Depuis plus de 20 ans, il réfléchit avec ses collègues engagés aux relations entre la science et la société : comment rendre la première plus compréhensible et plus accessible, comment nourrir le dialogue entre les sciences et la culture, comment faire circuler les savoirs dans la société et hors de leurs bulles disciplinaires, comment articuler science, préoccupations démocratiques et connaissances cultivées par des «citoyens experts», comment promouvoir l’innovation sociale par la recherche collaborative et participative ?
Intensifier le dialogue avec la cité
Le sociologue Francesco Panese évoque les jalons qui ont conduit l’UNIL depuis les années 1990 à intensifier ses relations avec la cité à travers des initiatives et des entités nouvelles comme le laboratoire science et société L’éprouvette, La Grange, théâtre fécondé par le dialogue arts et sciences, l’unité de recherche-action le ColLaboratoire, le Musée de la main UNIL-CHUV, le partenariat entre l’Université et divers acteurs culturels (par exemple, le Numerik Games Festival), la collaboration avec la Ville de Lausanne à travers le projet Interact, les Mystères de l’UNIL, le Hub entrepreneuriat et innovation qui soutient la communauté étudiante et plus largement UNIL dans ses projets à impact sociétal et environnemental, ou encore la future Maison des savoirs vivants, un projet porté par la Direction actuelle… «Les rapports science et société participent à une tradition bien ancrée à l’UNIL, dont le dynamisme sur cette question est assez exceptionnel et pionnier en Suisse, sous la houlette notamment du Service culture et médiation scientifique», résume le sociologue.
Développement concomitant des sciences studies
Dans le sillage du philosophe Bruno Latour et d’autres spécialistes notamment états-uniens, hollandais et français, les chercheurs documentent et analysent dès les années 1980 les pratiques scientifiques et la construction des savoirs à travers les études sociales des sciences et des techniques (institutionnalisées par la création du STS Lab à la Faculté des SSP), rappelle Francesco Panese, qui, pour sa part, a étendu ce domaine de recherche et d’enseignement à la médecine. En somme, il fallait faire de la production scientifique elle-même et des rapports entre science et société «un domaine de recherche à part entière des sciences sociales et humaines».
Pour le sociologue, cette dynamique science et société a sans doute compté dans le développement, dès le début des années 2000 et jusqu’à aujourd’hui, de l’enseignement biologie et société initié avec Jacques Dubochet, des enseignements santé publique & sciences humaines et sociales en médecine, et dans la création du Collège des humanités avec les nombreux échanges de cours entre l’UNIL et l’EPFL, autant d’enseignements et de programmes qui contribuent toujours à former des étudiantes et étudiants aux relations entre la recherche scientifique et les enjeux moraux, politiques, économiques et sociaux contemporains.
Un pas de plus s’esquisse aujourd’hui, d’abord en SSP avec un projet de plateforme reliant les besoins en recherches et enquêtes des acteurs publics et ceux des étudiantes et étudiants, qui pourront y puiser pour réaliser leur travail de Master : «Un bon moyen de les mettre en contact très tôt avec des terrains de recherche proches et concrets, avec à la clé une potentielle intégration professionnelle», souligne Francesco Panese.
Patients ou simples citoyens : tous concernés
Pour résumer, il évoque trois types de relations entre science et société :
- la vulgarisation traditionnelle, qui a cependant le défaut de creuser encore le fossé entre supposés «savants» et «ignorants»,
- l’expérimentation, qui permet au contraire aux citoyennes et citoyens de se frotter à la pratique scientifique et à ses enjeux,
- et enfin la participation, une forme de production des connaissances scientifiques qui associe étroitement les scientifiques et les citoyens non scientifiques professionnels.
«Dans mon domaine, par exemple, la recherche participative a émergé dans le contexte du sida avec des patients-experts soucieux de provoquer une prise de conscience et d’accumuler du savoir à partir de leur expérience de cette maladie», explique-t-il. Désormais, «les patientes et patients deviennent partenaires à part entière des soins, de la recherche et du développement, un partenariat exigeant avec les chercheurs et chercheuses, qui conduit aujourd’hui au développement en Suisse romande d’un Laboratoire des patients (IUFRS-UNIL, CHUV et HUG) pour fournir formations et conseils aux scientifiques et aux patients qui souhaitent s’impliquer dans un projet de recherche en partenariat.»
En Suisse particulièrement, la «démocratie scientifique» est essentielle face à des enjeux sur lesquels tous les citoyens sont appelés à se prononcer. «La culture scientifique est un impératif de démocratie directe», conclut le sociologue. On vient de le constater une nouvelle fois avec la crise Covid, qui a placé les scientifiques au cœur d’un dialogue permanent et parfois difficile avec les politiques face à la nécessité d’informer la société civile dans un contexte saturé par la désinformation. – NR