Une théorie séduisante
Rechercher l’origine des globes lausannois, revient à suivre les différentes étapes de l’enseignement de l’astronomie dans cette région. Ce domaine scientifique, mêlé à ceux des mathématiques et de la philosophie, a, en effet, pu profiter de la présence en terres vaudoises de nombreuses personnalités réputées. Au XVIIIe et au début du XIXe siècles, on peut citer en particulier :
- Jean-Pierre de Crousaz (1663-1750)
- Jean-Philippe Loys de Cheseaux (1718-1751)
- Théodore-Louis de Treytorrents (1726-1794)
- Henri Struve (1751-1826)
- Emmanuel Develey (1764-1839)
L’un de ces savants, férus d’astronomie et de matériel scientifique, peut très bien avoir possédé des globes dans son cabinet à un moment donné. On distingue d’ailleurs un tel objet à l’arrière-plan du portrait de Loys de Cheseaux. Pourquoi ne pas imaginer qu’il en ait ensuite fait don à l’Académie de Lausanne ? A nouveau, les archives sont dépouillées. On y découvre plusieurs mentions de globes.
En 1780, Alexandre César Chavannes rédige une histoire manuscrite de l’Académie de Lausanne. On y apprend que des princes allemands auraient offert deux sphères à l’université, mais celles-ci sont qualifiées « de la façon de l’Abbé Nolet ». Jean-Antoine Nollet a réalisé plusieurs globes entre 1725 et 1730. Ceux-ci sont particulièrement petits (32,5 cm de diamètre), une confusion avec ceux de Mercator semble donc impossible.
En 1794, à la mort de Théodore-Louis de Treytorrents, l’inventaire des biens du défunt mentionne plusieurs objets intéressants. On y trouve ainsi deux globes et une sphère, des objets qui auraient été mis à la disposition de ses successeurs.
Entre 1802 et 1807, le prof. Emmanuel Develey sera le dépositaire, avec un certain C. Chavanne, de plusieurs appareils scientifiques appartenant à l’Académie de Lausanne. Ces objets sont mis à sa disposition pour l’élaboration de ses cours. La liste mentionne deux globes, dont voici l’intitulé exact : « Un globe terrestre et un céleste d’environ un pied de diamétre par De l’Isle ». La taille, comme son attribution formelle au géographe français, semble donc à nouveau exclure qu’il s’agisse de globes de Mercator.
Le Catalogue du cabinet de physique du Citoyen [Henri] Struve (ACV Bdd 156-08 et Bdd 156-09), document non daté mais très certainement antérieur à 1826, indique également la présence de globes, terrestre et céleste, ainsi que d’une « Réprésentation du systéme du monde » (sic). Il s’agit peut-être des même globes que mentionnés dans l’inventaire de Treytorrens ; en l’absence de toute description, il est difficile de l’affirmer comme de l’exclure.
Jean-François Loude, professeur honoraire de l’Université de Lausanne, remarque également dans ce catalogue la présence de deux colonnes de prime abord assez mystérieuses : des « Machines de Socin » et des « Machines qui ne sont pas de Socin ». Or le Cabinet Socin, très connu par ailleurs, était la propriété d’un certain Abel Socin (1729-1808). Ce Bâlois l’avait vendu en 1794 au professeur Emmanuel Develey, qui le revend à Henri Struve une année plus tard. Voilà qui explique l’origine d’une grande partie des instruments de physique inventoriés en 1825.
Avant son retour à Bâle en 1778, Socin avait travaillé longtemps à Hanau, près de Francfort. Il y avait très probablement constitué une grande partie de son cabinet. La paire de globes Mercator en faisait-elle partie ? Cette piste rhénane serait sans doute intéressante à creuser.
Bien sûr, durant les années suivantes, plusieurs autres professeurs se succèdent à la chaire d’astronomie lausannoise. Ils peuvent tout aussi bien être à l’origine de l’acquisition des globes :
- Charles Dufour (1874-1901)
- Louis Maillard (1902-1928)
- César-Auguste Juvet (1928-1936)
- Georges César Tiercy (1936-1957)
- Pierre Javet (1955-1975), qui fut le premier directeur de l’Institut d’astronomie (1966-1975)
- Bernard Hauck (1976-2002)
En conclusion, malgré la consultation de nombreuses sources, rien ne permet de conclure à un legs ou à un don en faveur de l’Académie ou de l’Université de Lausanne. La question de l’origine de la paire de globes de Mercator à Lausanne demeure donc toujours totalement ouverte.
Pour en savoir plus
- Histoire abrégée de l’Académie de Lausanne, depuis son origine par Alexandre César Chavannes Professeur dans l’Académie de Lausanne (1780) : document original conservé aux Archives cantonales vaudoises.
- Extrais de l’inventaire pris dans la maison du défun Professeur De Treytorrens (1794) : document original conservé aux Archives cantonales vaudoises, ACV Bdd 156.
- Catalogue du Cabinet de Physique du Citoyen Struve : document original conservé aux Archives cantonales vaudoises, ACV Bdd 156 19.
- Note des Instrumens de Mathématiques appartenans à l’Académie de Lausanne (1802-1807) : document original conservé aux Archives cantonales vaudoises, AVC Bdd 156.