Une juriste analyse la désobéissance civile

Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique

Depuis quelques années, la question de la désobéissance civile monte en puissance, comme le prouvent les interventions publiques des militants et militantes pour le climat, des antispécistes et autres activistes guidés par une urgence à la fois personnelle et collective. Or le droit n’est guère outillé pour appréhender sur le plan général ces actions parfois illégales. Clémence Demay a fait de ces observations son sujet de thèse. «En droit, pour reconnaître un phénomène, il faut une catégorie juridique», explique-t-elle.

La justice s’adresse à des individus et cherche à savoir s’ils ont bien utilisé personnellement tous les moyens démocratiques et légaux à leur disposition avant, par exemple, de bloquer un pont. Difficile, dès lors, de se référer à une action politique globale. La désobéissance civile «fait un appel plus large au droit en soulignant l’inadéquation entre le temps figé de la loi et celui des réalités sociales, qui évoluent de manière plus rapide», précise la spécialiste. Hier encore méconnu, le dérèglement climatique est un phénomène qui s’impose désormais et elle constate à cet égard une évolution des catégories juridiques dans certains jugements concernant des militants du climat. «On est en train d’observer le droit en train de se faire», esquisse-t-elle.

Félix Imhof © UNIL

Les mouvements sociaux utilisent le droit comme un outil de lutte, en invoquant par exemple l’état de nécessité, catégorie qui permet de justifier un acte illicite en cas de danger imminent.

Clémence Demay
Assistante diplômée, Centre de droit public

«Afin de faire reconnaître le besoin de tenir compte de la problématique climatique, les mouvements sociaux utilisent le droit comme un outil de lutte, en invoquant par exemple l’état de nécessité, catégorie qui permet de justifier un acte illicite en cas de danger imminent», souligne-t-elle. Mais «le droit contraint la grammaire de la lutte» car il cherche à protéger les différents intérêts individuels dans une société où aucune liberté n’est absolue et où la notion de commun ou de collectif n’a pas de prééminence.

Conflits entre libertés fondamentales

Les actes de désobéissance civile révèlent de manière criante des conflits entre des libertés fondamentales opposant, par exemple, la liberté de mouvement des automobilistes à celle des personnes qui se réunissent pour publiciser la cause du climat et bloquent une route. En ce sens, «il est important de reconnaître la dimension d’exercice des libertés de celles et ceux qui usent de ce mode d’action», estime-t-elle. Or on constate dans les jugements que la liberté d’autrui prime sur la dimension expressive des activistes en raison de l’illicéité a priori de l’acte. Cela révèle une certaine approche de la liberté des personnes qui serait fixe et infinie, et comme ne pouvant tolérer qu’il faille parfois accepter certains désagréments liés à l’usage des droits démocratiques par d’autres. «Or en démocratie la jouissance de nos droits vient toujours avec des devoirs», pointe-t-elle.

Quelle serait alors la différence entre la désobéissance civile et l’émeute, lui demande-t-on ? «L’action militante respecte le cadre démocratique et se veut non violente», suggère Clémence Demay. Si des actes illicites sont néanmoins commis, ils répondent à des motifs honorables qui dépassent les intérêts particuliers. Elle cite Hannah Arendt, pour qui le moment révolutionnaire qui institue une société démocratique est rejoué dans l’acte de désobéissance civile chaque fois que des mouvements sociaux, au nom du bien commun, de l’égalité, de la justice, confrontent la société pour en réactualiser les lois. – NR