Durant la Seconde Guerre mondiale, exporter et importer librement est d’une importance capitale pour la Suisse. Dépendante à la fois des deux groupes belligérants, la question de l’approvisionnement du pays devient un sujet primordial. Les thèmes diffusés sur les ondes courtes varient alors entre chroniques rassurantes sur la capacité autarcique du pays et émissions témoignant des sacrifices de la population suisse.
Avant le conflit, un tiers de la population helvétique travaille dans le secteur de l’industrie d’exportation, soit les produits métalliques et électriques, l’industrie textile et chimique. L’économie suisse dépend également des importations que ce soit pour le charbon, le pétrole et les autres matières premières. La Confédération, confrontée à la nécessité de commercer, souhaite maintenir des liens avec tous ses partenaires. Dès le moment où la Suisse sera presque entièrement encerclée par l’Allemagne et l’Italie, on assiste à une intégration toujours plus importante du pays à l’économie de l’Axe.
Face à cette dépendance, l’un des premiers rôles des ondes courtes consiste à rassurer les auditeurs sur les capacités autarciques du pays. En plus de la nécessité d’informer les Suisses de l’étranger sur le sort de leurs congénères vivant au pays, il est capital de montrer vis-à-vis de l’extérieur une Suisse autonome et tenant son destin entre ses mains.
«L’alimentation de la Suisse est assurée»
Dès l’opération Barbarossa, l’Allemagne ne respecte pas les accords commerciaux signés avec la Suisse et ne livre plus le charbon en quantité suffisante pour l’industrie helvétique. La Chronique politique diffusée le 31 décembre 1941 insiste sur l’incapacité du pays à produire le ciment nécessaire à l’industrie du bâtiment par manque de ce précieux combustible. La pénurie de charbon ne touche pas uniquement le secteur industriel; elle contraint une partie de la population à y renoncer et se chauffer au bois. Les boulangers se retrouvent ainsi contraints d’utiliser du mazout pour pouvoir continuer à exercer leur métier.
Cependant, le gouvernement suisse se veut rassurant. De nombreuses chroniques certifient que « l’alimentation de la Suisse est assurée » grâce à la mise en place d’une économie de guerre réfléchie et efficace. Comme dit précédemment, on peut aisément penser que ce type d’émissions joue un rôle double. Elles doivent permettre de rassurer les Suisses de l’étranger sur les conditions de vie de leurs ressortissants tout en montrant les capacités du pays à résister à toute ingérence extérieure qui mettrait à mal sa neutralité.
Un enjeu diplomatique
La Suisse tente de commercer avec le monde entier. Cependant, les blocus et les pressions importantes qu’exerce une Allemagne maîtresse de l’Europe rendent la balance entre les deux camps toujours plus difficile.
A titre d’exemple, le crédit de clearing avec l’Allemagne du 18 juillet 1941 est conclu alors que les Suisses subissent d’un côté une pression économique de sa part et de l’autre les récriminations de l’Angleterre qui menace d’arrêter la livraison des denrées alimentaires nécessaires au pays.
Dans cette situation complexe, il est crucial de faire comprendre les difficultés de la population au jour le jour. Ainsi, les ondes courtes insistent sur l’esprit de sacrifice des citoyens suisses. En conformité avec les prescriptions du gouvernement en matière d’information, le contenu des traités avec les belligérants est présenté superficiellement et les problèmes d’approvisionnement avec l’Allemagne abordés sans condamner pour autant cette dernière. En montrant un peuple uni et solidaire dans la tourmente, les chroniques du SOC peuvent aussi endosser un rôle plus diplomatique en présentant la situation inconfortable d’une Suisse qui se doit de négocier pour sa survie. Les «sacrifices» de la population sont détaillés plus longuement dans les émissions dédiées aux publics anglophone et francophone.
Ainsi, les chroniques diffusées sur les ondes courtes portent un message à la fois rassurant et de portée diplomatique. Ce double rôle peut alors conduire à des contradictions. Il n’est en effet par rare de voir se succéder des émissions qui vantent la capacité autarcique du pays et d’autres insistant sur la nécessité « vitale » de commercer pour les Suisses. Cependant, dans l’un et l’autre cas, il apparaît très clairement que les ondes courtes cherchent à véhiculer l’image d’une Suisse qui se tient prête à assurer et assumer sa neutralité.
William Yoakim
Bibliographie
Bourgeois Daniel, Business helvétique et troisième Reich: milieux d’affaires, politique étrangère, antisémitisme, Genève: Le Courrier, 1998.
Jost Hans-Ulrich, Le salaire des neutres: Suisse 1938-1948, Paris: Denoël, 1999.
La Chronique du jour du 20 février 1941 parle des capacités autarciques de la Suisse à fournir les besoins alimentaires pour ses habitants. Il est également fait mention du programme d’intensification des cultures. La problématique de l’exploitation de la pomme de terre est abordée plus longuement et permet de voir que la production agricole et l’utilisation des récoltes sont contrôlées. Cette politique est présentée comme une garantie de ne pas succomber à la famine.
La Chronique politique du 21 juillet 1941 fait mention de l’accord économique germano-suisse et de son importance pour l’industrie suisse. Il est aussi question de la baisse du trafic ferroviaire du fait des problèmes d’approvisionnement de charbon. Pour terminer, cette émission fait état d’un supplément de sucre concernant les dispositions liées au rationnement des denrées alimentaires. Le sort des Suisses est présenté comme «très supportable».
Annexes
1) Graphique [en pdf] montrant comment les exportations et les importations suisses se répartissent entre les deux groupes de belligérants et les autres pays.
Jost Hans-Ulrich, Le salaire des neutres: Suisse 1938-1948, Paris: Denoël, 1999, p. 305.
2) Tableau [en pdf] sur les sources d’approvisionnement alimentaire des Suisses. On peut aisément voir la progression de la capacité autarcique de la Suisse durant le conflit et l’évolution des importations.
Jost Hans-Ulrich, Le salaire des neutres: Suisse 1938-1948, Paris: Denoël, 1999, p. 367.
Audiovisuel
«C’était un soir de jour sans viande», chanson de et par Jack Rollan, 4 septembre 1942.
Archives de la Radio Télévision Suisse provenant du CD de Détraz Christine, Le pain de la veille [Ensemble multi-supports]: aspects de la vie quotidienne en Suisse romande durant la guerre 1939-1945, Lausanne: LEP Loisirs et pédagogie et Radio suisse romande, 1994.
Sur le Plan Wahlen (Dictionnaire historique de la Suisse)