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Préambule
Page 1HubertLes travaux [1] que nous présentons aux lecteurs de l’Année sociologique [2] ont avant tout, pour objet d’introduire un certain nombre de notions définies dans l’étude des phénomènes religieux. Jusqu’à présent, l’histoire des religions a vécu sur un bagage d’idées indécises. Elle est déjà riche de faits authentiques et instructifs, qui fourniront, un jour, une abondante matière à la science des religions [3]. Mais ces faits sont classés au hasard, sous des rubriques imprécises ; souvent même, leur description est gâtée par les vices du vocabulaire. Les mots de religion et de magie, de prière et d’incantation, de sacrifice et d’offrandes, de mythe et de légende, de dieu et d’esprit, etc. sont employés indifféremment les uns pour les autres. La science des religions n’a pas encore de nomenclature scientifique. Elle a tout bénéfice à commencer par en arrêter une. Notre ambition d’ailleurs n’est pas seulement de définir des mots, mais de constituer des classes naturelles de faits et, une fois ces classes constituées, d’en tenter une anaPage 2lyse aussi explicative que possible. Ces définitions et ces explications nous donneront des notions scientifiques, c’est-à-dire des idées claires sur les choses et leurs rapports.
Nous avons déjà, dans cet esprit, étudié le sacrifice. Nous l’avions choisi comme objet de notre étude parce que, entre tous les actes religieux, il nous semblait être un des plus typiques. Il s’agissait d’en expliquer le mécanisme et, de plus, la multiplicité apparente des fonctions auxquelles, le rite une fois donné, on le faisait servir ; de justifier, en somme, l’importance de la place qu’il tient dans l’ensemble du système religieux.
Ce premier problème en faisait surgir d’autres auxquels nous arrivons aujourd’hui. Nous nous sommes rendu compte, en étudiant le sacrifice, de ce qu’était un rite. Son universalité, sa constance, la logique de son développement lui ont donné, à nos yeux, une sorte de nécessité, très supérieure à l’autorité de la convention légale qui semblait suffire à en imposer l’observance. Par là déjà, le sacrifice et, par extension, les rites en général, nous ont paru profondément enracinés dans la vie sociale. D’autre part, le mécanisme du sacrifice ne s’expliquait, selon nous que par une application logique de la notion de sacré ; nous supposions qu’elle nous était accordée et nous en faisons notre point de départ ; nous affirmions, en outre, dans notre conclusion, que les choses sacrées, mises en jeu par le sacrifice, n’étaient pas un système d’illusions propagées, mais que c’étaient des choses sociales, partant, réelles. Nous avions constaté enfin que les choses sacrées étaient considérées comme une source inépuisable de forces, capables de produire des effets infiniment spéciaux et infiniment variés. Dans la mesure où nous pouvons voir dans le sacrifice un rite suffisamment représentatif de tous les autres, nous arrivions à cette conclusion générale que la notion fondamentale de tout rituel, celle dont l’analyse devait être le terme de notre enquête, était la notion de sacré.
Mais cette première généralisation était boiteuse, parce que nous la tirions de l’étude d’un fait trop singulier, que nous n’avions pas assez dépouillé de ses caractéristiques différentielles. Nous l’avions considéré exclusivement comme un rite religieux et non pas simplement comme un rite. Notre induction ne vaut-elle donc que pour les rites religieux, de la qualité religieuse desquels elle dépendrait ? ou peut-on l’étendre à toute espèce de rites, qu’ils soient religieux ou non ? Mais Page 3d’abord, y-a-t-il d’autres rites que les rites religieux ? On l’admet implicitement puisqu’on parle couramment de rites magiques. La magie comprend, en effet, tout un ensemble de pratiques qu’on s’accorde pour comparer à celles de la religion. S’il y a quelque part des rites autres que ceux qui sont nommément religieux, c’est bien là.
Pour vérifier et élargir les conclusions de notre travail, nous avons donc été amenés à faire de la magie l’objet de notre seconde étude. Si nous arrivons à retrouver à la base de la magie des notions apparentées à la notion de sacré, nous serons en droit d’étendre à toute espèce de techniques mystiques et traditionnelles, ce qui aura été démontré vrai pour le sacrifice. Car les rites magiques sont précisément ceux qui, au premier abord, semblent faire intervenir le moins de puissance sacrée. On conçoit tout l’intérêt de cette recherche qui doit nous conduire vers une théorie du rite en général. Mais là ne se borne pas notre ambition. Nous nous acheminons en même temps vers une théorie de la notion de sacré ; car, si, dans la magie, nous voyons fonctionner des notions de même ordre, nous aurons une tout autre idée de sa portée, de sa généralité et aussi de son origine.
Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Nous soulevons en même temps une difficulté grave et c’est une des raisons qui nous a conduits à ce travail. Nous avons dit autrefois que la notion de sacré était une notion sociale, c’est-à-dire un produit de l’activité collective ; d’ailleurs, la prohibition ou la prescription de certaines choses paraissent bien être, en effet, le fruit d’une sorte d’entente. Nous devrions donc conclure que les pratiques magiques, issues de cette notion ou d’une notion semblable, sont des faits sociaux au même titre que les rites religieux. Mais ce n’est pas sous cet aspect que se présentent normalement les rites magiques. Pratiqués par des individus isolés du groupe social, agissant dans leur intérêt propre ou dans celui d’autres individus et en leur nom, ils semblent demander beaucoup plus à l’ingéniosité et au savoir-faire des opérateurs. Comment, dans ces conditions, la magie peut-elle procéder en dernière analyse d’une notion collective comme la notion de sacré et l’exploiter ? Nous sommes en présence d’un dilemme : ou la magie est collective, ou la notion de sacré est individuelle ? pour résoudre ce dilemme, nous allons avoir à chercher si les rites magiques se passent dans un milieu social ; car, si nous pouvons constater, en magie, la présence d’un pareilPage 4 milieu, nous aurons, par cela même, démontré qu’une notion de nature sociale comme celle de sacré, peut fonctionner dans la magie et ce ne sera plus qu’un jeu de montrer qu’en réalité elle y fonctionne.
C’est ici le troisième profit que nous nous promettons de cette étude. Nous passons de l’observation du mécanisme d’un rite à l’étude du milieu des rites, puisque ce n’est que dans le milieu, où se passent les rites magiques, que se trouvent les raisons d’être des pratiques de l’individu magicien [4].
Nous n’allons donc pas analyser une série de rites magiques, mais l’ensemble de la magie, qui est le milieu prochain des rites magiques. Cet essai de description nous permettra peut-être de résoudre prochainement la question si controversée des rapports de la magie et de la religion [5]. Pour le moment, nous ne nous interdisons pas d’y toucher, mais nous ne nous y arrêterons pas, pressés que nous sommes d’atteindre notre but. Nous voulons comprendre la magie avant d’en expliquer l’histoire. Nous laissons de côté pour le moment et nous réservons pour un prochain mémoire, ce que ces recherches doivent apporter de faits nouveaux à la sociologie religieuse. Nous avons été tentés, d’ailleurs, de sortir du cercle de nos préoccupations habituelles pour contribuer à l’étude de la sociologie en général, en montrant comment, dans la magie, l’individu isolé travaille sur des phénomènes sociaux [6].
Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye
Le sujet que nous nous sommes assigné commande une méthode différente de celle qui nous a servi dans notre étude du sacrifice. Il ne nous est pas possible ici, ou plutôt il ne serait pas fructueux, de procéder par l’analyse, même très complète, d’un nombre, même considérable, de cérémonies magiques. La magie n’est pas en effet, comme le sacrifice, une de ces habitudes collectives qu’on peut nommer, décrire, analyser, sans jamais craindre de perdre le sentiment qu’elles ont une réalité, une forme et une fonction distinctes. Elle n’est qu’à un faible degré une institution ; elle est une espèce de total d’actions et de croyances, mal défini, mal organisé, même pour celui qui la pratique et qui y croit. Il en résulte que nous ne connaissons pas à priori ses limites et, par conséquent, que nous ne sommes pas en état de choisir, à bon escient, des faits typiques qui représentent la totalité des faits magiques. Il nous faudra donc d’abord faire une sorte Page 5d’inventaire de ces faits qui nous permettra de circonscrire à peu près le domaine où notre recherche doit se mouvoir. Autrement dit, nous ne devrons pas considérer indépendamment une série de rites isolés, mais considérer à la fois tout ce qui constitue la magie, en un mot, la décrire et la définir d’abord. Dans l’analyse qui suivra, nous ne serons pas guidés par l’ordre de succession des moments d’un rite. L’intérêt porte moins en effet sur le plan et la composition des rites que sur la nature des moyens d’action de la magie, indépendamment de leur application, sur les croyances qu’elle implique, les sentiments qu’elle provoque et les agents qui la font.
Non attribuéPage 6
Les quelques feuillets manuscrits de Mauss qui ont été conservés montrent l’ethnologue soucieux de proposer une nouvelle définition de la magie, et plus généralement du sacré, en décalage avec ce qui était au centre de leur « Essai sur la nature et la fonction du sacrifice », publié en 1898. Voici la retranscription de ces feuillets qui vont servir de base de travail pour l’esquisse.
(Nous avons marqué les sauts de page par //, les mots illisibles par [ill] et nos tentatives de transcription par [mot ?]. Nous avons aussi repris, dans la mesure du possible, les mots ou les phrases barrés)
Chapitre I « Existence et définition de la magie »
Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye
On s’entend si peu sur la notion scientifique de magie qu’elle a un tel besoin d’être constitué, que c’est une théorie presque courante que celle qui consiste à la confondre absolument, complètement avec la religion, c’est à dire, en fait, au fond, à en nier l’existence
Mais une première question se pose. Étudions nous bien une réalité. La magie existe-t-elle. Et si elle existe, a-t-elle une nature définissable, que l’on puisse exprimer en formule. Il n’est nullement évident en effet que la magie existe comme fait à part. On peut soutenir qu’elle ne se dissout pas en un ensemble de recettes scientifiques, d’[inventions ?] propagées, d’idées pures dictant des pratiques justes ou erronées, mais parfaitement analogue aux autres gestes et aux autres idées. C’est là une théorie idée courante. ThéorieIdée également courante est celle qui fait de la magie une religion : religion déchue ou religion simple, ou religion par excellence. ThéorieIdée également soutenables l’une et l’autre qui expriment précisément des doutes légitimes sur l’existence de la magie. La magie n’est pas en effet une institution.
Série d’inventions pour les uns, simplification religieuse pour les autres, dans ce cas elle cesse d’être à part, dans l’autre elle cesse d’être tout à fait (suite manquante)
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Enfin ce travail nous permettra de résoudre plus tard la question si controversée des rapports de la magie et de la religion, à laquelle nous ne ferons que toucher de temps en temps.
Notre travail n’est pas sans antécédent. Il vient dans une série à la suite d’une série déjà assez considérable de recherches et de doctrines. Et Les théories de la magie sont peut-être aussi vieilles que les spéculations philosophiques et scientifiques sur l’homme et son activité, les stoïciens, les néoplatoniciens, les anciens physiciens et les alchimistes ont suffisamment trop spéculé sur la magie, pour que leurs idées soient pas sans intérêts pour nous.
Ce n’est qu’au XIIIe siècle, avec Bekker, (De -) que les discussions concernant la magie cessent d’avoir un intérêt pratique. Il s’agit de savoir si les faits sont ou ne sont pas
C’est plus tard seulement, qu’avec Grimm commence la véritable étude scientifique.
Grimm rencontra la question de bonne heure, et ni l’archéologie ni l’histoire en voie de développement ne restèrent // indifférentes à ces questions.
Mais la théorie ne progresse définitivement qu’avec les travaux de l’Ecole d’Anthropologie anglaise. C’est à cette série d’études que nous entendons bien nous rattacher. Nous croyons que Parmi les premiers en date on doit rencontrer Tylor dans sa Civ. Prim. revient à 2 reprises sur cette question. Mais Toutefois le résultat théorique de son enquête sur la magie ne tendait nullement à établir une théorie de la magie, mais à montrer qu’elle faisait partis du système des survivances, des restes que ce qu’il en subsistait n’était que restes de civilisations perdues. Le témoin d’états mentaux nécessaires de l’humanité. La théorie de la magie sympathique ne venait qu’à ce propos. Celle de la magie démonologie n’avait non plus d’autre but que de rattacher la magie à l’animisme primitif en général.
Les derniers temps ont vu se multiplier les travaux théoriques concernant la magie. Nous passons sous silence les pages, substantielles qu’ont pu leur consacrer plus ou moins incidemment les uns ou les autres des auteurs anglais ou hollandais. Comme Wilken ou Sidney Hartland. Les principales travaux sont celles de M. Frazer, de M. Lehmann.
A la première se rattachent, même quand elles semblent le plus s’en éloigner les théories de M. Jevons et de Mr Lang. // Mais un trait caractéristique de tous ces travaux et qu’ils sont décousus, c’est qu’ils n’ont nullement procédé à une énumération suffisamment complète des faits dont l’ensemble constitue la magie. Ses [révisions ?] ont été partielles, toujours. De la le relatif succès des théories. Si comme Mr Frazer, on limite le nombre des rites magiques aux rites sympathiques proprement dit [ill] (suite manquante)
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opèrent sans l’intervention d’esprits. Mais alors il reste à expliquer pourquoi on refuse d’appeler magiques une série de rites, par exemple tous les rites à action démoniaque, que tous ceux qui les ont pratiqué ou vu pratiquer ont qualifié de magiques.
Si l’on ne tient pas compte des vieilles définitions, si l’on constitue définitivement une classe aussi étroitement limitée de faits, (ce dont on a le droit) il faut au moins expliquer pourquoi et comment on le fait, et de montrer comment des notions et des rites qui paraissent magiques ne le sont, ne l’étaient pas, même pour ceux qui les appelaient ainsi. Au surplus nous avons signalé combien cette notion de magie sympathique était sujette à flottements, même chez ceux qui, comme M. Frazer, l’avaient le plus fortement arrêtée. D’autres, que la question d’une théorie de la magie préoccupait moins, ont pu procéder d’une façon encore moins rigoureuse.
En d’autres termes, au moment de commencer notre travail, nous ne nous trouvons pas en présence d’une notion scientifique suffisamment déterminée. Avant d’étudier la nature de la magie, les rapports de la magie et de la religion, aucun des travaux considérables que nous avons cité n’a défini même par voie d’indications ce que c’est, et même si elle a sa raison d’être. Certes on nous a signalé l’existence, et la similitude des rites // sympathiques. Mais la magie sympathique, constitue-t-elle à elle seule, dans un certain nombre de société un ensemble naturel de faits ? Les rites sympathiques ont-ils donné lieu, elles seules, où bien à un langage des expressions, à des images, à des attitudes sociales suffisamment caractéristiques spéciales pour que l’on puisse dire que les rites sympathiques ont formées tout seuls une classe séparée de faits ? Ou bien les notions de magie que nous fournissent l’histoire et l’ethnographie ne comprennent elles pas bien autre chose que les rites sympathiques et les lois vagues, soit disant [ill] scientifiques, sur lesquels ils s’appuient. Comme il était de toute évidence que les systèmes de faits qu’est la magie étaient infiniment plus riches tant en extension qu’en profondeur, nous avons du avant tout chercher à énumérer ses principaux éléments. Au lieu de la constituer de toute pièces, un peu au hasard, comme pour un catalogue de bibliothèque, nous avons voulu avant tout voir comment elle existe dans un certain nombre de sociétés et ce qu’elle contient. Ce n’est qu’ensuite que nous pourrons en tenter la théorie et puis, plus tard, les rapports qu’elle soutient avec la religion.
La constitution de la notion de magie, la définition que nous en donnerons progressivement, sont donc parmi les moments les plus importants de notre travail.
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L’importance que nous attachons à ce premier point fera que notre méthode sera extrêmement différente de celle que nous avons suivis dans notre Essai.
Là nous avions à étudier un rite bien constitué, sur la définition duquel il était possible et facile de s’entendre. Nous avions à en décomposer le mécanisme en montrant les croyances sous-jacentes, à étudier ses retentissements dans la mythologie ; à démontrer sa formation générale dans la vie religieuse et sociale. Nous n’avions pas en somme à constituer sa notion, nous avions surtout à l’analyser. Ici c’est la définition et la description qui joueront pendant un certain temps le premier rôle. Et ce n’est qu’ensuite que, dans le groupe de phénomènes ainsi rassemblés que nous pourrons démêler les faits construits, les faits primaires, les faits souches, les faits explicatifs.
Pour les rapports de la magie et de la religion, que nous étudierons ensuite nous en renvoyons l’examen à un travail ultérieur.
Chap. I
Constitution de la notion de magie.
Le but de ce travail nécessite aussi l’application d’une méthode assez différente de comparaison assez différente de celle que nous avons employé autrefois. Nous devons, encore, nous expliquer afin de permettre plus facilement à la critique de s’exercer. // En premier lieu Toutes les différences tiennent à une cause : la magie n’est ni un rite, ni un système de rites. C’est un système de faits. Elle est évidemment un ensemble de pratiques, d’idées communes ; elle a ses praticiens, elle a ses effets et ses buts. Elle n’est qu’a un faible degré une institution bien caractérisée. Elle est une espèce de total d’actions et de croyances, mal définie, mal organisée, même pour celui qui les pratique ou qui y croit. Elle n’est pas, comme le sacrifice, une de ces habitudes collectives que l’on peut nommer, décrire, analyser sans jamais craindre que l’on perdre le sentiment qu’elles ont une réalité, une forme accusée, une fonction nette. La question d’un mécanisme rituel, celle des mouvements des images mythiques qui nous [avaient intéressés] dans notre étude sur le sacrifice ne nous intéressent plus ici. C’est la magie un tout composite que nous devons décrire et analyser. Ceci nous engage à plusieurs démarches.
En premier lieu nous avons avant tout besoin de décrire un assez grand nombre de faits empruntés à des civilisations extrêmement hétérogènes. Nous ne pouvons plus en effet nous limiter à la recherche de faits typiques dont nous pourrions déduire immédiatement une espèce de loi de tout phénomène magique. Il nous faut montrer le jeu de tout // une masse de faits dont les genres, et les ordres sont extraordinairement variées : agents, rites, croyances, [personnes ?], objets, idées, tout cela se mêle, et sous peine de risquer trop d’erreurs nous devons établir que tout système magique les comprend bien à titre d’élément intégrants.
Cette [indication] ne sera d’ailleurs légitime que si nous établissons ce fait pour un assez grand nombre de systèmes magiques, fort variés, empruntés à des civilisations extrêmement hétérogènes, dont la magie soutient les rapports les plus divers avec la religion et avec l’ensemble des autres phénomènes sociaux.
Enfin notre analyse n’aura pas [le pouvoir] de trouver immédiatement une explication de ce qui explique, de ce qui fait être la magie. Le [récit ?] [ill] des notions fondamentales que nous arriverons à entrevoir quelques faits plus ou moins primaires dont nous pourrons induire que les autres se sont formées. Encore une raison pour que nous ayons étendu notre champ de comparaison autant que possible, car les faits souches, nous ne pouvons guère nous attendre à les trouver dans des sociétés ou la magie aurait une histoire trop longue, trop raffinée. D’autre part quelle certitude aurions nous d’avoir trouvé la vérité si nous ne la contrôlions à l’aide de faits magiques (…)
Dans plusieurs feuillets épars, Henri Hubert approfondit la critique des travaux des anthropologues Anglo-saxons touchant à la magie, et plus précisément ceux de Frazer. En voici la transcription.
(…) sans entrer dans la critique de ces théories, nous pouvons faire des observations. La première c’est que ni l’une ni l’autre n’est à proprement parlé une théorie complète et qui se suffise à elle même. // La deuxième observation est que ces théories n’ont pas l’air de porter exactement sur les mêmes faits. On s’entend à considérer a priori comme magiques un certain nombre de faits sur l’interprétation des peuples on s’accorde à peu prés mais quand il s’agit de la caractéristique limitative du fait magique on diffère. // Nous ne pouvons pas nous contenter de prendre simplement leurs travaux comme point de départ de notre analyse. Il y a peut-être des faits magiques typiques qui leurs ont échappé, ou des conditions éléments de la description des faits que leur exposé n’a pas retenu.
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Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye On le voit le procédé de Mr Frazer consiste à dépouiller de ce qu’il considère comme accessoire un certain nombre d’opérations qualifiées arbitrairement de magiques. Ce travail de simplification lui permet d’opposer la magie et la religion comme deux mécanismes inconciliable.
Disons tout d’abord que nous nous préoccuperons de trouver un tout autre principe de distinction. Nous ne croyons pas qu’il soit possible de considérer la magie et la religion dans l’abstrait comme deux techniques sans tenir compte de leur fonctions spéciales, de leur rôle dans les sociétés ou elles apparaissent et par conséquent de l’idée que dans ces différentes sociétés on s’est fait de leur rôle.
Nous remarquons tout d’abord en entamant la critique de la théorie de Mr Frazer que les faits qu’il cite ne peuvent pas nous conduire à des conclusions définitives sur le mécanisme de la magie. Ils ne sont pas pris à des rituels, mais à des folk-lore ou d’ethnographie, et la plupart d’entre eux sont déjà réduits par la transmission de ceux de leurs éléments qui paraissent les plus saillants aux [collectionnisme ?] de [mots ?]. // à qui nous les devons. J’aurais à revenir sur ce point quand je vous ferais état du résultat du travail auquel je me suis livré sur les textes grecs. Généralement les formules ont disparus, les circonstances de temps et de lieu également.
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Ni l’un ni l’autre des théoriciens dont nous avons parlé ne s’est occupé des conditions dans lesquelles les faits se produisaient, du milieu où ils se passaient, de leurs agents, du magicien. Mais ils les ont étudiées exclusivement au point de vue de leur mécanisme.
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Distincte, notre tache était en somme d’expliquer la définition préalable par celle du mécanisme interne de l’institution mis en cause. Il en est tout autrement de la magie. On peut la confondre aisément soit avec la religion, soit avec les techniques laïques et nous avons précisément à chercher un antérieur qui nous permette de les en distinguer à coup sûr. Nous ne sommes amenés à l’étudier maintenant qu’en raison des confusions auxquelles elle se prête. La définition limitative résultera de l’analyse. En cherchant à tirer de l’étude de la magie conformément à l’ordre logiques de nos recherches la contre épreuve (suite manquante)
[1] Dans le manuscrit, « études religieuses » a été barré.
[2] L’article, re-publié dans Sociologie et anthropologie en 1950, était précédé dans l’Année sociologique par ce préambule méthodologique. Mauss et Hubert y explicitent leurs choix tout en insistant sur ce qui sépare cette recherche sur la magie de l’Essai sur la nature et la fonction du sacrifice, publié en 1898. Ce préambule qui ouvre le texte de 1904 sera par la suite déplacé en fin d’article. L’article original – dont nous avons décidé de suivre la pagination et la forme, est téléchargeable sur le site Gallica de la BNF.
[3] On note la distinction entre histoire et science des religions, distinction déjà présente chez Max Müller ou Robert Marett. La première a pour but d’apporter les matériaux empiriques que la seconde traitera en vue de proposer des théories sur la nature et l’origine de la religion.
[4] La notion de milieu, telle qu’elle est utilisée par Mauss et Hubert tout au long de l’article a une généalogie complexe. Leurs conceptions dialectiques des rapports entre l’organisme et le milieu se trouve inaugurée par Auguste Comte qui utilise le premier la notion de milieu pour contrecarrer l’influence du vitalisme de Bichat et ainsi proposer de penser la vie comme la corrélation entre l’organisme et le milieu. Pour Comte, plus précisément, le milieu désigne « non seulement le fluide où l’organisme est plongé, mais, en général, l’ensemble total des circonstances extérieures, d’un genre quelconque, nécessaires à l’existence de chaque organisme déterminé » (A. COMTE, Cours de philosophie positive, Tome troisième (1838)).
[5] Si Tylor consacre à la magie un chapitre de sa Primitive Culture (1871), il ne s’attarde pas sur ses rapports à la religion. Frazer, en revanche, consacre une partie importante de son Golden Bough, à leurs rapports. Parmi les auteurs qui ont écrit sur ce couple, on trouve Andrew Lang dans Magic and Religion (1901) ; R. H. Codrington, dans The Melanesians (1891). Notons également la mention, dans le fichier d’Henri Hubert, du texte de Charles Leland, Aradia, or the Gospel of the Witches (1899). Ce livre prétend documenter les cultes et croyances des sorcières européennes, qu’il présente ainsi comme une religion.
[6] C’est d’ailleurs ce qu’ils vont continuer à défendre dans la préface de leurs Mélanges d’histoire des religions que Mauss et Hubert publieront en 1909. Des « Mélanges » qui ne reprennent pas le texte de l’Esquisse mais l’article de Mauss sur les pouvoirs du magicien australiens : « Nous nous proposions au début de nos études, surtout de comprendre des institutions, c’est-à-dire des règles publiques d’action et de pensée. Dans le sacrifice, le caractère public de l’institution, collectif de l’acte et des représentations est bien clair. La magie dont les actes sont aussi peu publics que possible, nous fournit une occasion de pousser plus loin notre analyse sociologique. Il importait avant tout de savoir dans quelle mesure et comment ces faits étaient sociaux. Autrement dit : quelle est l’attitude de l’individu dans le phénomène social ? Quelle est la part de la société dans la conscience de l’individu ? »