Spécialiste des organisations internationales, Lucile Maertens est une politologue qui utilise des méthodes qualitatives d’inspiration ethnographique. Elle est l’auteure, avec Marieke Louis, de Why International Organizations Hate Politics Depoliticizing the World, paru en 2021 chez Routledge et disponible en open access.
Ce livre se décline sous deux aspects : la manière dont ces organisations contournent et cachent le politique ainsi que les raisons et les conséquences de ces pratiques de dépolitisation. Lucile Maertens cite, parmi les raisons, la nécessité d’accéder plus facilement au terrain d’intervention et, au nombre des conséquences, le déplacement de la responsabilité politique sur un groupe vague qui masque les vrais responsables d’une situation problématique. Deux caractéristiques des organisations internationales apparaissent clairement : leur fonctionnement axé sur des thématiques cloisonnées, et leur pragmatisme, qui à la fois permet et limite l’action.
La spécialiste estime que certains sujets sont transversaux et exigent la collaboration de plusieurs organisations. «Je compte explorer ces prochaines années cette question de la fragmentation au sein du système multilatéral», esquisse-t-elle.
Deux hypothèses à tester à New York, en Haïti et en Colombie
Dans un premier temps, sa nouvelle recherche intitulée «First Things First» veut tester deux hypothèses en lien avec les questions environnementales : d’abord, une résistance à la dépolitisation dans ces organismes utilise le temps et les circonstances non pour «faire oublier certains sujets» (ce qu’on voit dans le livre précité) mais, au contraire, pour continuer à les faire exister ; ensuite, il y a des stratégies pour «maintenir à l’agenda des sujets non prioritaires», par exemple «accélérer les décisions» ou «recadrer ces questions pour les relier aux crises qui captent l’attention du public et des politiques». En l’occurrence celle du Covid, où «la santé de la planète a été associée à la santé humaine» ; par ailleurs, ces hypothèses peuvent concerner la guerre en Ukraine ou d’autres crises. Tout comme elles pourraient s’appliquer à d’autres thématiques que l’environnement, par exemple la protection des enfants ou les droits des femmes.
Ces hypothèses seront testées à travers deux cas d’étude. La spécialiste cite «l’agenda climatique du secrétaire général des Nations unies, António Guterres» : il s’agira d’étudier toutes ses activités et tous ses discours relatifs à la question climatique, depuis son entrée en fonctions en janvier 2017 jusqu’à nos jours. Il s’agira aussi de conduire des entretiens avec son équipe et, si possible, de le rencontrer. La crise Covid a-t-elle impacté leurs discours et leurs actions en faveur de l’environnement, et dans quelle mesure cette problématique a-t-elle pu se maintenir à l’agenda ? Ces questions seront également posées au Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), dont il s’agira d’analyser l’agenda pour le même laps de temps et sur deux terrains en Haïti et en Colombie, où le PNUE soutient des activités de protection de l’environnement. Le long conflit entre le gouvernement colombien et les FARC a par exemple eu des conséquences importantes sur les ressources naturelles du pays.
Le souci d’une pluralisation des savoirs
Le PNUE a-t-il pu continuer durant la focalisation nationale et internationale sur la crise Covid ses actions en faveur de l’environnement dans ces deux pays, et comment ? Lucile Maertens a déjà exploré Haïti dans le cadre de son postdoctorat, dans la continuité de sa thèse qui portait déjà sur le PNUE, mais également sur les Casques bleus qui ont été mandatés par le Conseil de sécurité pour protéger les ressources naturelles dans certaines missions. «J’ai étudié les actions croisées du PNUE et des Casques bleus», résume-t-elle. En comparant les activités du premier dans le domaine de la sécurité (conflits, sécurité humaine, alimentaire, etc.) et celles des seconds en matière d’environnement.
Financée par le FNS, l’étude «First Things First» sera réalisée avec Zoé Cheli, actuellement assistante en Master de la Faculté des GSE, et Luis Rivera-Vélez, postdoctorant en science politique, autrement dit une équipe interdisciplinaire. – NR