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Les Actes
Page 40Mauss Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Les actes du magicien sont des rites, et nous allons montrer, en les décrivant, qu’ils répondent bien à tout ce que contient la notion de rite. Il faut noter que, dans les recueils de folklore [1], ils nous sont souvent présentés sous une forme très peu compliquée et très banale ; si les auteurs de ces recueils ne nous disaient pas eux-mêmes, au moins implicitement, que ce sont des rites, nous serions tentés de n’y voir que des gestes très vulgaires et sans caractère spécial. Mais nous prétendons qu’en général ce ne sont pas des actes simples et dépourvus de toute solennité. Leur simplicité apparente vient de ce qu’ils sont mal décrits, ou mal observés, ou bien de ce qu’ils se sont usés. Quant à nous, ce n’est évidemment pas parmi les rites réduits et mal connus que nous allons chercher les traits typiques du rituel magique.
Nous connaissons, au contraire, un très grand nombre de rites magiques qui sont fort complexes. Non attribuéLe rituel de l’envoûtement hindou, par exemple, est extraordinairement étendu (Kauçika sûtra, 47-49 [2]) . Il exige tout un matériel de bois de mauvais augure, d’herbes coupées de certaines façons, d’huile particulière, de feu sinistre ; l’orientation est inverse de l’orientaPage 41tion des rites de bon augure ; on s’établit dans un lieu désert et dont le sol est salé ; enfin l’enchantement doit se faire, à une date, indiquée en termes ésotériques, mais évidemment à une date sinistre, et dans l’ombre (aroka), sous un astérisme néfaste (47, 1-11). Vient ensuite une initiation spéciale, très longue, de l’intéressé, une dîṣkâ, dit le commentaire (Keçava ad sû. 12), analogue à celle que subit le sacrifiant à l’entrée d’un sacrifice solennel. À partir de ce moment, c’est le brahman qui devient le protagoniste du rite principal, ou plutôt des rites qui forment l’envoûtement proprement dit ; car il est impossible de savoir, à la lecture de notre texte, si les trente-deux types de rites, que nous avons comptés (47, 23 à 49, 27), rites dont plusieurs ont jusqu’à trois formes, font partie d’une seule et immense cérémonie, ou s’ils sont théoriquement distincts. Toujours est-il que l’un des moins compliqués, pratiqué sur un voult d’argile (49, 23), ne s’étend pas sur moins de douze jours. L’envoûtement se termine par une purification rituelle (49, 27). — Les rites de l’imprécation chez les Cherokees, ou les Pitta-Pitta du Queensland ne sont pas beaucoup plus simples. Enfin, nous avons, dans nos papyrus grecs et dans nos textes assyriens, des exorcismes et des rites de divination qui ne sont guère moins longs.
1º Les conditions des rites. - MaussSi maintenant nous passons à l’analyse du rite en général, nous devons noter d’abord qu’un précepte magique comprend, outre l’indication d’une ou plusieurs opérations centrales, l’énumération d’un certain nombre d’observances accessoires, tout à fait équivalentes à celles qui entourent les rites religieux. Toutes les fois que nous sommes en présence de véritables rituels, de manuels liturgiques, l’énumération précise des circonstances n’y manque point.
Le moment où le rite doit s’accomplir est soigneusement déterminé. Certaines cérémonies doivent se faire la nuit ou à des heures choisies de la nuit, à minuit, par exemple ; d’autres, à certaines heures du jour, au coucher du soleil ou à son lever ; les deux crépuscules sont spécialement magiques. Les jours de la semaine ne sont pas indifférents ; tel le vendredi, le jour du sabbat, sans préjudice des autres jours : dès qu’il y a eu semaine, le rite a été affecté à un jour fixe. De même, le rite est daté dans le mois, mais il l’est surtout, et peut-être de préférence, par le cours et le décours de Page 42la lune. Les dates lunaires sont celles dont l’observance est le plus généralement fixée. Dans l’Inde ancienne, théoriquement, tout rite magique était attaché à un sacrifice de la nouvelle et de la pleine lune. Même, il semble résulter des textes anciens et il appert de textes plus modernes que la quinzaine claire était réservée aux rites de bon augure, la quinzaine obscure aux rites de mauvais augure. Le cours des astres, les conjonctions et les oppositions de la lune, du soleil, des planètes, les positions des étoiles sont également observés [3]. Par là, l’astrologie se trouve annexée à la magie, à tel point qu’une partie de nos textes magiques grecs se trouve dans des ouvrages astrologiques, et que, dans l’Inde, le grand ouvrage astrologique et astronomique du haut moyen âge consacre à la magie toute sa dernière partie. Le mois, le numéro d’ordre de l’année dans un cycle entrent quelquefois en ligne de compte. En général, les jours de solstice, d’équinoxe, et surtout les nuits qui les précèdent, les jours intercalaires, les grandes fêtes, chez nous, celles de certains saints, toutes les époques un peu singularisées sont tenues pour exceptionnellement favorables. Il arrive que toutes ces données s’enchevêtrent et déterminent des conditions très rarement réalisables ; si l’on en croyait les magiciens hindous certains rites ne pourraient se pratiquer avec fruit que tous les quarante-cinq ans.
La cérémonie magique ne se fait pas n’importe où, mais dans les lieux qualifiés. La magie a souvent de véritables sanctuaires, comme la religion ; il y a des cas où leurs sanctuaires sont communs, par exemple en Mélanésie, en Malaisie et aussi dans l’Inde moderne, où l’autel de la divinité de village sert à la magie ; dans l’Europe chrétienne, où certains rites magiques doivent être exécutés dans l’église et jusque sur l’autel [4]. Dans d’autres cas, le lieu est choisi parce que les cérémonies religieuses ne doivent pas s’y faire et qu’il est soit impur, soit tout au moins l’objet d’une considération spéciale. Les cimetières, les carrefours et la forêt, les marais et les fosses à détritus, tous les endroits où habitent les revenants et les démons, sont pour la magie des places de prédilection. On fait de la magie sur les limites des villages et des champs, les seuils, les foyers, les toits, les poutres centrales, les rues, les routes, les traces, en tout endroit qui a une détermination quelconque. Le minimum de qualification dont on puisse se contenter, c’est que le lieu ait une corrélation Page 43suffisante avec le rite ; pour enchanter un ennemi, on crache sur sa maison ou devant lui. A défaut d’autre détermination, le magicien trace un cercle ou un carré magique, un templum, autour de lui, et c’est là qu’il travaille.
Nous venons de voir qu’il y avait, au rite magique comme au sacrifice, des conditions de temps et de lieu. Il y en a d’autres encore. On utilise sur le terrain magique des matières et des instruments, mais ces derniers ne sont jamais quelconques. Leur préparation et leur choix sont l’objet de rites et sont même tout particulièrement soumis, eux aussi, à des conditions de temps et de lieu. Ainsi, le chamane cherokee va chercher ses herbes médicinales à tel jour de la lune, au lever du soleil ; il les cueille dans un ordre fixé, avec certains doigts, en ayant soin que son ombre ne porte pas sur elles, et après avoir exécuté des circuits rituels. On emploie du plomb qui vient des bains, de la terre qui vient du cimetière et ainsi de suite. La confection ou la mise en état des choses, des matériaux du rituel, est longue, minutieuse. Dans l’Inde, tout ce qui entrait dans la composition d’une amulette ou d’un philtre devait obligatoirement avoir macéré, être oint longtemps à l’avance et d’une façon spéciale. Normalement, les choses magiques sont, sinon consacrées au sens religieux, du moins incantées, c’est-à-dire revêtues d’une sorte de consécration magique.
Outre ces enchantements préalables, une bonne partie des choses employées ont déjà, comme souvent la victime du sacrifice, une première qualification. Les unes sont qualifiées par la religion, restes de sacrifices qui eussent dû être consommés ou détruits, os de morts, eaux de lustration, etc. Les autres sont généralement, pour ainsi dire, disqualifiées, comme les restes de repas, les détritus, les rognures d’ongles et les cheveux coupés, les excréments, les fœtus, les ordures ménagères et, en général, tout ce qu’on rejette et qui n’est pas d’un emploi normal. Puis viennent un certain nombre de choses qui paraissent être employées pour elles-mêmes, en vertu de leurs propriétés réelles ou supposées, ou encore de leur corrélation avec le rite : animaux, plantes, pierres ; enfin, d’autres substances telles que la cire, la colle, le plâtre, l’eau, le miel, le lait, qui ne servent qu’à amalgamer et à utiliser les autres et semblent être le plat sur lequel la cuisine magique est servie. Ces dernières substances elles-mêmes ont souvent leurs vertus propres et sont l’objet de prescriptions, quelquePage 44fois très formelles : dans l’Inde, il est, d’ordinaire, prescrit d’employer le lait d’une vache d’une couleur déterminée et dont le veau a la même couleur qu’elle. L’énumération de toutes ces substances forme la pharmacopée magique. Elle a dû tenir dans l’enseignement de la magie la place considérable qu’elle occupe dans les doctrinaux. Mais si, pour le monde gréco-romain, elle est si énorme qu’elle semble illimitée, c’est que la magie gréco-romaine ne nous a pas laissé de rituel ou de Code magiques pratiques qui soient généraux et complets. Il ne nous semble pas douteux que, normalement, pour un groupe défini de magiciens, en un temps donné, elle ait été presque parfaitement limitée, comme nous le voyons dans les textes atharvaniques, aux chapitres VIII à XI du Kauçika Sûtra, ou même dans les manuscrits cherokees. Les listes de matières ont eu, selon nous, le caractère impératif d’un Codex de pharmacie et nous considérons, en principe, les livres de pharmacopée magique qui nous sont intégralement parvenus, comme ayant été, chacun à son heure, le manuel complet et limitatif d’un magicien ou d’un groupe de magiciens [5].
Outre l’emploi de ces matériaux [6], les cérémonies comportent celui de tout un outillage, dont les pièces ont fini par avoir une valeur magique qui leur est propre [7]. Le plus simple de ces outils, c’est la baguette magique. La boussole divinatoire chinoise a été l’un des plus complexes. Les magiciens gréco-latins ont tout un arsenal de bassins, d’anneaux, de couteaux, d’échelles, de rouelles, de crécelles, de fuseaux, de clefs, de miroirs, etc. Le sac-médecine d’un Iroquois ou d’un Siou, avec ses poupées, ses plumes, ses cailloux, ses perles tissées, ses ossements, ses bâtons à prières, ses couteaux et ses flèches, est aussi plein de choses hétéroclites que le cabinet du docteur Faust.
Quant au magicien et à son client, ils sont, par rapport au rite magique, ce que le sacrifiant et le sacrificateur sont par rapport au sacrifice : ils doivent, eux aussi, se soumettre à des rites [8] préliminaires, qui ne portent quelquefois que sur eux, mais quelquefois aussi sur leur famille ou sur leur groupe tout entier. Entre autres prescriptions, ils doivent rester chastes, être purs, faire des ablutions préalables, s’oindre ; jeûner ou s’abstenir de certains aliments ; ils doivent porter un vêtement spécial, ou bien neuf, ou bien sale, tout blanc ou avec des bandelettes pourpres, etc. ; ils doivent se grimer, se Page 45masquer, se déguiser, se couronner, etc. ; quelquefois, ils doivent être nus, peut-être pour enlever toute barrière entre eux et les pouvoirs magiques, peut-être pour agir par l’indécence rituelle de la bonne femme du fabliau. Enfin, certaines dispositions mentales sont exigées ; il est nécessaire d’avoir la foi, d’être sérieux [9].
L’ensemble de toutes ces observances concernant le temps, le lieu, les matériaux, les instruments, les agents de la cérémonie magique, constitue de véritables préparations, des rites d’entrée dans la magie, semblables aux rites d’entrée dans le sacrifice, dont nous avons parlé ailleurs. Ces rites sont si importants qu’ils forment eux-mêmes des cérémonies distinctes par rapport à la cérémonie qu’ils conditionnent. D’après les textes atharvaniques, un sacrifice précède la cérémonie et souvent des rites surérogatoires s’y mêlent, pour préparer chaque nouveau rite ; en Grèce, on prévoit la confection, longuement décrite, de phylactères spéciaux, prières orales ou écrites, talismans divers, qui ont pour but de protéger l’opérateur contre la puissance qu’il emploie, contre ses propres erreurs ou contre les machinations de ses adversaires. On pourrait, du point de vue où nous sommes placés, considérer comme rites préparatoires un certain nombre de cérémonies, qui tiennent souvent une place sans proportion avec l’importance du rite central, c’est-à-dire de celui qui répond précisément au but qu’on veut atteindre. Telles sont les danses magiques, la musique continuelle, les tamtams [10] ; telles encore les fumigations, les intoxications. Toutes ces pratiques mettent les officiants et leurs clients dans un état spécial, non seulement moralement et psychologiquement, mais quelquefois physiologiquement différent de leur état normal, état qui est parfaitement réalisé dans les transes chamaniques, les rêves volontaires ou obligatoires, qui sont aussi des rites. Le nombre et la grandeur de ces faits prouvent que le rite magique se passe dans un milieu magique différencié, milieu que l’ensemble des préparations de la cérémonie a pour objet de limiter et de distinguer des autres milieux. À la rigueur, une simple attitude, un murmure, un mot, un geste, un regard suffit pour en indiquer la présence [11].
Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Comme pour le sacrifice, il y a encore, sinon toujours, du moins assez régulièrement, des rites de sortie, destinés à limiter les effets du rite et à assurer l’impunité des acteurs. HubertOn rejette ou l’on détruit les produits de la cérémonie qui ne Page 46sont pas utilisés ; on se lustre ; on quitte le terrain magique en ayant soin de ne pas tourner la tête. Ce ne sont pas là de simples précautions individuelles, elles sont prescrites ; ce sont des règles d’action, qui figurent expressément au rituel cherokee ou dans le rituel atharvanique et ont dû faire également partie des rituels de magie gréco-latins. Virgile a soin de les mentionner à la fin de la huitième églogue (v. 102).
Fer cineres, Amarylli, foras, rivoque fluenti
Transque caput jace ; nec respexeris
... [12]
Dans la Μαντεία Κρονική [13], cérémonie divinatoire dont la liturgie nous est donnée par le grand Papyrus magique de Paris, nous trouvons encore une prière finale qui est un véritable rite de sortie.
En règle générale, on peut dire que la magie multiplie les conditions des rites, au point de paraître rechercher des échappatoires et même d’en trouver. La tradition littéraire relative à la magie, bien loin d’avoir réduit le caractère apparemment compliqué de ses opérations, semble l’avoir développé à plaisir. C’est qu’il tient étroitement à l’idée de la magie. Il est d’ailleurs naturel que les magiciens se soient retranchés, en cas d’insuccès, derrière la procédure et les vices de forme. Mais on n’a pas le droit de supposer qu’il n’y ait eu là qu’un simple artifice. Les magiciens en auraient été les premières victimes, se rendant ainsi leur profession impossible. L’importance et la prolifération illimitée de ces rites tient directement aux caractères essentiels de la magie même. Il est à noter que la plupart des circonstances à observer sont des circonstances anormales. Si banal que soit le rite magique, on veut le faire rare. Ce n’est pas sans raison qu’on n’emploie que des herbes de la Saint-Jean, de la Saint-Martin, de la Noël, du Vendredi Saint ou des herbes de la nouvelle lune. Ce sont des choses qui ne sont pas ordinaires et il s’agit en somme de donner à la cérémonie ce caractère anormal vers lequel tend tout rite magique. Les gestes sont l’inverse des gestes normaux, ou tout au moins de ceux qui sont admis dans les cérémonies religieuses ; les conditions de temps et les autres sont apparemment irréalisables ; tout le matériel est de préférence immonde et les pratiques obscènes. Le tout a un air de bizarrerie, d’affectation, de contre-nature, aussi éloigné que possible de la simplicité à laquelle quelques-uns des derniers théoriciens ont réduit la magie.
Page 472º La nature des rites. - Nous arrivons maintenant aux cérémonies essentielles et directement efficaces. Elles comprennent d’ordinaire à la fois des rites manuels et des rites oraux [14]. En dehors de cette grande division, nous ne tentons pas une classification des rites magiques [15]. Nous constituons simplement, pour les besoins de notre exposition, un certain nombre de groupes de rites, entre lesquels il n’y a pas de distinction bien tranchée.
Les rites manuels. - Dans l’état actuel de la science des religions, le groupe des rites sympathiques ou symboliques est le premier qui se présente comme ayant plus particulièrement un caractère magique. Leur théorie a été suffisamment faite et des répertoires assez considérables en ont été dressés, pour que nous soyons dispensés d’y insister [16]. A la lecture de ces répertoires, on pourra peut-être penser que le nombre des rites symboliques est théoriquement indéfini et que tout acte symbolique est, par nature, efficace. Nous pensons, au contraire, sans cependant pouvoir en apporter la preuve, que, pour une magie donnée, le nombre des rites symboliques, prescrits et exécutés, est toujours limité. Nous croyons, en outre, qu’ils ne sont exécutés que parce qu’ils sont prescrits et non parce qu’ils sont logiquement réalisables. MaussEn face de l’infinité des symbolismes possibles, même des symbolismes observés dans l’ensemble de l’humanité, le nombre de ceux qui sont valables pour une magie est singulièrement petit. HubertNous pourrions dire qu’il y a toujours des codes limitatifs de symbolismes, si nous trouvions en réalité des catalogues de rites sympathiques Mauss ; ces catalogues, il est naturel que nous n’en ayons pas, car les magiciens n’ont eu besoin de classer les rites que par objets et non par procédés [17].
Nous ajouterons que, si le procédé sympathique est d’un emploi général dans toutes les magies et dans toute l’humanité, s’il y a même de véritables rites sympathiques, les magiciens n’ont pas, en général, librement spéculé sur la sympathie, ils se sont moins préoccupés du mécanisme de leurs rites que de la tradition qui les transmet et de leur caractère formel ou exceptionnel.
En conséquence, ces pratiques nous apparaissent, non pas comme des gestes mécaniquement efficaces, mais comme des actes solennels et de véritables rites [18]. En fait, des rituels qui nous sont connus, hindous, américains ou grecs, il nous Page 48serait fort difficile d’extraire une liste des rites sympathiques purs. Les variations sur le thème de la sympathie sont si nombreuses que celui-ci en est comme obscurci.
Mais il n’y a pas que des rites sympathiques en magie. Il y a d’abord toute une classe de rites qui équivalent aux rites de la sacralisation et de la désacralisation religieuses. Le système des purifications est si important que la çânti hindoue, l’expiation, semble avoir été une spécialité des brahmanes de l’Atharva Veda et que le mot de καθαρμός [19], en Grèce, a fini par désigner le rite magique en général. Ces purifications sont faites avec des fumigations, des bains de vapeur, des passages au feu, à l’eau, etc. Une bonne partie des rites curatifs et des rites conjuratoires sont faits de pareilles pratiques.
Il y a ensuite des rites sacrificiels. Il y en a dans la Μαντεία Κρονική [20], dont nous parlons plus haut, et dans l’envoûtement hindou. Dans les textes atharvaniques, outre les sacrifices obligatoires de préparation, la plus grande partie des rites sont des sacrifices ou en impliquent : ainsi, l’incantation des flèches se fait sur un bucher de bois de flèches, qui est sacrificiel ; dans tout ce rituel, une part de tout ce qui est consommé est nécessairement sacrifiée. Dans les textes grecs, les indications de sacrifices sont tout au moins fréquentes. L’image du sacrifice s’est même imposée au point de devenir en magie une image directrice, suivant laquelle s’ordonne dans la pensée l’ensemble des opérations ; ainsi, dans les livres alchimiques grecs, nous trouvons, à plusieurs reprises, la transmutation du cuivre en or expliquée par une allégorie sacrificielle. Le thème du sacrifice et, en particulier, du sacrifice d’enfant [21], est commun dans ce que nous savons de la magie antique et de celle du moyen âge ; on en rencontre des exemples un peu partout ; toutefois ils nous viennent plutôt du mythe que de la pratique magique. Nous considérons tous ces rites comme des sacrifices, parce qu’en fait ils nous sont donnés comme tels ; les vocabulaires ne les distinguent pas du sacrifice religieux pas plus qu’ils ne distinguent les purifications magiques des purifications religieuses. D’ailleurs, ils produisent les mêmes effets que les sacrifices religieux, ils dégagent des influences, des puissances et ce sont des moyens de communiquer avec celles-ci. Dans la Μαντεία Κρονική, le dieu est vraiment présent à la cérémonie. Les textes nous apprennent aussi que, dans ces rites magiques, les matières traitées se trouvent réellement transformées et divinisées. On lit Page 49dans une incantation qui ne nous paraît pas d’ailleurs avoir subi une influence chrétienne : Σὺ εἶ οἶνος οὐκ εἶ οἶνος, ἀλλ’ἡ κεφαλὴ τῆς ᾿Αθηνᾶς, σὺ εἶ οἶνος, οὐκ εἶ οἶνος, ἀλλά τὰ σπλάγχνα τοῦ ᾿Οσείρίος, τά σπλάγχνα τοῦ ᾿Ιαῶ [22]. (Papyrus, CXXI [B. M.], 710. [23])
Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Il y a donc des sacrifices dans la magie, mais nous n’en trouvons pas dans toutes les magies ; ainsi, chez les Cherokees ou en Australie, ils font défaut. En Malaisie, ils sont très réduits : les offrandes d’encens et de fleurs y sont probablement d’origine bouddhique ou hindouiste, et les sacrifices, très rares, de chèvres et de coqs semblent souvent d’origine musulmane. En principe, là où manque le sacrifice magique, le sacrifice religieux manque également. En tout cas, l’étude spéciale du sacrifice magique n’est pas aussi nécessaire à l’étude de la magie que celle du rite sympathique et nous la réservons pour un autre travail, où nous comparerons spécialement le rite magique au rite religieux. HubertToutefois, on peut déjà poser en thèse générale que les sacrifices ne forment pas, dans la magie, comme dans la religion, une classe bien fermée de rites très spécialisés. MaussD’une part, comme dans l’exemple cité plus haut du sacrifice de bois de flèches et, par définition, dans tous les cas de sacrifices expiatoires magiques, ils ne font qu’envelopper le rite sympathique, dont ils sont alors, à proprement parler, la forme. D’autre part, ils touchent à la cuisine magique. Ils ne sont plus qu’une manière entre mille de la faire. HubertAinsi, dans la magie grecque, la confection des κολλούρια ne se distingue pas des sacrifices [24] ; les papyrus donnent aux mélanges magiques destinés aux fumigations ou à tout autre chose le nom d’ἐπιθύματα [25].
Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Nous nous trouvons ici en présence d’une grande classe de pratiques mal définies qui tiennent, dans la magie et dans ses doctrinaux, une énorme place ; car elles confinent à l’emploi des substances dont les vertus doivent être transmises par contact ; en d’autres termes, elles fournissent le moyen d’utiliser les associations sympathiques ou d’utiliser sympathiquement les choses. Comme elles sont aussi étranges qu’elles sont générales, elles colorent de leur bizarrerie tout l’ensemble de la magie et fournissent un des traits essentiels de son image populaire. L’autel du magicien, c’est son chaudron magique. La magie est un art d’accommoder, de préparer des mélanges, des fermentations et des mets. Ses produits sont triturés, broyés, malaxés, dilués, transformés en parfums, en boissons, en infusions, en pâtes, en gâteaux à formes Page 50spéciales, en images, pour être fumigés, bus, mangés ou gardés comme amulettes. Cette cuisine, chimie ou pharmacie, n’a pas seulement pour objet de rendre utilisables les choses magiques, elle sert à leur donner la forme rituelle, qui fait partie, et non la moindre, de leur efficacité. Elle est elle-même rituelle, très formelle et traditionnelle ; les actes qu’elle comporte sont des rites. Ces rites ne doivent pas être rangés indifféremment parmi les rites préparatoires ou concomitants d’une cérémonie magique. La préparation des matières et la confection des produits est l’objet principal et central de cérémonies complètes, avec rites d’entrée Mausset rites de sortie. Ce qu’est au sacrifice l’accommodation de la victime, cette cuisine l’est au rite magique. C’est un moment du rite.
Cet art d’accommoder les choses est compliqué d’autres industries. HubertLa magie prépare des images, faites de pâte, d’argile, de cire, de miel, de plâtre, de métal ou de papier Maussmâché, de papyrus ou de parchemin, de sable ou de bois, etc. La magie sculpte, modèle, peint, dessine, brode, tricote, tisse, grave ; elle fait de la bijouterie, de la marqueterie, et nous ne savons combien d’autres choses. Ces divers métiers lui procurent ses figurines de dieux ou de démons, ses poupées d’envoûtement, ses symboles. Elle fabrique des gris-gris, des scapulaires, des talismans, des amulettes, tous objets qui ne doivent être considérés que comme des rites continués [26].
HubertLes rites oraux. - On désigne d’ordinaire les rites oraux magiques sous le nom générique d’incantations, et nous ne voyons pas de raison pour ne pas suivre méthodiquement l’usage. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y ait qu’une seule espèce de rites oraux en magie. Bien loin de là, le système de l’incantation a une telle importance dans la magie qu’il est, dans certaines magies, extrêmement différencié. Il ne semble pas qu’on lui ait jamais fait la part exacte qui lui revient. Â lire certains répertoires modernes, on pourrait croire que la magie ne se compose que de rites manuels ; les rites oraux n’y sont mentionnés que pour mémoire et disparaissent dans la longue énumération du reste. D’autres recueils au contraire, comme celui de Lönnrot [27], pour la magie finnoise, ne contiennent que des incantations. Il est rare qu’on nous donne une idée suffisante de l’équilibre des deux grandes classes de rites, comme l’ont fait Skeat pour la magie malaise, ou Mooney pour celle des Cherokees [28]. Les rituels ou les livres de magiciens montrent Page 51que d’ordinaire les uns ne vont pas sans les autres. Ils sont si intimement associés que, pour donner une idée exacte des cérémonies magiques, il faudrait les étudier concurremment. Si l’une des deux classes tendait à prédominer, ce serait plutôt celle des incantations. Il est douteux qu’il y ait eu de véritables rites muets, tandis qu’il est certain qu’un très grand nombre de rites ont été exclusivement oraux [29].
Nous trouvons dans la magie à peu près toutes les formes de rites oraux que nous connaissons dans la religion : serments, vœux, souhaits, prières, hymnes, interjections, simples formules. Mais, pas plus que nous n’avons essayé de classer les rites manuels, nous n’essayerons de classer sous ces rubriques les rites oraux. Elles ne correspondent pas ici à des groupes de faits bien définis. Le chaos de la magie fait que la forme des rites ne répond pas exactement à leur objet. Il y a des disproportions qui nous étonnent ; nous voyons des hymnes de la plus haute envolée associées aux fins les plus mesquines.
Il existe un groupe d’incantations qui correspond à ce que nous avons appelé les rites sympathiques. Les unes agissent elles-mêmes sympathiquement. Il s’agit de nommer les actes ou les choses et de les susciter ainsi par sympathie. Dans un charme médical ou dans un exorcisme, on jouera sur les mots qui signifient écarter, rejeter, ou bien sur ceux qui désignent la maladie ou le démon, cause du mal. Les calembours et les onomatopées comptent parmi les moyens employés pour combattre verbalement, par sympathie, la maladie. Un autre procédé, qui donne lieu à une sorte de classe d’incantations sympathiques, est la description même du rite manuel correspondant : Πάσσ’ ἅμα καὶ λέγε ταῦτα. τὰ Δέλφιδος ὀστίκ πάσσω (Théocrite, II, 21 [30]). Il semble qu’on ait supposé souvent que la description, ou la mention de l’acte, suffisent et à le produire et à produire son effet [31].
De même que la magie contient des sacrifices, elle contient aussi des prières, des hymnes, et tout particulièrement des prières aux dieux. Non attribuéVoici une prière védique prononcée au cours d’un simple rite sympathique contre l’hydropisie (Kauçika sûtra 25, 37 sq.) : « Cet Asura règne sur les dieux ; certes, la volonté du roi Varuna est vérité (se réalise immanquablement) ; de ceci (de cette maladie) moi qui excelle de toutes parts par mon charme, de la colère du terrible (dieu), je retire cet homme. Qu’honneur te soit (rendu) ô roi Varuna, à ta colère ; car, ô terrible, toute tromperie, tu la connais. Mille Page 52autres hommes, je te les abandonne ensemble ; que, par ta bonté (?), il vive cent automnes cet homme », etc. Varuna, dieu des eaux, qui sanctionne les fautes par l’hydropisie, est imploré naturellement au cours de cet hymne (Atharva Veda, I, 10), ou plus exactement de cette formule (brahman, vers 4). Dans les prières à Artémis et au soleil qu’on a relevées dans les papyrus magiques grecs, la belle teneur lyrique de l’invocation est dénaturée et étouffée par l’intrusion de tout le fatras magique. HubertLes prières et les hymnes qui rappellent de si près, pour peu qu’on les dépouille de cet appareil insolite, celles que nous sommes habitués à considérer comme religieuses, proviennent souvent de rituels religieux, en particulier de rituels abolis ou étrangers. Ainsi, M. Dieterich vient d’extraire du grand papyrus de Paris tout un morceau de liturgie mithriaque [32]. De même les textes sacrés, choses religieuses, peuvent devenir à l’occasion choses magiques. Les livres saints, Bible, Coran, Vedas, Tripitakas, ont fourni d’incantations une bonne partie de l’humanité. Que le système des rites oraux à caractère religieux se soit étendu à ce point dans les magies modernes, nous ne devons pas nous en étonner ; ce fait est corrélatif à l’extension de ce système dans la pratique de la religion, de même que l’application magique du mécanisme sacrificiel est corrélative à son application religieuse. Il n’y a pour une société donnée qu’un nombre limité de formes rituelles qui soient concevables.
Ce que les rites manuels ne font pas normalement dans la magie, c’est de retracer des mythes. Mais, par contre, nous avons un troisième groupe de rites verbaux, que nous appellerons incantations mythiques. De ces incantations, il y a une première sorte qui consiste à décrire une opération semblable à celle qu’on veut produire. Cette description a la forme d’un conte ou d’un récit épique et les personnages en sont héroïques ou divins. On assimile le cas présent au cas décrit comme à un prototype, et le raisonnement prend la forme suivante : Si un tel (dieu, saint ou héros) a pu faire telle ou telle chose (souvent plus difficile), dans telle circonstance, de même, ou à plus forte raison, peut-il faire la même chose dans le cas présent, qui est analogue. MaussUne deuxième classe de ces charmes mythiques est formée par ce qu’on a appelé les rites d’origine ; ceux-ci décrivent la genèse, énumèrent les qualités et les noms de l’être, de la chose ou du démon visé par le rite ; c’est une sorte de dénonciation qui dévoile l’objet du Page 53charme ; le magicien lui intente un procès magique, établit son identité, le traque, le force, le rend passif et lui intime des ordres.
Toutes ces incantations sont capables d’atteindre des dimensions considérables. Il est plus fréquent encore qu’elles se rétrécissent ; le balbutiement d’une onomatopée, d’un mot qui indique l’objet du rite, du nom de la personne désignée fait à la rigueur après que le rite oral n’ait plus qu’une action toute mécanique. Les prières se réduisent aisément à la simple mention d’un nom divin ou démoniaque, ou d’un mot religieux presque vide, comme le trisagion ou le qodesch, etc… Les charmes mythiques finissent par se borner à la simple énonciation d’un nom propre ou d’un nom commun. Les noms eux-mêmes se décomposent ; on les remplace par des lettres : le trisagion par sa lettre initiale, les noms des planètes par les voyelles correspondantes ; on en arrive ainsi aux énigmes que sont les Ἐφέσια γράμματα [33] ou aux fausses formules algébriques, auxquelles ont abouti les résumés d’opérations alchimiques.
Si tous ces rites oraux tendent vers les mêmes formes, c’est qu’ils ont tous la même fonction. Ils ont tout au moins pour effet d’évoquer une puissance et de spécialiser un rite. On invoque, on appelle, on rend présente la force spirituelle qui doit faire le rite efficace, ou tout au moins, on éprouve le besoin de dire sur quelle puissance on compte ; c’est le cas des exorcismes faits au nom de tel ou tel dieu ; on atteste une autorité, c’est le cas des charmes mythiques. D’autre part, on dit à quoi sert le rite manuel, et pour qui il est fait ; on inscrit ou on prononce sur les poupées d’envoûtement le nom de l’enchanté ; en cueillant certaines plantes médicinales, il faut dire à quoi et à qui on les destine. Ainsi, le charme oral précise, complète le rite manuel qu’il peut supplanter. Tout geste rituel, d’ailleurs, comporte une phrase ; car il y a toujours un minimum de représentation, dans lequel la nature et la fin du rite sont exprimées, tout au moins dans un langage intérieur. C’est pourquoi nous disons qu’il n’y a pas de véritable rite muet, parce que le silence apparent n’empêche pas cette incantation sous-entendue qu’est la conscience du désir. De ce point de vue, le rite manuel n’est pas autre chose que la traduction de cette incantation muette ; le geste est un signe et un langage. Paroles et actes s’équivalent absolument et c’est pourquoi nous voyons que des énoncés de rites Page 54manuels nous sont présentés comme des incantations. Sans acte physique formel, par sa voix, son souffle, ou même par son désir, un magicien crée, annihile, dirige, chasse, fait toutes choses [34].
Le fait que toute incantation soit une formule et que tout rite manuel ait virtuellement une formule, démontre déjà le caractère formaliste de toute la magie. Pour les incantations, personne n’a jamais mis en doute qu’elles fussent des rites, étant traditionnelles, formelles et revêtues d’une efficacité sui generis ; on n’a jamais conçu que des mots aient produit physiquement [35] les effets désirés. Pour les rites manuels, le fait est moins évident ; car il y a une correspondance plus étroite, quelquefois logique, quelquefois même expérimentale, entre le rite et l’effet désiré ; il est certain que les bains de vapeur, les frictions magiques ont réellement soulagé des malades. Mais, en réalité, les deux séries de rites ont bien les mêmes caractères et prêtent aux mêmes observations, Toutes deux se passent dans un monde anormal [36].
Non attribuéLes incantations sont faites dans un langage spécial qui est le langage des dieux, des esprits, de la magie. Les deux faits de ce genre dont la grandeur est peut-être la plus frappante, c’est l’emploi en Malaisie du bhàsahantu (langue des esprits) et chez les Eskimos de la langue des angekoks. Pour la Grèce, Jamblique nous dit que les Ἐφέσια γράμματα [37] sont la langue des dieux, La magie a parlé sanscrit dans l’Inde des pracrits, égyptien et hébreu dans le monde grec, grec dans le monde latin, et latin chez nous. Partout elle recherche l’archaïsme, les termes étranges, incompréhensibles. Dès sa naissance, comme on le voit en Australie où nous y assistons peut-être, on la trouve marmonnant son abracadabra.
L’étrangeté et la bizarrerie des rites manuels correspondent aux énigmes et aux balbutiements des rites oraux. Loin d’être une simple expression de l’émotion individuelle, la magie contraint à chaque instant les gestes et les locutions. Tout y est fixé et très exactement déterminé. Elle impose des mètres et des mélopées. Les formules magiques doivent être susurrées ou chantées sur un ton, sur un rythme spécial, Nous voyons dans le Çatapatha brâhmana comme dans Origène [38] que l’intonation peut avoir plus d’importance que le mot. Le geste n’est pas règlementé avec moins de précision. MaussLe magicien le rythme comme une danse : le rituel lui dit de quelle main, de quel doigt il doit agir, quel pied il doit avancer ; Page 55quand il doit s’asseoir, se lever, se coucher, sauter, crier, dans quel sens il doit marcher. Fût-il seul avec lui-même, il n’est pas plus libre que le prêtre à l’autel. En outre, il y a des canons généraux qui sont communs aux rites manuels et aux rites oraux : ce sont ceux de nombre et d’orientation. Gestes et paroles doivent être répétés une certaine quantité de fois. Ces nombres ne sont pas quelconques, ce sont ceux qu’on appelle des nombres magiques ou des nombres sacrés : 3, 4, 5, 7, 9, 11, 13, 20, etc… D’autre part, les mots ou les actes doivent être prononcés ou exécutés la face tournée vers l’un des points cardinaux, le minimum d’orientation prescrit étant la direction de l’enchanteur vers l’objet enchanté. En somme, les rites magiques sont extraordinairement formels et tendent, non pas à la simplicité du geste laïque, mais au raffinement le plus extrême de la préciosité mystique.
Les plus simples des rites magiques ont une forme à l’égal de ceux qui sont l’objet du plus grand nombre de déterminations. Nous avons jusqu’ici parlé de la magie comme si elle ne consistait qu’en actes positifs. Mais elle contient aussi des rites négatifs, qui sont précisément les rites très simples dont nous parlons. Nous les avons déjà rencontrés dans l’énumération des préparatifs de la cérémonie magique, quand nous avons mentionné les abstinences auxquelles se prêtaient le magicien et l’intéressé. Mais ces rites sont également recommandés ou pratiqués isolément. Ce sont eux qui constituent la grande masse des faits qu’on appelle superstitions. Ils consistent surtout à ne pas faire une certaine chose, pour éviter un certain effet magique. Or, ces rites sont non seulement formels, mais ils le sont au suprême degré puisqu’ils se présentent avec un caractère impératif presque parfait. L’espèce d’obligation qui s’y attache montre qu’ils sont l’œuvre de forces sociales, encore mieux que nous n’avons pu le faire pour les autres à l’aide de leur caractère traditionnel, anormal, formaliste. Mais sur cette question importante du tabou sympathique, de la magie négative, comme nous proposons de l’appeler, nous sommes trop peu éclairés par nos devanciers et par nos propres recherches, pour nous croire en mesure de faire autre chose que de signaler un sujet d’études. Pour le moment, nous ne voyons dans ces faits qu’une preuve de plus que cet élément de la magie, qui est le rite, est l’objet d’une prédétermination collective.
Page 56Quant aux rites positifs, nous avons vu comment ils étaient limités, pour chaque magie, quant à leur nombre. Celui de leurs compositions, où entrent, mélangés, incantations, rites négatifs, sacrifices, rites culinaires, etc., n’est pas non plus illimité. Il tend à s’établir des complexus stables en assez petit nombre, que nous pourrions appeler des types de cérémonies, tout à fait comparables soit aux types d’outils, soit à ce qu’on appelle des types quand on parle d’art. Il y a un choix, une sélection entre les formes possibles faites par chaque magie ; une fois établis, on retrouve sans cesse ces mêmes complexus démarqués et servant à toutes fins, en dépit de la logique de leur composition. HubertTelles sont les variations sur le thème de l’évocation de la sorcière par le moyen des choses enchantées par elle ; quand il s’agissait de lait qui ne donnait plus de beurre, on poignardait le lait dans la baratte, mais on a continué à frapper le lait pour conjurer tous autres maléfices. Nous avons là un type de cérémonie magique ; ce n’est pas d’ailleurs le seul qu’ait fourni le même thème. On cite également des envoûtements à deux et à trois poupées qui ne se justifient que par une semblable prolifération. Ces faits, par leur persistance et par leur formalisme, sont comparables aux fêtes religieuses.
D’autre part, de la même façon que les arts et les techniques ont des types ethniques ou plus exactement nationaux, de la même façon, on pourrait dire que chaque magie a son type propre, reconnaissable, caractérisé par la prédominance de certains rites : l’emploi des os de morts dans les envoûtements australiens, des fumigations de tabac dans les magies américaines, des bénédictions et des credo, musulmans ou juifs, dans les magies influencées par le judaïsme ou l’islamisme. Seuls les Malais semblent connaitre comme rite le curieux thème de l’assemblée.
S’il y a spécification des formes de la magie suivant les sociétés, il y a, à l’intérieur de chaque magie, ou, à un autre point de vue, à l’intérieur de chacun des grands groupes de rites que nous avons décrits à part, des variétés dominantes. La sélection des types est, en partie, l’œuvre de magiciens spécialisés qui appliquent un seul rite ou un petit nombre de rites à l’ensemble des cas pour lesquels ils sont qualifiés. Chaque magicien est l’homme d’une recette, d’un instrument, d’un sac médecine, dont il use fatalement à tout propos. C’est plus souvent suivant les rites qu’ils pratiquent que suivant Page 57les pouvoirs qu’ils possèdent, que les magiciens sont spécialisés. Ajoutons que ceux que nous avons appelés les magiciens occasionnels connaissent encore moins de rites que les magiciens proprement dits et sont tentés de les reproduire sans fin. C’est ainsi que les recettes appliquées indéfiniment sans rime ni raison deviennent parfaitement inintelligibles. Nous voyons donc encore une fois combien la forme tend à prédominer sur le fond.
Mais ce que nous venons de dire sur la formation de variétés dans les rites magiques ne prouve pas qu’ils soient en fait classables. Outre qu’il reste une foule de rites flottants, la naissance de variétés dans cette masse amorphe est tout à fait accidentelle et ne correspond pas à une diversité réelle de fonctions ; il n’y a rien, dans la magie, qui soit proprement comparable aux institutions religieuses [39].Page 58Non attribué
[1] Le manuscrit ajoute : « il faudrait se garder de les considérer comme recueils de Folklore ».
[2] Ce sûtra qui porte le nom de son auteur présumé, Kauśika, relève de l’Atharvaveda. Outre des précisions sur le culte solennel, il donne des informations sur les pratiques magiques et constitue la source essentielle pour la magie indienne ancienne. Une traduction allemande de la partie magique du sûtra était disponible dès 1900 : Willem Caland, Altindisches Zauberritual. Probe einer Übersetzung der wichtigsten Teile des Kauśika Sûtra, Amsterdam, Müller, 1900.
[3] Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Une fiche de Hubert est intercalée : « La cérémonie devait avoir lieu à un moment convenablement choisi et les prescriptions relatives au temps sont celles qui manquent le moins dans les charmes. Le coucher du soleil est une heure magique. Les moments qui précédent le lever du soleil le sont également. C’est généralement la nuit qui est propice, spécialement à cause de la lune. On tient compte des phases de la lune dans la récolte des plantes magiques. Les cérémonies ont lieu surtout à la nouvelle lune et à la pleine lune. On trouve naturellement encore indiquées d’autres dates lunaires, comme celle-ci [ill] qui varient suivant la durée prévue des opérations ou le résultat précis désiré. »
[4] Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Une fiche d’Hubert est intercalée : « Comme la religion, la magie a des lieux sacrés. Les lieux qui sont généralement considérés comme religieux le sont pour la magie, les routes, les rues, les limites, le seuil » Nous avons des exemples de la constitution d’un templum, d’un cercle magique où doit s’accomplir la cérémonie. La direction du regard n’est pas toujours indifférente ».
[5] Dans plusieurs fiches, Hubert ajoute : « Une des choses qu’on les accuse de rechercher avec le plus d’ardeur sont les restes humains, ceux des suppliciées, et particulièrement des pendus ont une valeur magique. » ; « Une autre série de substances dont l’emploi est souvent prescrit par les textes, le miel, la farine, certaines farines, l’eau ou l’eau de pluie, le rôle des simples véhicules » ; « la magie ne négligeait pas d’utiliser le caractère sacré donné par le sacrifice à tout ce qui en sortait. On prenait comme amulette la dent d’un veau. L’usage du sang dans la magie doit être probablement compté parmi les rites sacrificiels ».
[6] On peut lire cette phrase barrée dans le manuscrit : « proscrit par la pharmacopée magique ».
[7] Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Une fiche d’Hubert, intitulée « Utilisation des choses religieuses » est intercalée.
[8] Dans le manuscrit, on peut lire : « Observances ».
[9] Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Dans une fiche dont le texte est publié dans son article « Magia » pour le DAGR, Hubert ajoute : « La cérémonie comporte l’emploi d’un certain nombre d’instruments qui ont fini par avoir par eux mêmes une valeur magique. Voici par exemple en quoi consiste l’acte essentiel de la [ill] décrite dans le Papyrus de Paris : « Prendre un moulin à main et deux chœnices [unité de poids grecque] de sel et mouds en répétant sans cesse l’incantation présente, jusqu’à ce que le dieu apparaisse ». De tous ces instruments magiques le plus connu et le plus commun est la baguette. Baguette divinatoires, baguette des chercheurs de sources qui parait prolonger le pouvoir du magicien. Elle est attribuée à Hermès dans son rôle de Psychopompe. La dactylomancie présente un usage analogue d’instrument clairvoyant. Une table ronde porte sur un pourtour les lettres de l’alphabet, on suspend au dessus un anneau avec un fil et l’anneau en s’arrêtant devant les lettres donne la réponse désirée. Dans la magie amoureuse on employait une petite rouelle l‘[ill], la bergeronnette [ill], dont la rotation était censée influer sur la volonté des personnes à gagner à côté de l’[ill], il faut mentionner le rouet [ill], d’usage analogue. Dans la divination on emploie les lampes (lychomantie), des bassins plein d’eau, dont on interroge la surface (lecanomancie), des miroirs, que l’on emploie aussi pour écarter la grêle. A cette liste il faut ajouter les clefs, d’usage symbolique [ill]. On trouve mentionnée dans un hymne la sandale de la lune [ill]. Des épées, des cymbales font partis de l’attirail magique. Les échelles dont on trouve des représentations de supplice symboliques. Remarquons que les mystères emploient des instruments analogues aux instruments magiques, comme la roue et l’échelle. Outre les substances magiques dont nous avons étudiées plus haut l’emploi, les magiciens font une grande dépense de fil coloré, et spécialement de fil rouge, le rouge étant une couleur démoniaque »
[10] Dans le manuscrit, on peut lire cette phrase barrée : « les transes shamaniques »
[11] Une fiche de Hubert est intercalée : « Au cours même de la cérémonie, certains rites interviennent qui paraissent avoir spécialement pour but de mettre l’officiant en état de recevoir le bénéfice de l’action engagée. Le rite de l’incubatio est typique. C’est un rite général de divination dont les papyrus magiques donnent un nombre considérable d’exemples. Il s’agit d’avoir le songe préparé et l’on se couche en général dans le lieu sacré, qu’il soit préexistant ou crée par la cérémonie préliminaire »
[12] « Amaryllis, porte ces cendres hors de la maison ; jette-les par-dessus ta tête dans le ruisseau, et ne regarde pas derrière toi » (traduction d’Auguste Nisard, Lucrèce, Virgile, Valerius Flaccus, Paris, Diderot, 1850, p.177).
[13] Manteia Kronikê : « L’oracle ancien ».
[14] Dans une fiche, Hubert indique : « La préoccupation d’utiliser ce que la religion néglige ou prohibe pour arriver à des effets que celle-ci ne réalise point explique le caractère obscène, immonde, contre-nature que présentent ces cérémonies ».
[15] Le manuscrit ajoute : « dont nous avons déjà dit l’impossibilité ».
[16] En premier lieu le Golden Bough de James G. Frazer, mentionné supra.
[17] Dans une de ses nombreuses fiches concernant la question des objets utilisés et des types de rites, Hubert indique : « distinguer 1er emploi d’objets ayant par eux-mêmes une vertu miraculeuse. La baguette indicatrice. Objets fétiches, à considérer comme arme du magicien. 2e emploi de rites ayant pour objet de mettre le magicien en communication avec l’être magique. Sacrifice, invocation. 3e emploi de rites ayant pour objet de lier les choses. Rites scientifiques ».
[18] Hubert a rédigé une fiche dans laquelle il précise exactement sur quoi doit porter la critique de la sympathie : 1. La loi ne s’applique pas mécaniquement et universellement. 2. Les formules ne correspondent pas aux opérations (Valeur mythiques ; valeur rituelles) nécessaires. 3. pas suffisante. En théorie avons vu que supposent véhicule et milieu et propriétés »
[19] katharmos, « purification ».
[20] Manteia Kronikê : « L’oracle ancien ».
[21] Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Hubert a intercalé cette fiche.
[22] « Su ei oinos, ouk ei oinos, all’ ê kephalê tês Athênas, su ei oinos, ouk ei oinos, alla ta splanchna tou Oseirios, ta splanchna tou Iaô » : « Tu es le vin, tu n’es pas le vin, mais la tête d’Athéna, tu es le vin, tu n’est pas le vin, mais les viscères d’Osiris, les viscères de Iaô ».
[23] Plusieurs fiches de Hubert sont intercalées : « Dans la [ill] le texte indique le sacrifice (avant ou après l’apparition du Dieu ? Nous l’ignorons) une victime en y joignant un cœur de chatte et du crottin de jument. Dans une cérémonie destinée à agir sur la [ill] Aphrodite on sacrifie une colombe blanche ; le texte mentionne particulièrement le sang et la graisse de la victime. Ailleurs après la description d’une image d’Hermès le sacrifice d’un coq et l’entraine des lignes plus loin la mention d’un sacrifice semblable. Pour le rajeunissement [ill], Médée dresse deux autels l’un à Hécate, l’autre à Juventa ; elle les décore de plantes, creuse des fosses puis immole un bélier en accompagnant ce sacrifice d’une double libation de miel et de lait frais. //On trouve dans les livres alchimiques une longue et frappante allégorie qui a fait fortune parmi les auteurs de cette science ; elle décrit la transformation des métaux dans l’opération sacrée [ill] empruntés aux rituels et à la théorie du sacrifice. Il convient de mentionner ici les sacrifices humains, en particulier les sacrifices d’enfants et même de fœtus arrachés au ventre de la mère, reprochés souvent à la magie. Il serait imprudent de l’en disculper a priori mais on peut dire que ces sacrifices sont un des thèmes habituels de la légende qui voile les cultes secrets, les religions vaincues et les hérésies. »
[24] Kollouria : « emplâtres ».
[25] Epithumata : « fumigation ».
[26] Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Un dossier intitulé « Images magiques » constitué par Hubert est intercalé. On peut lire sur les fiches : « De tous les actes, celui dont l’application paraît être la plus fréquente et aussi la plus spéciale à la magie est l’envoûtement. Selon le [Roman d’Alexandre ?] le roi Nectanebo faisait des figures de cire qui représentaient des soldats de ses ennemis ; il les plaçait sur le bord d’un bassin plein d’eau, puis prenant sa baguette il récitait des formules, les poupées s’animaient alors et se précipitaient dans le bassin. Si l’ennemi venait par mer, le roi opérait sur la côte, il plaçait ses poupées sur des bateaux de cire et l’ennemi subirait invariablement // le sort de la figure magique. Quand il voulut faire croire à Olympias qu’elle avait conçu du dieu Amon, il fit une statuette au nom de la reine, exprima sur elle le jus d’herbes propres à donner les songes et la reine songea qu’elle était dans le bras du dieu. Aristote avait donné à Alexandre une boite que l’on portait après lui, il y avait planté des figures de cire qui représentaient les différentes sortes d’armes que le conquérant avait à combattre ; les unes portaient des épées de plomb tordues, les autres des javelots la pointe en bas, d’autres encore des [ill] étaient brisées et quoiqu’il advint, les épées se tordaient, les javelots ne faisaient point de mal et les [ill] étaient désarmés. // Quelques fois l’image a une valeur collective, c’est ce qui se présente dans le cas des statuettes militaires de Nectanebo et d’Alexandre. On utilise les rites de l’envoûtement pour faire naitre ce qui n’existe point encore, des enfants par exemple. Un pécheur pour faire des pêches miraculeuses, [ill]. On peut envoûter les esprits comme les hommes et c’est un moyen d’exorcisme, l’esprit passe sur la figure de cire et est éliminé avec elle. La fabrication d’images divines spéciales dans les cérémonies magiques, divinatoires, expiatoires, médicales, et autres est un véritable cas d’envoûtement, et l’on agit sur les astres de la même // façon que sur les dieux. Enfin le magicien ou le sujet de l’action magique agit par envoûtement a soi-même, soit pour effectuer la relation qu’il désire établir entre lui et l’envoûter, soit pour se mettre dans un état tel qu’il en résulte infailliblement par lui certain avantages généraux. Cet envoûtement de soi-même a lieu dans les cas ou l’on emploie deux statuettes, dans ceux où l’on mêle son propre sang ou une partie de soi même à la poupée envoûté ou bien encore lorsque l’opérateur fabrique une seule poupée qui représente lui-même et porte son nom. Dans quelques cas où la cérémonie comporte la fabrication de deux poupées l’une représente l’envoûté et l’autre un dessin sur lequel il est nécessaire d’agir ; le traitement des deux effigies diffère. On rencontre aussi l’emploi de trois effigies de matières diverses. // La matière recommandée pour le faire est généralement la cire ou l’argile. On y peut ajouter d’autres matières, qui sont indiquées avec un soin particulier pour la fabrication des images divines. // On la lie de liens symboliques, on lui frappait la tête, on lui perçait le cou. On employait l’envoûtement pour se concilier l’amour, l’estime ou la bonne volonté de quelqu’un, pour s’emparer de ses secrets, pour triompher d’un ennemi, etc.// On a trouvé de ces poupées d’envoûteurs inscrits au nom des patients auxquels elles étaient destinées. Qu’elles proviennent de l’ancienne Italie, ou du Mexique ou de l’Allemagne moderne, elles ne différent point sensiblement (…) »
[27] Il s’agit de Elias Lönnrot, (1802-1884) qui rassembla les chants populaires et les légendes des paysans de la Finlande. Ils les retranscrit et les fondit en une seule épopée, peuplée de magiciens, de dieux et de héros, nordique : Le Kalevala (1835 ; édition définitive, 1849)
[28] Il s’agit de Walter Skeat, Malay Magic, London, Macmillan, 1900 et de James Mooney, Myths of the Cherokee, From Nineteenth Annual Report of the Bureau of American Ethnology 1897-98, Part I. [1900].
[29] Dans le manuscrit on peut lire : « incantatoires »
[30] « Pass’ hama kai tauta. ta Delphidos ostik passô » : « Répands et dis en même temps ces paroles : Ce sont les os de Delphis que je répands », Théocrite, Idylle II, 21.
[31] Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Une fiche d’Hubert est ici intercalée.
[32] Il s’agit de Albrecht Dieterich, Eine Mithrasliturgie, Leipzig, Teubner, 1903.
[33] Ephesia grammata : « formules d’Ephèse »
[34] Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Une fiche d’Hubert, publiée partiellement dans son article « magia », 1519, poursuit : « on appelle la présence du dieu ou du démon, on lui indique sa fonction, au besoin on le contraint par des menaces ». Dans une autre fiche, sur le même sujet, il ajoute : « mais un simple nom divin a la vertu d’évoquer la présence de la divinité désignée. Une formule religieuse comme le [τρισάγιον], le gadesh hébreu, écrite entièrement ou représentée par une initiale introduit dans la cérémonie magique tout ce qu’elle représente de sacré. Il s’ensuit que l’attention s’arrête au signe maniable mais efficace et ne va pas au-delà à la recherche de la chose signifiée. Le mot étouffe le sens. On réduit en formules et en énigmes comme on les réduit en figures les [mémentos] d’opérations alchimiques. // Le rite verbal indique le sens de l’acte magique. On inscrit généralement sur les poupées de l’envoûtement le nom de la personne qu’elles représentent. Ou bien comme nous l’avons vu on attache à la figure un papier indiquant avec précision l’objet de la cérémonie qui en accueillant certaines plantes médicinales il faut dire l’objet // auquel on veut les employer et le nom du malade au bénéfice duquel on les cueille. Pour plus de précision on décrit par énumération le sujet de l’action magique et l’on mentionne à part tous les éléments de son être qui doivent en bénéficier ou en souffrir. Ainsi le rite verbal précise et complète le rite manuel ».
[35] Dans le manuscrit Mauss utilise « mécaniquement » avant de barrer le mot.
[36] Dans une fiche, Hubert ajoute : « Nous n’avons pas distingué les charmes écrits des charmes oraux. Les formes sont les mêmes et l’efficacité semblable. Ce que les qualités de la récitation sont au charme oral, les moyens d’écriture, l’encre, le caractère, le sont au charme écrit ».
[37] Ephesia grammata : « formules d’Ephèse ».
[38] (185-253), théologien et exégète alexandrin, les aspects mystiques de sa pensée lui vaudront la condamnation de sa pensée en 400.
[39] Hubert a ajouté quelques notes éparses en fin de chapitre : « Il faut observer tout d’abord quels pratiques complexes dont nous parlons ne sont pas des composés arbitraires spécialement adaptés en vue des fins propres à chaque cas. L’opérateur en magie n’invente pas en chaque occasion ses gestes et sa prière. Il applique des recettes données. L’existence de ces recettes nous est connue par les manuels de magie que nous pouvons étudier. Elles peuvent s’appliquer directement. Ce sont des formules en blanc ou il n’y a plus qu’à mettre les noms propres ».