Roger Gerster et le pourcent artistique de l’Anthropole
Lors de la construction de l’Anthropole, un concours restreint est organisé par le BUD (bureau de construction de l’Université de Lausanne-Dorigny) pour élire l’artiste à qui se verra confié 1% du budget total de la construction du bâtiment pour la réalisation d’une œuvre d’art qui s’y intègre. En 1983, c’est Roger Gerster qui est choisi. Lors de l’inauguration en 1987 du bâtiment, un fascicule est publié sur l’histoire de sa construction, mais on omet de parler de l’œuvre (cette lacune sera comblée dans un numéro postérieur de la revue Uni-Lausanne). Sans doute car contrairement à d’autres réalisations financées par ce pourcent artistique, celle-ci est le fruit d’une collaboration particulièrement prononcée entre l’artiste et les architectes, J. Dumas, M.Bevilacqua, et J.-L. Thibaud. Ils se fondent en une seule équipe de sorte que les intentions des architectes et de l’artiste se regroupent en un même projet, dans lequel la partie artistique est indissociable de la partie architecturale. L’œuvre d’art se fait donc discrète.
Une œuvre entre discrétion et monumentalité
Réalisée entre 1984 et 1987, elle épouse tout le bâtiment : à l’extérieur, de fines bandes en acier sont installées sur les parois, elles apportent une certaine sensibilité au béton brut initial ; à l’intérieur, des bandes de céramique de différentes couleurs (rouges, jaunes et bleues) sont incrustées – horizontalement, verticalement et en diagonale – dans les murs, du premier au dernier étage.
L’artiste n’avait pas pour habitude de travailler avec la céramique, mais ce matériau était celui qui semblait pouvoir le mieux donner vie au béton. Lors d’un précédent mandat, à la Vaudoise Assurance de Lausanne, Roger Gerster avait déjà testé cette technique d’incrustation de bandes dans l’architecture. Elles étaient alors en bronze et en marbre, leur emploi a été écarté pour l’Anthropole car ces matériaux n’auraient pas suffi pour dynamiser les murs du bâtiment. Les couleurs des céramiques, d’après Roger Gerster, ont été choisies en s’inspirant du site de Dorigny ; par la suite, on y voit aussi une référence aux trois Facultés des sciences humaines alors abritée par l’Anthropole : les Lettres, les Sciences sociales et politiques, et la Théologie.
Après 30 ans, Roger Gerster explique que le rapport à son œuvre – comme à toutes celles réalisées pour des commandes – est délicat. En effet, exposée dans un espace ouvert à tous, l’œuvre est rapidement transformée par ce et par ceux qui l’entoure (détérioration, dénaturation), l’objet créé est toujours approprié par l’environnement dans lequel il s’inscrit. Roger Gerster raconte que ces mandats publics, comme pour beaucoup d’autres artistes, représentent une grande part de son travail, ils sont indispensables d’un point de vue financier, il est difficile de vivre uniquement d’expositions et de ventes. Il précise que cette mission a cependant été exceptionnelle du point de vue de la collaboration, du travail d’équipe grâce auquel est née l’œuvre finale.
L’artiste évoque l’importance du sens que doit avoir l’œuvre d’art, de son intégration, du fait qu’elle s’adresse à quelqu’un, qu’elle est créée dans un but. Bien que ces projets monumentaux soient forcément accompagné de certaines contraintes, Roger Gerster les appréhende de manière positive, comme un challenge à relever, une solution plastique à trouver. C’est cela qui l’amène à s’écarter d’un système d’œuvre d’art standardisé ou commercialisé ; le but n’est pas en soi la production, mais la recherche, l’authenticité de la démarche, qui se fait sentir dans l’œuvre de l’Anthropole par une certaine ponctualité et simplicité graphique.
Lorena Ehrbar, assistante-étudiante en archives