque toutes les discussions autour d’initiatives en cours pour montrer que le débat politique national ne s’est pas éteint.
Même dans ce contexte de restriction des droits politiques, le SOC continue à défendre le Conseil fédéral en louant le bon travail effectué dans les intérêts de la sécurité et de la prospérité suisse. Il rappelle qu’en temps de guerre il faut savoir faire confiance au gouvernement.
Un climat d’auto-censure
L’image idéale d’une Suisse bastion de la démocratie a pu émerger en partie grâce au climat d’auto-censure qui règne dans les médias suisses. Cette auto-discipline est particulièrement encouragée pendant la guerre par les instances dirigeantes politiques et militaires. Couplée à la Division Presse et Radio de l’armée chargée de surveiller les médias, une certaine forme de retenue est largement pratiquée par les journalistes et certainement encore plus lorsqu’il s’agit du SOC, ses émissions visant un auditoire international.
Pauline Rumpf et Pascal Vosicki
La chronique du 18 septembre 1940 démontre à quel point les journalistes du SOC tiennent à tout prix à présenter le régime des pleins pouvoirs sous un jour positif.
Dans la Chronique politique et culturelle du 4 mai 1942, le SOC a également a cœur de montrer que le peuple suisse a encore en sa possession le droit à l’initiative et que, par ce biais notamment, le débat d’idées a toujours lieu.
Liens
Sur les pleins pouvoirs (Dictionnaire historique de la Suisse)
Sur l’ouvrage d’André Siegfried, La Suisse démocratie-témoin (La Suisse au miroir du monde, www.miroirdumonde.ch, Université de Fribourg)