Le Groupe d’étude sur la bande dessinée (GrEBD) a été créé par cinq professeurs de la Faculté des lettres et réunit plusieurs doctorants. Il a pour objectif de promouvoir la recherche sur ce média dans une perspective interdisciplinaire.
L’un des projets actuels, copiloté par Raphaël Baroni à l’UNIL et par Sabine Süsstrunk et Mathieu Salzmann à l’EPFL, traite de la transition numérique de la bande dessinée. Financé par un fonds Sinergia, il part d’un constat : la BD a pour particularité de permettre une saisie à la fois linéaire et globale des séquences dessinées dans l’espace de son support graphique. De ce fait, ce média oppose une résistance au transfert à l’écran, car si le format du support est modifié, l’œuvre est transformée. On peut numériser des albums, mais le passage de la page imprimée à des écrans de formats divers condamne à une navigation ou une reconfiguration graphique qui nuisent à l’immersion et détruisent les effets de mise en page.
Cette recherche vise à comprendre ce problème et à y remédier. Du côté de l’UNIL, on s’intéresse à l’effet des technologies numériques sur les auteurs et les éditeurs, et on cherche à faire l’archéologie des reconfigurations induites par l’apparition de nouveaux formats. Raphaël Baroni rappelle que le passage d’un support à un autre, effectué autrefois sans l’aide de l’informatique, a toujours fait partie de l’histoire du média. Jusque récemment, un même récit était souvent publié en magazine avant d’être repris en album et, parfois, adapté en format de poche ou en CD-ROM. Ces transferts induisaient des reconfigurations et la maîtrise du processus a conditionné le succès (et souvent l’échec) des formats. Dans le cas du passage de l’album aux écrans de nos smartphones, la forme variable des cases articulées dans la page doit ainsi être adaptée au cadre fixe de l’écran et à une lecture en ruban ou case par case.
Identité fragile de ce média
Comme l’explique Raphaël Baroni : « Ce qui est fascinant, du point de vue d’une archéologie des médias, c’est de constater que pour la BD, la transition numérique conduit à réactiver des formes de récit graphique parfois très anciennes, comme les histoires en ruban que l’on peut lire sur la colonne de Trajan ou la tapisserie de Bayeux. On peut aussi penser aux bibles de Tijuana, ces petites BD pornographiques clandestines, qui circulaient de poche en poche entre les années 1920 et 1960. Plus banalement, la lecture case par case remet au goût du jour le format du comics strip,voire celui du flip book. Ce dernier exemple montre aussi que la transition numérique pose la question de l’identité fragile d’un média, qui se rapproche du dessin animé quand la lecture est linéarisée ou enrichie par des animations, des effets sonores, voire du jeu vidéo quand on lui adjoint l’interactivité. »
Pour faciliter les reconfigurations des bandes dessinées analogiques sur nos écrans, l’EPFL développe des algorithmes découpant les objets et estimant leur profondeur, de sorte que l’image puisse être recomposée. Des expériences d’eye tracking visent aussi à mieux comprendre le processus de la lecture des albums. Ces différentes avancées doivent permettre d’assister l’édition numérique et de faire progresser la recherche sur la reconnaissance d’images dessinées.
Pour élargir la question
On lira « Introduction à l’étude des cultures numériques », un ouvrage publié récemment sous la direction de Raphaël Baroni et de Claus Gunti, qui traite de la transition numérique de plusieurs médias, parmi lesquels la bande dessinée.
Baroni Raphaël, Claus Gunti (sous la direction de)
Introduction à l’étude des cultures numériques. La transition numérique des médias
Édition Armand Colin, 2020