Deux scientifiques engagés dans la bataille climatique

Faculté des géosciences et de l’environnement

Le sixième rapport du GIEC rassemble les professeurs Julia Steinberger et Samuel Jaccard : elle a collaboré comme autrice principale au troisième volet de ce document, portant sur les solutions pour atténuer le réchauffement climatique (parution avril 2022), et lui au premier volet sorti en août 2021 sur les bases physiques du réchauffement. Rappelons que le deuxième volet (février 2022) porte sur les conséquences de cet inquiétant phénomène. «Nous sommes en plein dedans, y compris en Suisse, où nous connaissons déjà des vagues de chaleur ; nous aurons plus d’épisodes de sécheresse et plus d’intempéries puisque chaque degré de réchauffement accroît la quantité d’eau dans l’atmosphère de 7%», déclare Julia Steinberger.

Félix Imhof © UNIL

Nous aurons plus d’épisodes de sécheresse et plus d’intempéries puisque chaque degré de réchauffement accroît la quantité d’eau dans l’atmosphère de 7%.

Julia Steinberger
Professeure ordinaire, Institut de géographie et durabilité

La cause est connue, comme le rappelle le géologue Samuel Jaccard : «Nous allons chercher le carbone enfoui dans les entrailles de la terre pour l’exploiter et sa combustion dégage des gaz à effet de serre (GES) qui se retrouvent en excès dans notre atmosphère ; sous l’effet du réchauffement, les forêts et les sols composant la biosphère terrestre manquent d’eau, particulièrement dans les régions tropicales, et cela impacte la croissance des plantes, pourtant favorisée par le CO2 mais entravée par ce stress hydrique. En outre, les mécanismes physiques par lesquels les océans absorbent le CO2 sont de plus en plus perturbés à mesure que l’eau se réchauffe, si bien que la proportion des GES dans l’atmosphère va encore augmenter.»

Vers la sobriété énergétique

Que faire pour atténuer le réchauffement ? Julia Steinberger décrit avec précision les possibilités qui s’offrent, sans se prononcer sur la probabilité de leur réalisation. Nous devons atteindre le pic des émissions mondiales de CO2 d’ici 2025 pour redescendre ensuite et parvenir à zéro émission en 2050, ceci pour ne pas dépasser les 1,5°C de réchauffement. Dès lors, il faut financer bien davantage les énergies renouvelables et les infrastructures publiques. «Le nucléaire est un apport parmi d’autres, il est bas carbone, mais lent à déployer et coûteux comparé aux prix actuels des énergies renouvelables», précise-t-elle.

Félix Imhof © UNIL

Les mécanismes physiques par lesquels les océans absorbent le COsont de plus en plus perturbés à mesure que l’eau se réchauffe, si bien que la proportion des GES dans l’atmosphère va encore augmenter.

Samuel Jaccard
Professeur associé, Institut des sciences de la Terre

Pour la première fois, souligne la professeure, le rapport du GIEC s’autorise à dire que la demande énergétique, associée jusqu’ici à la croissance et à la prospérité, peut et doit être infléchie, sans nuire au bien-être social. La notion de «sobriété énergétique» apparaît ainsi dans le résumé destiné aux décideurs. Les nouvelles technologies et un investissement déterminé dans d’autres manières de circuler (transports publics et électrification), d’habiter (logements plus compacts et bâtiments assainis) et de manger (moins de viande) permettront de satisfaire les besoins humains sans surconsommation ni sous-développement. Au passage, elle ne manque pas d’affirmer que «la Suisse a le pire parc automobile d’Europe en termes de grammes de CO2 par kilomètre parcouru».

Une étude sur l’écosystème des fjords au Groenland

La ville elle-même doit s’adapter au réchauffement et aux risques d’inondation en offrant davantage de sols naturels et «un droit à l’ombre», explique Julia Steinberger. «Il faut casser les surfaces dures et végétaliser pour aller vers des villes poreuses.» Elle travaille en ce moment sur un projet de recherche rassemblant des perspectives technologiques, économiques, démocratiques et philosophiques pour dégager les conditions d’un «vivre mieux à l’intérieur des limites planétaires».

Pour sa part, Samuel Jaccard se prépare à partir pour le Groenland dans la région sud du pays, encore peu étudiée et où le réchauffement de l’océan polaire est lourd de menaces, associé qui plus est à la fonte des glaciers, dont certains effets pourraient avoir aussi un impact négatif sur la captation océanique du CO2. Un projet interdisciplinaire et interinstitutionnel financé par le Swiss Polar Institute. – NR