Grande Peinture Noire de Christiane Lovay
En avril 1988, une antenne romande de l’Institut suisse pour l’étude de l’art (SIK- ISEA) est inaugurée à l’Anthropole. Cet Institut se consacre à la recherche dans le domaine de l’art suisse et de l’art en Suisse. Pour son vernissage, l’Institut, coordonné alors par Paul- André Jaccard, invite six artistes romands à présenter une œuvre éphémère et inédite élaborée à l’attention de cette seule manifestation. Christiane Lovay, représentant le canton de Fribourg, propose la Grande Peinture Noire, dont les dimensions monumentales ont été calculées pour s’insérer parfaitement sur la paroi à laquelle l’artiste dédie l’œuvre. Le Rectorat décide ensuite d’acheter la peinture.
Céramique, peinture, puis sculpture, sont autant de techniques et de supports qui peuvent témoigner d’un intérêt de la part de l’Université de proposer une diversité dans l’offre artistique du bâtiment. Le fameux pourcent artistique de l’Etat de Vaud, géré à l’Université par le Comité directeur du BUD, permet aussi cet enrichissement. Outre la question décorative, l’œuvre est aussi choisie selon la façon dont elle interpelle et s’intègre au bâtiment concerné. Christiane Lovay en présente un exemple. Cette artiste valaisanne, née en 1949, étudie à Genève puis à Bâle, voyage, découvre Paris, y vit plusieurs années (son adresse est encore parisienne en 1988) et revient s’installer en Suisse, dans la campagne fribourgeoise.
« Je sens cela, mais je ne sais pas exactement ce que c’est, ni ce que cela veut dire. »
La Grande Peinture Noire ne se prête pas facilement à une lecture formelle. On y découvre, à chaque observation, un nouveau signe, une nouvelle marque. Comme si, vivante, l’œuvre évoluait, se transformait sous les yeux du spectateur. Les motifs noirs s’amassent et se dispersent sur le papier, en y créant du volume. Minuscules et monumentaux, les formes peuvent évoquer des éléments végétaux et géométriques. La nature semble être un thème central dans la création artistique de Christiane Lovay. Dès son plus jeune âge, l’artiste la côtoie dans son quotidien puis l’expérimente et en redécouvre de nombreuses facettes durant ses voyages en Egypte, en Algérie et au Yémen. Les peintures qu’elle propose en sont peut-être l’appropriation ; processus durant lequel les motifs ont été simplifiés, épurés et mêlés entre eux pour rappeler des formes originelles, universelles.
Cette simplification passe également par les matériaux et les techniques choisies. Les grands formats imposent à l’artiste une proximité avec son papier, Christiane Lovay s’y étend, marche, se relève, bref, modèle le support aussi bien que le contenu lui-même. Elle applique la peinture avec ses pinceaux et ses mains, les gestes semblent vifs, épais et libres. L’artiste parle de son œuvre en ces termes: « J’aimerais que devant mes dessins on puisse dire: oui j’ai vécu cela, ou, je sens cela mais je ne sais pas exactement ce que c’est, ni ce que cela veut dire ; quelque chose qui ne puisse ni se décrire, ni se décoder, mais accède directement à des zones très profondes. » (Propos recueilli pour le catalogue de l’exposition Huit artistes romands, dirigé par Peter Killer en 1987).
Lorena Ehrbar, assistante-étudiante en archives