Anaïd Lindemann recourt à des données statistiques et à des entretiens qualitatifs menés avec 27 « expert·e·s de terrain » (responsables d’associations musulmanes et de centres cantonaux d’écoute contre le racisme dans les trois régions linguistiques), en combinant parfois ces deux méthodes. Ce travail de thèse a été réalisé sous la direction du professeur Jörg Stolz.
Accès à l’emploi
Selon des données de l’OFS utilisées dans son premier article (une enquête de 2014 sur un échantillon de 11’000 personnes représentatif de la population résidant en Suisse, donnant de nombreuses indications concernant la religion, la langue et la culture), les personnes s’identifiant comme musulmanes « ont 2,5 fois plus de probabilités d’être au chômage que la population non musulmane, et en particulier celles qui sont diplômées universitaires », relève la chercheuse. Elle avance certaines hypothèses pour expliquer ce dernier résultat contre-intuitif, notamment l’importance du réseau pour obtenir un poste après les études ou encore la reconnaissance des diplômes, la population musulmane étant majoritairement issue de la migration. Cet écart diminue mais persiste lorsque certains facteurs sont pris en compte : « On peut raisonnablement attribuer cette différence face au chômage à de la discrimination, quand les autres facteurs comme la formation, la nationalité, la maîtrise de la langue ou encore l’âge sont contrôlés. » Anaïd Lindemann souligne ici l’existence d’une « zone d’ombre » quant aux mécanismes de discrimination à l’embauche du côté des employeurs.
Perception de la discrimination
Sur le plan du ressenti, la deuxième étude recourt aux mêmes données et compare la perception de la discrimination dans l’accès à l’emploi, la santé, la culture et l’administration entre les personnes musulmanes et d’autres groupes (catholiques / protestants, chrétiens minoritaires tels que les orthodoxes ou les évangéliques, personnes se déclarant sans religion). Dans tous ces domaines, les musulmans s’estiment davantage discriminés que les autres groupes, et ce quel que soit leur niveau socio-économique. Autre résultat important, « la perception de la discrimination est corrélée avec l’identification ethno-religieuse pour la population musulmane. Autrement dit, plus une personne de confession musulmane s’identifie à son groupe ethno-religieux, plus elle se sent discriminée. » Là encore subsiste une interrogation puisque les données ne permettent pas de définir le sens de la corrélation : « Est-ce l’expérience de discriminations qui favorise un rapprochement avec le groupe pour y trouver du soutien ou est-ce que les individus s’identifiant plus fortement sont plus visibles et donc plus discriminés ? »
Problématique du hijab
Le troisième article porte sur le foulard (hijab) et son implication dans l’exclusion sociale des femmes qui le portent (vraisemblablement moins de 20% des musulmanes en Suisse, selon Anaïd Lindemann). Au moyen d’entretiens d’expert·e·s, la chercheuse a identifié la nature qualitativement distincte de la discrimination vécue par ces femmes. Les résultats suggèrent que cette discrimination prend des formes variées (de l’exclusion professionnelle à des cas de violence verbale et physique dans l’espace public) et affecte un large éventail de profils socio-démographiques. Ces femmes sont particulièrement discriminées car elles cumulent les statuts minoritaires : elles sont des femmes, souvent perçues comme étrangères et visibles en tant que minorité religieuse.
Taux de signalement des cas de racisme
Enfin, en combinant des données d’entretiens avec des données d’enquête de population et de registres de signalements de discrimination, Anaïd Lindemann compare les taux de perception du racisme entre personnes juives et musulmanes et la probabilité de signaler les cas. « Les deux populations perçoivent de la discrimination à des taux très similaires, et sous-signalent très largement, mais on voit aussi que les juifs signalent davantage les cas d’antisémitisme », résume-t-elle. Différentes raisons semblent expliquer cette différence, par exemple la mobilisation des ressources organisationnelles (les associations juives s’étant professionnalisées en lien avec l’antisémitisme, contrairement aux associations musulmanes). Certaines associations musulmanes consultées lui ont confié vouloir s’inspirer de l’organisation et de l’expérience des juifs en la matière. – NR