Le 8 décembre 1941, le Service suisse des ondes courtes (SOC) émet un bulletin d’information dans lequel est annoncé un événement qui va changer le cours de la Seconde Guerre mondiale : l’attaque japonaise de Pearl Harbour. On verra ici de quelle manière cet événement a été présenté par les médias suisses. Ceux-ci relaient-ils la position officielle américaine d’une attaque surprise ou replacent-ils l’épisode dans le cadre des tensions croissantes qui marquent les relations entre le Japon et les Etats-Unis durant l’année 1941?
La chronique du 8 décembre 1941 est presque exclusivement consacrée à cette nouvelle : elle souligne les conséquences très graves de cet événement tout en réaffirmant le principe de la neutralité intégrale qui oriente la politique helvétique. Synthèse très concise, elle ne parle pas des dégâts engendrés par l’offensive japonaise.
Si les Chroniques du jour se déclinent dans plusieurs langues, elles ne sont pas la traduction exacte l’une de l’autre. La version française précise : « la crise dans le Pacifique s’était dénouée de la façon prévue par les observateurs les moins portés au pessimisme ». Cette formule quelque peu alambiquée laisse entendre que l’extension du conflit aurait été souhaitée par certains; sous la neutralité et la factualité du propos affleure une prise de position, certes euphémisée, qui témoigne d’une forme de soulagement par rapport à cette issue.
La version allemande, quant à elle, souligne – dans un jeu de mot involontaire – que l’attaque de Pearl Harbour n’intervient pas «dans un ciel serein», tout en évoquant une forme d’escalade et de durcissement dans les relations entre les Etats-Unis et le Japon au cours des derniers mois. Si on insiste sur l’échec des démarches «conciliatrices» de Roosevelt, une distance est maintenue vis-à-vis de la condamnation unilatérale de l’«agression nippone», telle qu’on peut la lire dans les communiqués et la version officielle américaines.
Des regards contrastés
Lorsque l’on compare le Service des ondes courtes et la presse, on remarque que le SOC a généralement un temps de réaction plus bref que la presse. Toutefois dans ce cas, et comme on peut le lire dans la Chronique du jour en français, la nouvelle du bombardement a donné lieu à des éditions spéciales des journaux dès l’après-midi du 8 décembre 1941.
La prudence des chroniques du SOC contraste avec le parti-pris de la Gazette de Lausanne que l’on peut lire dans un article en date du 10 décembre : « Mais il reste chez les peuples comme une répulsion instinctive en face d’une brusque agression que rien n’a précédée, qui surprend un adversaire sans défense. Le mouvement panaméricain [l’Amérique latine ayant aussitôt déclaré la guerre au Japon] est-il une revanche de la morale ? » Cet extrait exprime la position pro-américaine tenue par le journal face à cet événement.
En définitive, le SOC est tenu à une très grande prudence dans le traitement de l’actualité internationale. Notre analyse montre toutefois que les Chroniques du jour, bien qu’elles soient beaucoup plus prudentes que la presse quant à tout jugement de valeur, dévoilent parfois un certain point de vue sur l’événement. L’étude de cas montre plus globalement que le SOC se distingue aussi bien de la version partisane de la Gazette de Lausanne que de la version officielle américaine qui juge l’attaque inattendue et couarde.
Giorgia Andreani
La version française de la Chronique du jour du 8 décembre 1941 permet de constater l’importance de l’attaque de Pearl Harbour qui a débouché sur l’entrée en guerre des Etats-Unis. Indépendamment de la relation des faits, le texte montre que l’attaque n’était pas totalement inattendue. On remarque aussi l’absence d’information concernant les dégâts causés par l’attaque.
La version allemande de la Chronique du jour du 8 décembre 1941 n’est pas une traduction littérale de la version française; elle insiste plus sur l’échec des négociations entre l’Amérique et le Japon qui ont précédé l’attaque. Cette chronique resitue ainsi l’épisode dans l’évolution récente des relations politiques et économiques bilatérales dont le Pacifique est le théâtre. Pour l’auteur, et contrairement à la version officielle américaine, les forces américaines n’ont pas été prises par surprise.
Annexes
1) Dans son édition du 9 décembre 1941, la Gazette de Lausanne reprend, par le biais des agences et sans autre commentaire, les déclarations de guerre, respectivement du Japon, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Le message de Roosevelt insiste sur le double jeu du gouvernement japonais qui visait à poursuivre la négociation, tout en préparant activement l’attaque aérienne.
2) Après avoir rendu compte des réactions officielles à l’attaque de Pearl Harbour, la Gazette de Lausanne du 10 décembre 1941 propose son analyse des événements. Le journaliste souligne le spectaculaire revirement de l’opinion publique américaine quant à l’entrée en guerre, en en rendant responsable les conditions qui ont présidé au lancement de l’offensive japonaise.