Les chroniques face au durcissement de la politique d’asile

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, on estime qu’un peu plus de 80’000 civils, et parmi eux de nombreux Juifs, ont tenté de venir chercher refuge en Suisse. Quels stratagèmes le Service suisse des ondes courtes va-t-il utiliser pour défendre dans ses chroniques une image positive du pays à l’étranger malgré les restrictions en matière de politique d’asile mises en œuvre par le Conseil fédéral?

Enfants réfugiés originaires de Serbie, à Chiasso, le 31 mai 1942. © RDB/Lindroos
Enfants réfugiés originaires de Serbie, à Chiasso, le 31 mai 1942. © RDB/Lindroos

Dès 1938 déjà, la question des réfugiés juifs interpelle les autorités suisses (introduction du « J » sur les passeports allemands), mais au cours de l’été 1942, elle se pose avec encore plus d’acuité. Face aux déportations massives de Juifs vers les pays de l’Est, l’afflux de réfugiés aux frontières suisses s’intensifie. A partir du 13 août 1942, le Conseil fédéral décide de refouler systématiquement les réfugiés qui sont entrés illégalement en Suisse, comme ceux qui fuient leur pays «en raison de leur race».

Une grande prudence

Dans la mesure où le Service suisse des ondes courtes (SOC) est l’un des principaux vecteurs d’information de la Suisse à destination de l’étranger durant la Seconde Guerre mondiale, il joue donc un rôle important dans l’image du pays qu’il diffuse à l’extérieur. Les mesures restrictives à l’égard des réfugiés sont notamment traitées dans les Chroniques politiques du 4 et 25 septembre 1942. Ce sont les premières qui abordent de manière précise la problématique de l’asile.

Ces deux chroniques font explicitement suite aux remous, suscités par la politique restrictive adoptée par les autorités, au sein de l’opinion publique suisse. En effet, de nombreux cercles de la population, telles que des organisations juives, d’aide aux réfugiés ou encore féminines, contestent les mesures prises. Les chroniques cherchent également à parer à d’autres critiques qui pourraient voir le jour sur la scène internationale. Ainsi, c’est l’image du pays à l’extérieur que l’on tente de préserver.

Par ailleurs, les chroniqueurs font preuve d’une grande prudence lorsqu’ils se penchent sur ce problème. Ainsi quand un de ceux-ci évoque le fait que la plupart des réfugiés s’avèrent être des Juifs, cette précision est ensuite tracée dans le tapuscrit et donc, selon toute vraisemblance, pas lue à l’antenne. Une correction – «remords» ou intervention extérieure ? – qui témoigne en tous les cas du caractère sensible d’une question que l’on préfère taire à ce moment-là.

La tradition de l’asile suisse à l’appui

Les chroniques tiennent un discours qui vise à justifier les mesures restrictives prises par les autorités politiques. On tend à les nuancer et à amoindrir leur impact négatif. Pour ce faire, les journalistes font appel de maintes fois au passé altruiste et généreux de la Suisse. La tradition humanitaire du pays est ainsi utilisée comme une sorte de « légitimation des décisions présentes au nom d’une générosité passée », pour reprendre les propos de la Commission indépendante d’experts Suisse-Seconde Guerre mondiale. Le discours est également toujours ramené en fin de chronique à un rappel des tâches charitables et généreuses déjà accomplies. A titre d’exemple, celle du 4 septembre 1942 mentionne les efforts déjà entrepris pour les enfants victimes de la guerre. Les chroniqueurs cherchent toujours à évoquer des aspects plus positifs.

Les réalités économiques du pays mises en avant

Il est également intéressant de noter comment les chroniques abordant la question des réfugiés s’articulent et avec quelles autres thématiques elles sont mises en lien. Le second sujet dont traitent nos deux chroniques porte sur les réalités économiques du pays en tant de guerre. Les difficultés en ce qui concerne le logement, le travail, les prix ou encore la nourriture y sont exposées. Il ne faut pas y voir un pur hasard. Le fait de lier les enjeux économiques à la question des réfugiés dans la même chronique permet en effet de justifier la politique d’asile en vigueur. Ainsi comme le relate la chronique du 25 septembre 1942, dans un contexte économique interne difficile, « la capacité d’accueil de la Suisse n’est pas inépuisable ».

Le durcissement de la politique d’asile que mène le Conseil fédéral est ainsi atténué dans les chroniques. Le SOC tend à prouver que ces restrictions n’entrent pas en contradiction avec l’idéal humanitaire et charitable associé à la Suisse. A ces fins, la tradition d’asile helvétique est évoquée de manière récurrente. Le SOC se rallie ainsi à de nombreux égards au discours officiel du gouvernement helvétique pour justifier les mesures prises. Il se fait en quelque sorte le relais des idées du Conseil fédéral auprès de l’étranger.

Anaïs Jeanmonod

Bibliographie

Commission indépendante d’experts Suisse – Seconde Guerre mondiale, La Suisse et les réfugiés à l’époque du national-socialisme, Berne: OFCL/OCFIM, 1999.

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Chroniques

Destinées aux Suisses d’outre-mer, les Chroniques politiques du 4 septembre 1942 et 25 septembre 1942 fournissent toutes deux des informations sur deux objets distincts: la problématique de la politique suisse en matière d’asile et des questions d’ordre économique concernant les prix et les salaires en Suisse, ainsi que d’autres difficultés internes. Elles tentent notamment par ce biais de proposer une certaine justification aux mesures restrictives prises par les autorités fédérales au cours de l’été 1942 envers les réfugiés.

Annexes

1) Circulaire du 13 août 1942 du Chef de la Division de Police du Département de Justice et Police, H. Rothmund, aux Directions et Commandements de police des Cantons concernant les « mesures contre l’afflux des réfugiés étrangers civils et militaires ».

Documents Diplomatiques Suisses

2) Nombres de réfugiés civils admis en Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale.

Commission indépendante d’experts Suisse – Seconde Guerre mondiale, La Suisse et les réfugiés à l’époque du national-socialisme, Berne: OFCL/OCFIM, 1999, p. 25.

3) Volume 17 de la Commission indépendante d’experts Suisse – Seconde Guerre Mondiale: La Suisse et les réfugiés à l’époque du national-socialisme.

Liens

Sur les réfugiés en Suisse (Dictionnaire historique de la Suisse)

Sur La Suisse, les réfugiés et la Shoah (Documents Diplomatiques Suisses)