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Le mana
Page 108Mauss Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Une semblable notion existe, en réalité, dans un certain nombre de sociétés. Même, par un retour logique, le fait qu’elle fonctionne, nommément, dans la magie, relativement différenciée déjà, de deux des groupes ethniques que nous considérons spécialement, démontre le bien-fondé de notre analyse.
Cette notion est celle que nous avons trouvée désignée en Mélanésie sous le nom de mana. Nulle part elle n’est mieux observable et, par bonheur, elle a été admirablement observée et décrite par M. Codrington (The Melanesians, p. 119 et suiv., p. 191 et suiv., etc.) [1]. Le mot de mana est commun à toutes les langues mélanésiennes proprement dites et même à la plupart des langues polynésiennes. Le mana n’est pas simplement une force, un être, c’est encore une action, une qualité et un état [2]. En d’autres termes, le mot est à la fois un substantif, un adjectif, un verbe. On dit d’un objet qu’il est mana, pour dire qu’il a cette qualité ; et dans ce cas, le mot est une sorte d’adjectif (on ne peut pas le dire d’un homme). On dit d’un être, esprit, homme, pierre ou rite, qu’il a du mana, le « mana de faire ceci ou cela ». On emploie le mot mana aux diverses formes des diverses conjugaisons, il signifie alors avoir du mana, donner du mana, etc. En somme, ce mot subsume une foule d’idées [3] que nous désignerions par les mots de : pouvoir de sorcier, qualité magique d’une chose, chose magique, être magique, avoir du pouvoir magique, être incanté, agir magiquement ; il nous présente, réunies sous un vocable unique, une série de notions dont nous avons entrevu la parenté, mais qui nous étaient, ailleurs, données à part. Il réalise cette confusion de l’agent, du rite et des choses qui nous a paru être fondamentale en magie [4].
Page 109L’idée de mana est une de ces idées troubles, dont nous croyons être débarrassés, et que, par conséquent, nous avons peine à concevoir. Elle est obscure et vague et pourtant d’un emploi étrangement déterminé. Elle est abstraite et générale et pourtant pleine de concret. Sa nature primitive, c’est-à-dire complexe et confuse, nous interdit d’en faire une analyse logique, nous devons nous contenter de la décrire. Pour M. Codrington, elle s’étend à l’ensemble des rites magiques et religieux, à l’ensemble des esprits magiques et religieux [5], à la totalité des personnes et des choses intervenant dans la totalité des rites [6]. Le mana est proprement ce qui fait la valeur des choses et des gens, valeur magique, valeur religieuse et même valeur sociale [7]. La position sociale des individus est en raison directe de l’importance de leur mana, tout particulièrement la position dans la société secrète ; l’importance et l’inviolabilité des tabous de propriété dépend du mana de l’individu qui les impose. La richesse est censée être l’effet du mana ; dans certaines îles, le mot de mana désigne même l’argent.
L’idée de mana se compose d’une série d’idées instables qui se confondent les unes dans les autres. Il est tour à tour et à la fois qualité, substance et activité. — En premier lieu, il est une qualité. Il est quelque chose qu’a la chose mana ; il n’est pas cette chose elle-même. On le décrit en disant que c’est du puissant, que c’est du lourd ; à Saa c’est du chaud, à Tanna c’est de l’étrange, de l’indélébile, du résistant, de l’extraordinaire. — En second lieu, le mana est une chose, une substance, une essence maniable, mais aussi indépendante. Et c’est pourquoi il ne peut être manié que par des individus à mana, dans un acte mana, c’est-à-dire par des individus qualifiés et dans un rite. Il est par nature transmissible, contagieux ; on communique le mana qui est dans une pierre à récolte, à d’autres pierres, en les mettant en contact avec elles. Il est représenté comme matériel : on l’entend, on le voit se dégager des choses où il réside ; le mana fait du bruit dans les feuilles, il s’échappe sous la forme de nuages, sous la forme de flammes. Il est susceptible de se spécialiser : il y a du mana à rendre riche et du mana à tuer. Les mana génériques reçoivent même des déterminations encore plus étroites : aux îles Banks, il y a un mana spécial, le talamatai, pour certaines façons d’incanter, et un autre pour les maléfices faits sur les traces des individus. — En troisième lieu, le mana est une force et spécialement celle des êtres spiriPage 110tuels, c’est-à-dire celle des âmes des ancêtres et des esprits de la nature. C’est lui qui en fait des êtres magiques. En effet, ils n’appartiennent pas à tous les esprits indistinctement. Les esprits de la nature sont, essentiellement, doués de mana ; mais toutes les âmes des morts ne le sont pas ; ne sont tindalos, c’est-à-dire esprits efficaces, que les âmes des chefs, tout au plus les âmes des chefs de famille, et même, plus spécialement, de ceux d’entre eux dont le mana s’est manifesté, soit pendant leur vie, soit par des miracles après leur mort. Celles-là seules méritent ce nom d’esprit puissant, les autres sont perdues dans la multitude des ombres vaines [8].
Nous voyons encore une fois, par là, que tous les démons sont des esprits, mais que tous les esprits ne sont pas des démons. En somme, l’idée de mana ne se confond pas avec l’idée d’esprit ; elles se rejoignent tout en restant profondément différentes et l’on ne peut pas expliquer, du moins en Mélanésie, la démonologie et, partant, la magie, par l’animisme seul. En voici un exemple. À Floride, quand un homme est malade, on attribue sa maladie à du mana qui s’empare de lui ; ce mana appartient à un tindalo, qui est lui-même en relation, d’une part, avec un magicien, mane kisu (doué de mana), qui a le même mana, ou le mana d’agir sur lui, ce qui revient au même, d’autre part, avec une plante. Car il y a un certain nombre d’espèces de plantes [9] attachées aux différentes espèces de tindalos qui, par leur mana, sont les causes des diverses maladies. Le tindalo qu’il s’agit d’invoquer est désigné de la façon suivante. On prend successivement des feuilles des différentes espèces de plantes et on les froisse [10] ; celle qui a le mana de la maladie qui afflige le patient se reconnaît à un bruissement particulier. On peut alors s’adresser à coup sûr au tindalo, c’est-à-dire au mane kisu possesseur du mana de ce tindalo, c’est-à-dire à l’individu qui est en relation avec lui et qui seul est capable de retirer son mana du malade et par suite de le guérir. En somme, ici, le mana est séparable du tindalo, puisqu’il se retrouve non seulement dans le tindalo, mais encore dans le malade, dans les feuilles et aussi dans le magicien. Ainsi, le mana existe et fonctionne d’une façon indépendante ; il reste impersonnel à côté de l’esprit personnel. Le tindalo est porteur du mana, il n’est pas le mana. Remarquons en passant que ce mana circule à l’intérieur d’une case de classification, et que les êtres qui agissent les uns sur les autres sont compris dans cette case.
Page 111Mais le mana n’est pas nécessairement la force attachée à un esprit. Il peut être la force d’une chose non spirituelle, comme d’une pierre à faire pousser les taros ou à féconder les porcs, d’une herbe à faire tomber la pluie, etc. Mais c’est une force spirituelle, c’est-à-dire qu’elle n’agit pas mécaniquement et qu’elle produit ses effets à distance. — Le mana est la force du magicien ; les noms des spécialistes qui font fonction de magiciens sont, presque partout, des composés de ce mot : peimana, gismana, mane kisu, etc. — Le mana est la force du rite. On donne même le nom de mana à la formule magique. Mais le rite n’est pas seulement doué de mana, il peut être lui-même le mana. C’est en tant que le magicien et le rite ont du mana, qu’ils peuvent agir sur les esprits à mana, les évoquer, les commander et les posséder. Or, quand un magicien a un tindalo personnel, le mana à l’aide duquel il agit sur son tindalo n’est pas réellement différent de celui par lequel agit ce tindalo. S’il y a donc une infinité de manas, nous sommes cependant amenés à penser que les divers manas ne sont qu’une même force, non fixée, simplement répartie entre des êtres, hommes ou esprits, des choses, des évènements, etc.
Nous pouvons même arriver à élargir encore le sens de ce mot, et dire que le mana est la force par excellence, l’efficacité véritable des choses, qui corrobore leur action mécanique sans l’annihiler. C’est lui qui fait que le filet prend, que la maison est solide, que le canot tient bien à la mer. Dans le champ, il est la fertilité ; dans les médecines, il est la vertu salutaire ou mortelle. Dans la flèche, il est ce qui tue, et, dans ce cas, il est représenté par l’os de mort dont la tige de la flèche est munie. Remarquons que les expertises des médecins européens ont montré que les flèches empoisonnées de la Mélanésie sont simplement des flèches incantées, des flèches à mana ; pourtant elles sont tenues pour empoisonnées ; on voit clairement que c’est à leur mana, et non pas à leur pointe, qu’on attribue leur efficacité véritable. De même que dans le cas du démon, le mana est distinct du tindalo, il nous apparaît, ici encore, comme une qualité ajoutée aux choses, sans préjudice de leurs autres qualités, ou, en d’autres termes, comme une chose surajoutée aux choses. Ce surcroît, c’est l’invisible, le merveilleux, le spirituel et, en somme, l’esprit, en qui toute efficacité réside et toute vie. Il ne peut être objet d’expérience, car véritablement il absorbe l’expéPage 112rience ; le rite l’ajoute aux choses et il est de même nature que le rite. M. Codrington a cru pouvoir dire qu’il était le surnaturel, mais, ailleurs, il dit, plus justement, qu’il est le surnaturel in a way ; c’est qu’il est à la fois surnaturel et naturel, puisqu’il est répandu dans tout le monde sensible, auquel il est hétérogène et pourtant immanent.
Cette hétérogénéité est toujours sentie et ce sentiment se manifeste quelquefois par des actes. Le mana est écarté de la vie vulgaire. Il est l’objet d’une révérence qui peut aller jusqu’au tabou. On peut dire que toute chose tabou a du mana et que beaucoup de choses mana sont tabou. C’est, nous l’avons dit, le mana du propriétaire, ou celui de son tindalo, qui fait la valeur du tabou de propriété qu’il impose. Il y a lieu de penser également que les lieux où se font les incantations, les pierres où se tiennent des tindalos, lieux et objets à mana, sont tabou. Le mana de la pierre, où réside un esprit, se saisit de l’homme qui passe sur cette pierre ou dont l’ombre la touche.
Le mana nous est donc donné comme quelque chose non seulement de mystérieux, mais encore de séparé [11]. En résumé, le mana est d’abord une action d’un certain genre, c’est-à-dire l’action spirituelle à distance qui se produit entre des êtres sympathiques. C’est également une sorte d’éther, impondérable, communicable, et qui se répand de lui-même [12]. Le mana est en outre un milieu ou, plus exactement, fonctionne dans un milieu qui est mana. C’est une espèce de monde interne et spécial, où tout se passe comme si le mana seul y était en jeu. C’est le mana du magicien qui agit par le mana du rite sur le mana du tindalo, ce qui met en branle d’autres manas, et ainsi de suite. Dans ces actions et réactions, il n’entre pas d’autres forces que du mana. Elles se produisent comme dans un cercle fermé où tout est mana et qui, lui-même, doit être le mana, si nous pouvons nous exprimer ainsi.
Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Ce n’est pas seulement en Mélanésie que nous rencontrons une semblable notion. Nous pouvons la reconnaitre à certains indices, dans nombre de sociétés, où des recherches ultérieures ne pourront manquer de la mettre en lumière. En premier lieu, nous constatons son existence chez d’autres peuples de langue malayo-polynésienne : chez les Malais des Détroits, on la trouve désignée [13] par un mot d’origine arabe qui Page 113vient d’une racine sémitique dont le sens est plus restreint, kramât (transcription de M. Skeat) de hrm, qui signifie sacré. Il y a des choses, des lieux, des moments, des bêtes, des esprits, des hommes, des sorciers, qui sont kramât, qui ont du kramât ; et ce sont les puissances kramât qui agissent. Plus au nord, dans l’Indochine française, les Ba-hnars expriment certainement une idée analogue à celle de mana quand ils disent que la sorcière est une personne deng, qu’elle a le deng, et qu’elle deng les choses. On nous dit qu’ils spéculent à l’infini sur cette notion [14] de deng. À l’autre extrémité de l’aire d’extension des langues malayo-polynésiennes, dans tout Madagascar, le mot de hasina, dont l’étymologie est inconnue [15], désigne à la fois une qualité de certaines choses, un attribut de certains êtres, animaux et hommes, de la reine en particulier, et les rites que commande cette qualité. La reine était hasina, elle avait du hasina, le tribut qu’on lui donnait, le serment qu’on prêtait en son nom étaient des hasinas. Nous sommes persuadés que des analyses plus précises de la magie néo-zélandaise, où le mana joue un rôle, ou bien de celle des Dayaks, dont l’homme-médecine porte le nom de manang, donneraient les mêmes résultats que l’étude de la magie mélanésienne.
Le monde malayo-polynésien n’a pas le privilège de cette notion. Dans l’Amérique du Nord, elle nous est signalée sur un certain nombre de points. Chez les Hurons (Iroquois), elle est désignée sous le nom d’orenda. Les autres Iroquois semblent l’avoir désignée par des mots de même racine. M. Hewitt, Huron de naissance et ethnographe distingué, nous en a donné une précieuse description, description plutôt qu’analyse, car l’orenda n’est pas plus facile à analyser que le mana (American Anthropologist, 1902, nouv. série, IV, 1, p. 32-46) [16].
C’est une idée trop générale et trop vague, trop concrète, embrassant trop de choses et de qualités obscures pour que nous puissions sans peine nous familiariser avec elle. L’orenda, c’est du pouvoir, du pouvoir mystique. Il n’est rien dans la nature, et, plus spécialement, il n’est pas d’être animé qui n’ait son orenda. Les dieux, les esprits, les hommes, les bêtes sont doués d’orenda. Les phénomènes naturels, comme l’orage, sont produits par l’orenda des esprits de ces phénomènes. Le chasseur heureux est celui dont l’orenda a battu l’orenda du gibier. L’orenda des animaux difficiles à prendre est dit intelligent et malin. On voit partout, chez les Page 114Hurons, des luttes d’orendas, comme on voit, en Mélanésie, des luttes de manas. L’orenda, lui aussi, est distinct des choses auxquelles il est attaché, à tel point qu’on peut l’exhaler et le lancer : l’esprit faiseur d’orages lance son orenda représenté par les nuages. L’orenda est le son qu’émettent les choses ; les animaux qui crient, les oiseaux qui chantent, les arbres qui bruissent, le vent qui souffle expriment leur orenda. De même la voix de l’enchanteur est de l’orenda. L’orenda des choses est une sorte d’incantation. Justement, le nom Huron de la formule orale n’est autre qu’orenda, et d’ailleurs orenda signifie, au sens propre, prières et chants. Ce sens du mot nous est confirmé par celui des mots correspondants dans les autres dialectes iroquois. Mais si l’incantation est l’orenda par excellence, M. Hewitt nous dit expressément que tout rite est aussi orenda ; par là encore, l’orenda se rapproche du mana. L’orenda est surtout le pouvoir du chamane. Celui-ci est appelé rareñ’ diowá’ne, quelqu’un dont l’orenda est grand et puissant. Un prophète ou diseur de sorts ratreñ’dãts ou hatreñ’dótha, est quelqu’un qui, habituellement, exhale ou effuse son orenda et a ainsi appris les secrets du futur. C’est l’orenda qui est efficace en magie. « Tout ce qu’elle emploie est dit être possédé de l’orenda, agir par lui et non en vertu de propriétés physiques. C’est lui qui fait la force des charmes, amulettes, fétiches, mascottes, porte-bonheur, et, si l’on veut, médecines. » On le voit spécialement fonctionner dans le maléfice. Toute la magie, en somme, sort de l’orenda [17].
Nous avons un indice qui permet de croire que l’orenda agit suivant les classifications symboliques. « La cigale est appelée le mûrisseur de maïs, car elle chante les jours de chaleur, c’est que c’est son orenda qui fait venir la chaleur, qui fait pousser le maïs ; le lièvre « chante » et son orenda a pouvoir sur la neige (controlled the snow) ; même la hauteur où il mange les feuilles du buisson détermine la hauteur où la neige tombera (sic). » Or, le lièvre est le totem d’un clan de l’une des phratries des Hurons et ce clan a le pouvoir de faire venir le brouillard et de faire tomber la neige. C’est donc l’orenda qui unit les divers termes des classes où sont rangés, d’une part, le lièvre, son clan totémique, le brouillard, la neige, et, d’autre part, la cigale, la chaleur, le maïs. Il joue, dans la classification, le rôle de moyen-cause. Ces textes nous donnent en outre une idée de la façon dont les Iroquois se représentent la causalité. Pour eux, la cause par excellence, c’est la voix. En résumé, l’orenda Page 115n’est ni le pouvoir matériel, ni l’âme, ni l’esprit individuel, ni la vigueur et la force ; M. Hewitt établit, en effet, qu’il existe d’autres termes pour désigner ces diverses idées ; et il définit justement l’orenda : « Une puissance ou une potentialité hypothétique de produire des effets d’une façon mystique. »
La fameuse notion du manitou, chez les Algonquins, en particulier chez les Ojibways, répond suffisamment au fond à notre mana mélanésien. Le mot de manitou désigne en effet à la fois, suivant le père Thavenet [18], auteur d’un excellent dictionnaire français, encore manuscrit, de langue algonquine, non pas un esprit, mais toute espèce d’êtres, de forces et de qualités magiques ou religieuses (Tesa, Studi del Thavenet, Pise, 1881, p. 17 [19]). « Il veut dire être, substance, être animé, et il est bien certain qu’à quelque degré tout être ayant une âme est un manitou. Mais il désigne plus particulièrement tout être qui n’a pas encore un nom commun, qui n’est pas familier : d’une salamandre une femme disait qu’elle avait peur, c’était un manitou ; on se moque d’elle en lui disant le nom. Les perles des trafiquants sont les écailles d’un manitou, et le drap, cette chose merveilleuse, est la peau d’un manitou. Un manitou est un individu qui fait des choses extraordinaires, le schaman est un manitou ; les plantes ont du manitou ; et un sorcier montrant une dent de serpent à sonnettes disait qu’elle était manitou ; lorsqu’on trouva qu’elle ne tuait pas, il dit qu’elle n’avait plus de manitou. »
D’après M. Hewitt, chez les Sioux, les mots de mahopa, χube (Omaha), wakan (Dakota), signifient aussi le pouvoir et la qualité magiques.
Chez les Shoshones en général, le mot de pokunt a, selon M. Hewitt, la même valeur, le même sens que le mot de manitou chez les Algonquins ; et M. Fewkes [20], l’observateur des Hopis ou Mokis, affirme que, chez les Pueblos en général, la même notion est à la base de tous les rites magiques et religieux. M. Mooney [21] semble nous en désigner un équivalent chez les Kiowas.
Sous le terme de naual, au Mexique et dans l’Amérique centrale, nous croyons reconnaître une notion correspondante. Elle y est si persistante et si étendue qu’on a voulu en faire la caractéristique de tous les systèmes religieux et magiques, que l’on a appelée du nom de nagualisme. Le naual est un totem, d’ordinaire individuel. Mais il est plus ; c’est une espèce d’un Page 116genre beaucoup plus vaste. Le sorcier est naual, c’est un naualli ; le naual est spécialement son pouvoir de se métamorphoser, sa métamorphose et son incarnation. On voit par là que le totem individuel, l’espèce animale associée à l’individu lors de sa naissance paraît n’être qu’une des formes du naual. Étymologiquement, le mot, selon M. Seler [22], signifie science secrète ; et tous ses divers sens et ses dérivés se rattachent au sens originaire de pensée et d’esprit. Dans les textes nauhatls, le mot signifie ce qui est caché, enveloppé, déguisé. Ainsi, cette notion nous apparaît comme étant celle d’un pouvoir spirituel, mystérieux et séparé, qui est bien celui que suppose la magie.
En Australie, on rencontre une notion du même genre mais précisément elle est restreinte à la magie et même, plus particulièrement, au maléfice. La tribu de Perth lui donne le nom de boolya. Dans la Nouvelle-Galles du Sud, les noirs désignent par le mot koochie le mauvais esprit, la mauvaise influence personnelle ou impersonnelle, et qui a probablement la même extension. C’est encore l’arungquiltha des Aruntas. Ce « pouvoir malin » qui se dégage des rites d’envoûtement est à la fois une qualité, une force et une chose existant par soi-même que les mythes décrivent et à laquelle ils attribuent une origine.
La rareté des exemplaires connus de cette notion de force-milieu magique ne doit pas nous faire douter qu’elle ait été universelle. Nous sommes en effet bien mal informés sur ce genre de faits ; depuis trois siècles qu’on connaît les Iroquois, voilà seulement un an que notre attention a été appelée sur l’orenda. D’ailleurs, cette notion peut avoir existé sans avoir été exprimée : un peuple n’a pas plus besoin de formuler une pareille idée que d’énoncer les règles de sa grammaire. En magie, comme en religion, comme en linguistique, ce sont les idées inconscientes qui agissent. Ou bien certains peuples n’ont pas pris distinctement conscience de cette idée, ou bien certains autres ont dépassé le stade intellectuel où elle peut fonctionner normalement. De toutes façons, ils n’ont pu en donner une expression adéquate. Les uns ont vidé leur ancienne notion de pouvoir magique d’une partie de son premier contenu mystique ; elle est alors devenue à demi scientifique ; c’est le cas de la Grèce. Les autres, après avoir constitué une dogmatique, une mythologie, une démonologie complètes, Page 117sont arrivés à si bien réduire tout ce qu’il y avait de flottant et d’obscur dans leurs représentations magiques à des termes mythiques, qu’ils ont remplacé, au moins en apparence, le pouvoir magique, partout où il fallait l’expliquer, par le démon, les démons ou par des entités métaphysiques. C’est le cas de l’Inde. Ils l’ont fait en somme à peu près disparaître.
Pourtant, nous en retrouvons encore des traces. Elles subsistent, dans l’Inde, morcelées, sous le nom d’éclat, de gloire, de force, de destruction, de sort, de remède, de vertu des plantes. Enfin, la notion fondamentale du panthéisme hindou, celle de brahman, s’y relie, supposons-nous, par des attaches profondes et semble même la perpétuer, si du moins nous admettons, par hypothèse, que le brahman védique et celui des Upanisads et de la philosophie hindoue sont identiques. Bref, il nous semble qu’il s’est produit une véritable métempsycose des notions, dont nous voyons le commencement et la fin, sans saisir les phases intermédiaires. Dans les textes védiques, des plus anciens aux plus récents, le mot de bráhman, neutre, veut dire prière, formule, charme, rite, pouvoir magique ou religieux du rite. De plus, le prêtre magicien porte le nom de brahmán, masculin. Il n’y a entre les deux mots qu’une différence certes suffisante pour marquer une diversité de fonctions, mais insuffisante pour marquer une opposition de notions. La caste brahmanique est celle des brâhmanas, c’est-à-dire des hommes qui ont du bráhman. Le bráhman est ce par quoi agissent les hommes et les dieux et c’est, plus spécialement, la voix. En outre, on trouve déjà quelques textes qui disent qu’il est la substance, le cœur des choses (pratyantam) ce qu’il y a de plus intérieur : ce sont justement des textes atharvaniques, c’est-à-dire des textes du Veda des magiciens. Mais déjà cette notion se confond avec celle du dieu Brahmâ, nom masculin tiré du thème bráhman, qui commence à paraître. À partir des textes théosophiques, le bráhman rituel disparaît, il ne reste plus que le bráhman métaphysique. Le bráhman devient le principe actif, distinct et immanent, du tout du monde. Le bráhman est le réel, tout le reste n’est qu’illusion. Il en résulte que quiconque se transporte au sein du brahman par la mystique (yoga : union) devient un yogin, un yogiçvara, un siddha, c’est-à-dire a obtenu tous les pouvoirs magiques (siddhi : obtention) et par là, dit-on, se met en état de créer des mondes. Le brahman est le principe premier, total, séparé, animé et Page 118inerte de l’univers. Il est la quintessence. Il est encore le triple Veda et aussi le quatrième, c’est-à-dire la religion et la magie.
En Grèce, il n’en subsiste plus guère que l’ossature scientifique. Nous l’y trouvons sous l’aspect de la φύσις [23] à laquelle s’arrêtent en dernière analyse les alchimistes, et aussi de la δύναμις [24], ressort dernier de l’astrologie, de la physique et de la magie. La δύναμις est l’action de la φύσις et celle-ci est l’acte de la δύναμις. Et on peut définir la φύσις comme une espèce d’âme matérielle, non individuelle, transmissible, une sorte d’intelligence inconsciente des choses. Elle est, en somme, encore très voisine du mana.
Nous sommes donc en droit de conclure que partout a existé une notion qui enveloppe celle du pouvoir magique. C’est celle d’une efficacité pure, qui est cependant une substance matérielle et localisable, en même temps que spirituelle, qui agit à distance et pourtant par connexion directe, sinon par contact, mobile et mouvante sans se mouvoir, impersonnelle et revêtant des formes personnelles, divisible et continue. Nos idées vagues de chance et de quintessence sont de pâles survivances de cette notion beaucoup plus riche. C’est aussi, comme nous l’avons vu, en même temps qu’une force, un milieu, un monde séparé et cependant ajouté à l’autre. On pourrait dire encore, pour mieux exprimer comment le monde de la magie se superpose à l’autre sans s’en détacher, que tout s’y passe comme s’il était construit sur une quatrième dimension de l’espace, dont une notion comme celle de mana exprimerait, pour ainsi dire, l’existence occulte. L’image s’applique même si bien à la magie que les magiciens modernes, dès que fut découverte la géométrie à plus de trois dimensions, se sont emparés de ses spéculations pour légitimer leurs rites et leurs idées.
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Cette notion rend bien compte de ce qui se passe dans la magie. Elle fonde cette idée nécessaire d’une sphère superposée à la réalité, où se passent les rites, où le magicien pénètre, qu’animent les esprits, que sillonnent les effluves magiques. D’autre part, elle légitime le pouvoir du magicien, elle justifie la nécessité des actes formels, la vertu créatrice des mots, les connexions sympathiques, les transferts de qualités et d’influences. Elle explique enfin la présence des esprits et leur intervention, puisqu’elle fait concevoir toute Page 119force magique comme spirituelle. Enfin, elle motive la croyance générale qui s’attache à la magie, puisque c’est à elle qu’est réduite la magie, quand on la dépouille de ses enveloppes, et elle alimente cette même croyance, puisque c’est elle qui anime toutes les formes dont la magie se revêt. Par elle, la vérité de la magie est mise hors de toute discussion et le doute même tourne en sa faveur. Cette notion est en effet la condition même de l’expérimentation magique, et permet d’interpréter les faits les plus défavorables au bénéfice du préjugé. En fait, elle échappe elle-même à tout examen. Elle est donnée a priori, préalablement à toute expérience. À proprement parler, elle n’est pas, en effet, une représentation de la magie comme le sont la sympathie, les démons, les propriétés magiques. Elle régit les représentations magiques, elle est leur condition, leur forme nécessaire. Elle fonctionne à la façon d’une catégorie, elle rend possibles les idées magiques comme les catégories rendent possibles les idées humaines. HubertCe rôle, que nous lui attribuons, de catégorie inconsciente de l’entendement, est justement exprimé par les faits. Nous avons vu combien il était rare qu’elle arrivât à la conscience, et plus rare encore qu’elle y trouvât son expression. C’est qu’elle est inhérente à la magie comme le postulatum d’Euclide est inhérent à notre conception de l’espace.
MaussMais il est bien entendu que cette catégorie n’est pas donnée dans l’entendement individuel, comme le sont les catégories de temps et d’espaces ; la preuve en est qu’elle a pu être fortement réduite par les progrès de la civilisation et qu’elle varie dans sa teneur avec les sociétés et avec les diverses phases de la vie d’une même société. Elle n’existe dans la conscience des individus qu’en raison même de l’existence de la société, à la façon des idées de justice ou de valeur ; nous dirions volontiers que c’est une catégorie de la pensée collective.
De notre analyse il résulte aussi que la notion de mana est du même ordre que la notion de sacré. D’abord, dans un certain nombre de cas, les deux notions se confondent : notamment chez les Algonquins, l’idée de manitou, chez les Iroquois, l’idée d’orenda, en Mélanésie, l’idée de mana, sont aussi bien magiques que religieuses. En outre, nous avons vu, en Mélanésie, qu’il existe des relations entre la notion de mana et celle de tabou ; nous avons vu qu’un certain nombre de choses à mana étaient Page 120tabou, mais que n’étaient tabou que des choses à mana. De même chez les Algonquins, si tous les dieux sont des manitous, tous les manitous ne sont pas dieux. Par conséquent, non seulement la notion de mana est plus générale que celle de sacré, mais encore celle-ci est comprise dans celle-là, celle-ci se découpe sur celle-là. Il est probablement exact de dire que le sacré est une espèce dont le mana est le genre. Ainsi, sous les rites magiques, nous aurions trouvé mieux que la notion de sacré que nous y cherchions, nous en aurions retrouvé la souche.
Mais nous revenons au dilemme de notre préface. Ou la magie est un phénomène social et la notion de sacré est bien un phénomène social, ou la magie n’est pas un phénomène social et alors la notion de sacré ne l’est pas davantage. Sans vouloir entrer ici dans des considérations sur la notion de sacré prise en elle-même, nous pouvons faire un certain nombre de remarques tendant à démontrer le caractère social à la fois de la magie et de la notion de mana. La qualité de mana, ou de sacré, s’attache à des choses qui ont une position tout spécialement définie dans la société, à tel point qu’elles sont souvent considérées comme mises hors du domaine et de l’usage commun. Or, ces choses tiennent dans la magie une place considérable ; elles sont ses forces vives.
Des êtres et des choses qui, par excellence, sont magiques, ce sont les âmes des morts et tout ce qui touche à la mort : témoin le caractère éminemment magique de la pratique universelle de l’évocation des morts, témoin la vertu partout attribuée à la main du mort dont le contact rend invisible comme le mort lui-même, et mille autres faits encore. Ces mêmes morts sont également l’objet des rites funéraires, quelquefois des cultes ancestraux dans lesquels se marque combien leur condition est différente de celle des vivants. Nous dira-t-on que, dans certaines sociétés, la magie n’a pas affaire à tous les morts, mais surtout à ceux qui sont morts de mort violente, aux criminels en particulier ? C’est une preuve de plus de ce que nous voulons montrer ; car ceux-là sont l’objet de croyances et de rites qui en font des êtres tout à fait différents, non seulement des mortels, mais encore des autres morts. Mais, en général, tous les morts, cadavres et esprits, forment, par rapport aux vivants, un monde à part, où le magicien puise ses pouvoirs de mort, ses maléfices.
De même les femmes, dont le rôle en magie est théoriquePage 121ment si important, ne sont crues magiciennes, dépositrices de pouvoirs, qu’à cause de la particularité de leur position sociale. Elles sont réputées qualitativement différentes des hommes et douées de pouvoirs spécifiques : les menstrues, les actions mystérieuses du sexe et de la gestation ne sont que les signes des qualités qu’on leur prête. La société, celle des hommes, nourrit à l’égard des femmes de forts sentiments sociaux que, de leur côté, elles respectent et même partagent. De là leur situation juridique, spécialement leur situation religieuse différente ou inférieure. Mais c’est précisément ce qui fait qu’elles sont vouées à la magie et que celle-ci leur donne une position inverse de celle qu’elles occupent dans la religion. Les femmes dégagent constamment des influences malignes. Nirrtir hi strî « la femme c’est la mort », disent les vieux textes brahmaniques Maitrayânî samhitâ, 1, 10, 11). C’est la misère et la sorcellerie. Elles ont le mauvais œil. Voilà pourquoi, si l’activité des femmes, en magie, est moindre que les hommes ne l’ont faite, elle est cependant plus grande que celle qu’elles ont eue en religion.
Comme le montrent ces deux exemples, la valeur magique des choses résulte de la position relative qu’elles occupent dans la société ou par rapport à celle-ci. Les deux notions de vertu magique et de position sociale coïncident dans la mesure où c’est l’une qui fait l’autre. Il s’agit toujours au fond, en magie, de valeurs respectives reconnues par la société. Ces valeurs ne tiennent pas, en réalité, aux qualités intrinsèques des choses et des personnes, mais à la place et au rang qui leur sont attribués par l’opinion publique souveraine, par ses préjugés. Elles sont sociales et non pas expérimentales. C’est ce que prouvent excellemment la puissance magique des mots et le fait que, souvent, la vertu magique des choses tient à leur nom ; d’où il résulte que, dépendant des dialectes et des langues, les valeurs en question sont tribales et nationales. Ainsi, les choses et les êtres, et les actes, sont ordonnés hiérarchiquement, se commandent les uns les autres et c’est suivant cet ordre que se produisent les actions magiques, quand elles vont du magicien à une classe d’esprits, de celle-ci à une autre classe, et ainsi de suite, jusqu’à l’effet. Ce qui nous a séduits dans le mot de « potentialité magique » que M. Hewitt applique aux notions de mana et d’orenda, c’est qu’il implique précisément l’existence d’une sorte de potentiel magique, et, en effet, c’est bien ce que nous venons de décrire. Ce que nous appePage 122lions place relative ou valeur respective des choses, nous pourrions l’appeler aussi bien différence de potentiel. Car c’est en vertu de ces différences qu’elles agissent les unes sur les autres. Il ne nous suffit donc pas de dire que la qualité de mana s’attache à certaines choses en raison de leur position relative dans la société, mais il nous faut dire que l’idée de mana n’est rien autre que l’idée de ces valeurs, de ces différences de potentiel. C’est là le tout de la notion qui fonde la magie et, partant, de la magie. Il va de soi qu’une pareille notion n’a pas de raison d’être en dehors de la société, qu’elle est absurde au point de vue de la raison pure et qu’elle ne résulte que du fonctionnement de la vie collective.
Nous ne voyons pas, dans ces hiérarchies de notions, dominées par l’idée de mana, le produit de multiples conventions artificielles conclues entre individus, magiciens et profanes, puis, traditionnellement acceptées au nom de la raison, bien qu’elles fussent entachées d’erreurs originelles. Bien au contraire, nous croyons que la magie est, comme la religion, affaire de sentiments. Nous dirons, plus exactement, pour employer le langage abstrus de la théologie moderne, que la magie, comme la religion, est un jeu de « jugements de valeur », c’est-à-dire d’aphorismes sentimentaux, attribuant des qualités diverses aux divers objets qui entrent dans son système. Mais ces jugements de valeur ne sont pas l’œuvre des esprits individuels ; ils sont l’expression de sentiments sociaux qui se sont formés, tantôt fatalement et universellement, tantôt fortuitement, à l’égard de certaines choses, choisies pour la plupart d’une façon arbitraire, plantes et animaux, professions et sexes, astres, météores, éléments, phénomènes physiques, accidents du sol, matières, etc. La notion de mana, comme la notion de sacré, n’est en dernière analyse que l’espèce de catégorie de la pensée collective qui fonde ces jugements, qui impose un classement des choses, sépare les unes, unit les autres, établit des lignes d’influence ou des limites d’isolement.Non attribuéPage 123
[1] Avant de s’embarquer pour une carrière de missionnaire en Mélanésie, où il passa plus de vingt ans, Robert Henry Codrington (1830-1922) avait étudié la philologie à Oxford. Correspondant de Max Müller, il mit à contribution son expertise linguistique pour produire, outre son étude ethnographique classique, une traduction du Nouveau Testament en langue de Mota ainsi qu’une grammaire mélanésienne comparée.
[2] Dans son manuscrit, Mauss ajoute : « ce mot exprime en un seul une série d’idées que nous exprimerions nous par plusieurs mots ».
[3] Dans le manuscrit, on peut lire : « de notions »
[4] Dans une autre version du manuscrit de Mauss, on peut lire : « il y a des difficultés considérables à observer les idées de ce genre naturellement troubles et vagues, abstraites et pourtant riches d’éléments concrets, générales et pourtant étrangement spécialisées. En l’absence de textes concrets, force nous est de retracer d’une façon seulement à demi philologique ce qu’est le mana. L’importance de cette notion a frappé les premiers observateurs, les missionnaires plus précisément. »
[5] Dans un appel de note, Mauss ajoute : « En Mélanésie, nous espérons le montrer plus tard si les rites magiques sont suffisamment distants des rites religieux, les rites magiques et les expressions religieuses se confondent tout à fait ».
[6] On peut lire dans le manuscrit : « Selwyn Bishop Melanesian Mission ». La mission mélanésienne a été fondée en 1849 par George Augustus Selwyn (1809-1978) pour évangéliser les iles Salomon, Santa Cruz et le nord des Nouvelles Hébrides. A partir de 1871, R. H. Codrington continua la mission avec l’aide des Églises de la Nouvelles Zélande et de l’Australie. Mauss fait certainement référence à l’ouvrage The Island Mission. Being a History of the Melanesian Mission from its Commencement, London, Macintosh, 1869.
[7] On peut lire dans le manuscrit : « Seul Codrington sur l’emprise du mana des flèches empoisonnées, p. 368-369 ».
[8] Cette partie du texte n’a pas été reprise dans la publication finale : « En troisième lieu le mana est une force de l’esprit vivant et actif. On la figure sous la forme d’esprit dont il est la principale qualité. Il est une activité spirituelle. Voir [îles] Banks, p. 124 ».
[9] Dans son manuscrit, Mauss ajoute : « il s’agit de 12 espèces de plantes, attachées à 12 espèces de Tindalos ».
[10] Dans son manuscrit, Mauss ajoute : « on les fait froisser au patient ».
[11] On peut lire dans le manuscrit ce passage non repris : « Par ces habitudes sociales le mana est représenté comme quelque chose non seulement de mystérieux mais encore de séparé ».
[12] Dans une autre version du manuscrit, on peut lire : « en somme le mana est essentiellement une espèce d’éther, d’essence mobile et communicable, de force qualitative que l’on peut mettre partout où l’on a intérêt à la mettre et qui est une réalité partout. On peut faire que le filet devienne mana, est (ait ?)du mana le canot, les reliques d’ancêtres et la maison qu’on construit. On les a fabriqués, on leur donne par un surcroît de rite la qualité qui les rend efficace, qui fait des filets un filet qui prenne, de la maison une maison solide, du canot un moyen sûr de naviguer. On met le mana dans le champ, et c’est lui qui fait pousser la récolte de graines de taros, et non pas les semailles ni l’espèce de labour à la houe. On le met dans les médecines, et si ces médecines sauvent ou guérissent c’est grâce à leur mana. On le met dans l’os de mort qui garnit la flèche. Action magique est surajoutée mettent (mais ?) en même temps qu’elle est confondue avec l’action mécanique.
Mais ce n’est pas de ce point de vue quelque chose de parfaitement immatériel, c’est quelque chose de localisable, de perceptible presque, en connexion directe avec ses effets puisqu’au fond tous les effets lui sont attribués. Quoi qu’il en soit par principe surajouté à l’expérience il est inhérent à l’expérience puisqu’il l’absorbe. Il ne peut être dit vraiment surnaturel, il n’est surnaturel qu’en un sens car il est inhérent à la nature.
C’est une espèce de monde interne, séparé des forces mécaniques et sensible, où est censée résider toute réalité et toute vie, d’où l’on s’écarte et où l’on agit par où l’on agit. Pour prendre une comparaison, c’est comme si les choses étaient dans un autre espace, comme si les rites agissaient suivant une espèce de quatrième dimension de l’espace, en même temps qu’elle se passe dans le nôtre.
Homogène et hétérogène au monde sensible est le monde du mana ; il en est séparé et lui est inhérent ».
[13] On peut lire dans le manuscrit : « Fort improprement mais la confusion est intéressante ».
[14] On peut lire dans le manuscrit : « Doublement vague ».
[15] Mauss fait ici en note deux références. La première concerne le livre de Van Gennep, Tabou et totémisme à Madagascar ; étude descriptive et théorique (1904), que Mauss connaît pour avoir participé à son jury à l’EPHE ; la seconde renvoie à The Maori-Polynesian Comparative Dictionary d’Edward Tregear (1891).
[16] Voici la référence exacte de cet article : Hewitt, J.N.B. « Orenda and a Definition of Religion », American Anthropologist. L’article est disponible en ligne.
[17] On peut lire dans une autre version du manuscrit : « l’orenda, lui aussi, est distinct des choses auxquelles il est attaché, à tel point qu’on peut l’exhaler et le lancer. Ainsi l’esprit faiseur d’orage lance son orenda représenté par les nuages. Il est le son qu’émettent les choses : les animaux qui crient, les oiseaux qui chantent, les arbres qui bruissent, le vent qui souffle expriment leur orenda. De même la voix de l’enchanteur est de l’orenda. Justement le nom de la formule orale c’est de l’orenda. Orenda signifie proprement prière, chant. L’orenda des choses est une sorte d’incantation. Même si l’incantation est l’orenda par excellence, tout rite est orenda, nous dit expressément Mr Hewitt ; et par là l’orenda se rapproche du mana. »
[18] Jean-Baptiste Thavenet (1763-1844), on l’envoie à titre de missionnaire à Lac-des-Deux-Montagnes (Oka) en 1800. Thavenet y apprend suffisamment l’algonquin pour être en mesure de traduire des ouvrages dans cette langue et de préparer un dictionnaire algonquin-français, qui restera à l’état de manuscrit.
[19] La référence exacte est : E. Teza, Intorno agli studi del Thavenet sulla lingua algonchtna : Osservazioni di E. Teza, Pisa, 1880.
[20] Fewkes, Jesse Walter (1850-1930), dont Mauss connaît bien le travail pour avoir fait la recension de « Tusayan Snake Cérémonies » (16th Annual Report of Ethnology, Washington, 1897), L’Année sociologique, 2, pp. 233-234. Repris dans Œuvres, I, pp. 549-550.
[21] Mooney, James (1861-1921). Mauss a fait la recension de son travail publié par la Smithsonian Institution. Bureau of American Ethnology : Myths of the Cherokees, Washington, 1902. Voir L’Année sociologique, 1, pp. 334-335.
[22] Eduard Seler (1849 –1922). Mauss a recensé dans l’Année sociologique son « Zauberei und Zauberer im alten Mexico », Berlin, Spemann, 1899. Voir L’Année sociologique, 4, p. 181-183. Repris dans Œuvres, II, pp. 338-389.
[23] Phusis, ‘nature’.
[24] Dunamis, ‘force’.