Une gypsothèque à l’Anthropole

Statue grecque, moulage en plâtre, acquis suite au 70e Comptoir suisse en 1989, Anthropole, Niveau 4, extrémité sortie Est, installé dans le puits de lumière qui donne sur la cafétéria.
Photo: © Alain Kilar

Les moulages grecs

En plus des répliques égyptiennes, l’Anthropole compte encore d’autres moulages en plâtre: deux statues grecques et une stèle d’Erétrie. Sur l’exemple de l’acquisition en 1976 des autres moulages, les statues grecques ont été héritées à la suite de la 70e édition du Comptoir suisse en 1989, lorsque la Grèce est pour la seconde fois hôte d’honneur de l’événement. Quant à la stèle, l’originale a été découverte en Erétrie par l’Ecole suisse d’archéologie en Grèce, dont le siège est à l’UNIL. Le moulage a été exposé d’abord à Athènes, puis en 2010, à la Skulpturhalle de Bâle, avant de terminer son périple à l’UNIL en 2011.

Le fait qu’une université détienne des moulages et les expose n’est pas surprenant – le fait qu’ils aient été majoritairement acquis via le Comptoir suisse par contre, est assez original -. Dans le courant du XIXe et XXe siècle, en Allemagne d’abord et en France ensuite, une majorité d’universités crée leur collection de moulages dans un but pédagogique en archéologie, en histoire et en histoire de l’art. Bien sûr, les moulages sont déjà utilisés depuis des siècles dans les écoles des Beaux-Arts, ils diffusent les canons esthétiques des différentes époques – particulièrement grecques -, transmettent des connaissances en matière d’archéologie. Le plâtre permet de façon durable et fidèle de représenter n’importe quel volume, ces moulages sont donc des documents précieux. La statue de l’homme grec de l’Anthropole est un bon exemple de cette tradition de la représentation d’un corps masculin, héritée de l’Antiquité et véhiculée par des reproductions.

Statues grecques et stèle d’Erétrie: un aperçu des collections de moulages

Le statut de ces moulages a été largement débattu. D’un côté, on ne percevait dans ces répliques en plâtre qu’une étape, l’objet en lui-même n’était pas considéré comme une œuvre, tandis que de l’autre, on voyait dans la possession de la copie le même prestige que la conservation de l’original. Aujourd’hui, le moulage gagne en autonomie et on trouve, en dehors des universités, des musées spécialisés par le sujet, comme à Bâle. La terminologie utilisée pour les définir est aussi vaste que leur contenu : musée de moulages, musée de Sculpture comparée, galerie des études, cabinet des copies ou encore gypsothèque.

La réalisation de ces reproductions requière une grande compétence, elle est assurée par des ateliers où travaillent des artisans mouleurs-statuaires. Ces spécialistes doivent faire preuve d’un grand savoir-faire lors de toutes les étapes d’élaboration de la copie : la manutention de l’œuvre originale, sa protection par un produit adapté à sa matière, la relève d’empreintes, la réalisation de moules (plusieurs moules assemblés pour répliquer une sculpture), le moulage et le démoulage.

Leurs techniques évoluent au fil du temps, la plus répandue était d’abord celle des moules en terre – qui nécessitaient ensuite un grand travail de reprise sur le moulage pour le nettoyer des résidus – puis celle en gélatine, en silicone (utilisation répandue aujourd’hui), et dernièrement, la prise d’empreintes numériques. L’atelier collabore ensuite avec des experts en patine qui travaillent à donner au plâtre l’aspect d’une matière différente comme le bronze, le marbre ou la terre cuite.

L’UNIL possède, certes, un nombre minime de moulages (certaines universités en comptent des milliers), acquis dans un but décoratif – et non pas lié à une intention pédagogique comme c’était le cas dans les universités un siècle auparavant – mais, déjà avec une quinzaine de reproductions exposées dans l’Anthropole, nous pouvons comprendre l’intérêt de ces objets qui permettent la diffusion, le rapprochement, et la confrontation de pièces séparées à l’origine par de nombreux siècles.

Lorena Ehrbar, assistante-étudiante en archives

Les bas-reliefs du «mammisi» de Dendera

Les bas-reliefs du «mammisi» de Dendera

Les deux bas-reliefs sont des copies de scènes gravées sur les parois extérieures du mammisi romain de Dendera, site qui se trouve à environ 75 km au nord de la ville de Louqsor où est situé un temple important consacré à la déesse Hathor. Outre le temple principal, on y trouve un sanctuaire de dimensions modestes destiné à la célébration de la naissance du dieu Ihy, né de l’union d’Hathor avec le dieu Horus. À la suite de Jean-François Champollion, les égyptologues nomment ce type de monuments « mammisi » (litt. « lieu de naissance », terme dérivé du copte).

L’Égypte devient une province de l’empire romain en 30 av. notre ère, suite à la victoire d’Octavien – le futur empereur Auguste – sur Cléopâtre VII. L’empereur prend alors le statut de Pharaon en Egypte, et est représenté comme tel dans les temples locaux. C’est ainsi le cas de l’empereur romain Trajan (empereur de 98 à 117 de notre ère), qui est représenté dans ces scènes en train de faire des offrandes à des divinités égyptiennes.

Dans le relief à gauche des escaliers du niveau 2 de l’Anthropole, le Pharaon offre un signe représentant le soleil à l’horizon à la déesse Hathor, reconnaissable par sa coiffure composée de cornes de vache qui entourent un disque solaire. Elle est suivie par son compagnon, le dieu Horus à tête de faucon, portant un disque solaire sur la tête. Dans le second relief, à droite, le Pharaon offre cette fois un collier à la déesse Hathor qui allaite le dieu enfant Ihy. Derrière elle, Ihy est représenté une seconde fois avec une cape.

L’un des rôles du Pharaon en Egypte ancienne était d’effectuer les offrandes aux dieux afin que ceux-ci, en échange, l’aident pour le maintien de l’ordre et de la prospérité dans le pays. C’est le sens de ces scènes qui ornent désormais les couloirs de l’Anthropole.

Giuseppina Lenzo, Maître d’enseignement et de recherche,
Institut d’archéologie et des sciences de l’Antiquité

76 mètres et 80 kg de peinture

76 mètres et 80 kg de peinture
Rouleau, Mélisse Lebon et Renée Paule Danthine, couloir entre l’Anthropole et l’Internef. Photo: Faculté des lettres © UNIL

Réalisation de Renée-Paule Danthine et Mélisse Lebon

6 mètres de long et 3 mètres de haut, c’est la surface du couloir qui relie l’Internef et l’Anthropole (ancien BFSH 1 et 2), sur laquelle plusieurs artistes ont été invités à travailler au fil des ans. Au printemps 1989 d’abord, l’Université collabore avec l’ECAL. Le projet réalisé par ses étudiants se compose de volumes en carton peint fixés le long du couloir. Cette réalisation est accueillie à bras ouvert par l’ensemble du campus qui voit enfin l’austérité de ce couloir s’atténuer. Quelques mois plus tard, l’œuvre se détériore et disparaît.

Un concours est ensuite lancé par le Rectorat au début de l’année 1993. Anonyme, il s’adresse aux amateurs comme aux artistes confirmés. Le magazine de l’UNIL, Uniscope, se charge de diffuser l’annonce du concours et y révèle le gain : 1000.- pour le projet choisi auquel s’ajoute 4000.- pour les frais de réalisation, plus deux fois 500.- à titre de consolation pour des autres projets. Alléchante et motivante pour certains (36 projets sont envoyés au jury), cette dépense est vue par d’autres comme tout à fait indécente. Un professeur de la Faculté des lettres publie une lettre ouverte dans l’Uniscope (n°171, 27 avril – 3 mai 1993) dans laquelle il propose de renoncer à ce concours artistique – par l’habile slogan « Sauvez les livres, pas le béton » – et de placer cette somme à la BCU qui en aurait grandement besoin pour combler un certain nombre de restrictions budgétaires. Malgré cet avis, le concours et la somme sont maintenus, le projet primé, « Rouleau » d’Elvira et Edwige Dale, est réalisé durant l’été pour être inauguré à la rentrée universitaire. Après presque 25 ans d’exposition, la qualité de leur création est démontrée par l’état de conservation de l’œuvre, exposée à de nombreux passages, qui est optimal.

Lors de la prise de contact avec ces vainqueurs, le Rectorat découvre alors que derrière ces identités se cachent deux artistes confirmées: Mélisse Lebon et Renée Paule Danthine (femme de Jean-Pierre Danthine, ancien recteur). L’important dans cette réalisation selon les artistes, c’est le rythme et la spontanéité et non pas la recherche conceptuelle ou introspective présente habituellement dans les œuvres de ces dernières. Chaque jour pendant plusieurs mois, ces artistes viennent peindre, côte-à-côte. La composition est libre, les formes naissent en réaction à la touche de l’une ou de l’autre des plasticiennes et ne se calquent pas sur une composition préconçue.

Par l’usage de pseudonymes, les artistes se sont écartées d’un jugement préférentiel – conscient ou inconscient – auquel elles auraient peut-être été soumises et s’alignent face aux autres concurrents. Elles s’en distinguent ensuite par la pertinence de leur projet qui s’impose par la force de la composition qui rythme les 76 mètres du couloir grâce à la variété de l’agencement des formes qui s’entremêlent et se dissolvent, et de la palette chromatique (80kg de peinture !), qui permet à celui qui emprunte ce couloir d’être, pendant quelques minutes, emporté dans cet élan artistique.

Lorena Ehrbar, assistante-étudiante en archives

Un témoin de l’UNIL du XIXe siècle

Un témoin de l’UNIL du XIXe siècle

Obélisque d’Albert de Haller

Johann-Jakob Biedermann, Vüe de la Vill de Lausanne, 1812-1813, estampe, eau-forte, aquarelle, crayon, gomme arabique, 45,5 x 63,5 cm,  Musée historique de la ville de Lausanne

Une valeur historique et culturelle considérable se cache derrière cet obélisque aux modestes apparences, certes caché dans le bois de Dorigny, mais dominant néanmoins l’ensemble du site grâce à son positionnement qui surplombe l’Unithèque et les autres bâtiments universitaires. Ce monument porte la mémoire de deux familles importantes pour le développement du domaine de Dorigny et de l’Académie de Lausanne, devenue Université. Il s’agit de la famille de Loys et celle de Haller, réunie en 1816 par le mariage d’Emilie von Haller et d’un membre de la famille seigneuriale, événement pour lequel l’obélisque est aménagé (déplacé ou bâti) sur la colline de Dorigny.

C’est dans la seconde moitié du XVIIe siècle qu’une partie de la famille de Loys, propriétaire du domaine, s’installe aux alentours de la Chamberonne. Elle y fait notamment construire des infrastructures pour l’agriculture ; au fil des ans, la fonction du domaine devient principalement celle d’habitation. On note alors la construction du château et le maintien de granges. Au cours du XXe siècle, la famille de Loys se désintéresse peu à peu de ce domaine, il le loue à des particuliers jusqu’à ce que le Conseil d’Etat l’achète en 1963. Site olympique ou aéroport international, les possibilités qu’offre ce large site alors très convoité sont vastes, la décision finale le destine à abriter les bâtiments de l’Université.

Une précieuse documentation iconographique (plans cadastraux, cartes, gravures, peintures) est disponible aujourd’hui pour comprendre et illustrer le développement de la campagne de Dorigny. Cependant, l’appréhension de ces images doit se faire avec précaution, à travers les peintures et gravures, on observe des œuvres représentant des paysages reconstruits, pas nécessairement fidèles d’un point de vue topographique.

Monument à Albert de Haller, XIXe siècle, obélisque, pierre, bois de Dorigny. Photo: Stramatakis © UNIL

L’artiste agence les éléments comme il le souhaite, ou comme il lui semble le plus juste selon ses critères, s’écartant parfois d’un rendu exact de la nature qui l’entoure. Il est donc difficile de retrouver le point de vue exact duquel l’artiste aurait représenté la vue qui s’offre à lui. Il est cependant intéressant d’essayer de s’en approcher en scrutant les estampes de Johan-Jakob Biedermann par exemple.

Rescapé du temps et témoin des transformations du paysage qui l’entoure, l’obélisque en pierre de presque 3 mètres de haut, sans aucune indication de datation, est relativement simple. Deux légendes – une en latin et une en français – sont inscrites sur deux de ses côtés: ALBERTO HALLER FILIUS EMANUEL et A ALBERT HALLER SON FILS EMANUEL. Nous pouvons en déduire que cet obélisque a été commandé dans le courant du XIXe siècle par le fils d’Albert, Emanuel-Rodolphe Haller, hypothèse affirmée par Marcel Grandjean, historien du patrimoine architectural de la suisse. Plusieurs études mentionnent l’obélisque, l’une d’entre elles (Arthur Weese, Dis Bildnisse Albrecht von Hallers, Berne, 1909) considère Emilie Haller, fille de Rodolphe-Emanuel comme commanditaire, et non héritière de la pièce.

Dans un cas comme dans l’autre, c’est la volonté d’honorer leur aïeul qui apparait. Albert von Haller marque le XVIIIe siècle par la multiplicité des domaines dans lesquels il diffuse ses connaissances. Diplômé en médecine, il enseigne à l’Université de Goettingue, il publie également des poèmes, devient vice-gouverneur au château d’Aigle, directeur des salines de Roche, et publie différents ouvrages sur les plantes suisses. Albert von Haller est une référence aussi pour l’Académie qui le cite comme protecteur et mécène, il participe en 1757 à l’élaboration du Règlement de la Schola lausoniensis.

Lorena Ehrbar, assistante-étudiante en archives