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Les représentations
MaussPage 58 Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Les pratiques magiques ne sont pas vides de sens [1]. Elles correspondent à des représentations, souvent fort riches, qui constituent le troisième élément de la magie. Nous avons vu que tout rite est une espèce de langage. C’est donc qu’il traduit une idée.
Le minimum de représentation que comporte tout acte magique, c’est la représentation de son effet. Mais cette représentation, si rudimentaire qu’on puisse la concevoir, est déjà fort complexe. Elle est à plusieurs temps, à plusieurs composantes. Nous pourrons en indiquer au moins quelques-unes et l’analyse que nous en ferons ne sera pas seulement théorique, puisqu’il y a des magies qui ont eu conscience de leur diversité et les ont notées par des mots ou par des métaphores distinctes.
En premier lieu, nous supposons que les magiciens et leurs fidèles ne se sont jamais représenté les effets particuliers de leurs rites sans penser, au moins implicitement, aux effets généraux de la magie. Tout acte magique semble procéder d’une espèce de raisonnement syllogistique dont la majeure est souvent claire, voire exprimée dans l’incantation : Venenum veneno vincituri natura naturam vincit [2]. « Nous savons ton origine... Comment peux-tu tuer ici ? » (Atharva Veda, VII, 76, 5, Page 59vidma vai te... jánam... Kathám ha tátra tvám hano ... ) Si particuliers que soient les résultats produits par les rites, ils sont conçus, au moment même de l’action, comme ayant tous des caractères communs. HubertIl y a toujours, en effet, soit imposition, soit suppression d’un caractère ou d’une condition : par exemple, ensorcellement ou délivrance, prise de possession ou rachat, en deux mots, changement d’état. Nous dirons volontiers que tout acte magique est représenté comme ayant pour effet soit de mettre des êtres vivants ou des choses dans un état tel que certains gestes, accidents ou phénomènes, doivent s’ensuivre infailliblement, soit de les faire sortir d’un état nuisible. Les actes diffèrent entre eux selon l’état initial, les circonstances qui déterminent le sens du changement, et les fins spéciales qui leur sont assignées, mais ils se ressemblent en ce qu’ils ont pour effet immédiat et essentiel de modifier un état donné. Or, le magicien sait et sent bien que par là sa magie est toujours semblable à elle-même ; Maussil a l’idée toujours présente que la magie est l’art des changements, la mâyâ, comme disent les Hindous.
Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Mais, outre cette conception toute formelle, il y a, dans l’idée d’un rite magique, d’autres éléments déjà concrets [3]. HubertLes choses viennent et partent : l’âme revient, la fièvre est chassée. On essaye de rendre compte de l’effet produit par des accumulations d’images. L’ensorcelé est un malade, un estropié, un prisonnier. On lui a brisé les os, fait évaporer les moelles, on l’écorche. L’image favorite est celle du lien qu’on lie ou qu’on délie : « lien des maléfices qui méchamment a été noué », « enchaînement qui sur le sol est dessiné », etc. Chez les Grecs le charme est un κατάδεσμος [4], un φιλτροκατάδεσμος [5]. La même idée est exprimée plus abstraitement en latin par le mot de religio, qui d’ailleurs a le même sens. Dans une incantation contre une série de maux de gorge, après une énumération de termes techniques et descriptifs, nous lisons : Hanc religionem evoco, educo, excanto de istis membris, medullis [6] (Marcellus, XV, 11) ; Maussla religio est traitée ici comme une sorte d’être vague, de personnalité diffuse qu’on peut saisir et chasser. Ailleurs, c’est par des images morales, celles de la paix, de l’amour, de la séduction, de la crainte, de la justice, de la propriété, qu’on exprimera les effets du rite. Cette représentation, dont nous saisissons ainsi, çà et là, des linéaments imprécis, s’est quelquefois condensée dans une notion distincte, désignée par un mot spécial. Les Assyriens Page 60ont exprimé une pareille notion par le mot de mâmit. En Mélanésie, l’équivalent du mâmit, c’est le mana, qu’on voit sortir du rite ; chez les Iroquois (Hurons) c’est l’orenda, que lance le magicien ; dans l’Inde antique, c’était le brahman (neutre) qui allait agir ; chez nous, c’est le charme, le sort, l’enchantement et les mots mêmes par lesquels on détermine ces idées montrent combien elles étaient peu théoriques. On en parle comme de choses concrètes et d’objets matériels ; on jette un charme, une rune ; on lave, on noie, on brûle un sort.
HubertUn troisième moment de notre représentation totale est celui où l’on conçoit qu’il y a entre les êtres et les choses intéressés dans le rite une certaine relation. Cette relation est quelquefois conçue comme sexuelle. Une incantation assyro-babylonienne crée une sorte de mariage mystique entre les démons et les images destinées à les représenter : « Vous, tout le mal, tout le mauvais qui s’est emparé de N., fils de N., et le poursuit, si tu es mâle, que ceci soit ta femme, si tu es femelle, que ceci soit ton mâle » (Fossey, La Magie assyrienne, p. 133 [7]). Il y a mille autres manières de concevoir cette relation. On peut la représenter comme une mutuelle possession des ensorceleurs et des ensorcelés. Les sorciers peuvent être atteints derrière leur victime, qui ainsi a prise sur eux. De la même façon, on peut lever un charme en ensorcelant le sorcier qui, de son côté, a naturellement prise sur son charme. On dit encore que c’est le sorcier, ou son âme, ou que c’est le démon du sorcier qui possèdent l’ensorcelé ; c’est ainsi qu’il réalise sa mainmise sur sa victime. La possession démoniaque est l’expression la plus forte, la simple fascination, l’expression la plus faible, de la relation Maussqui s’établit entre le magicien et le sujet de son rite.
On conçoit toujours, distinctement, une espèce de continuité entre les agents, les patients, les matières, les esprits, les buts d’un rite magique. Tout compte fait, nous retrouvons dans la magie ce que nous avons déjà trouvé dans le sacrifice. La magie implique une confusion d’images, sans laquelle, selon nous, le rite même est inconcevable. De même que sacrifiant, victime, dieu et sacrifice se confondent, de même magicien, rite et effets du rite, donnent lieu à un mélange d’images indissociables ; cette confusion, d’ailleurs, est en elle-même objet de représentation. Si distincts que soient, en effet, les divers moments de la représentation d’un rite magique, ils sont inclus dans une représentation synthétique, où se confondent les causes et les Page 61effets. C’est l’idée même de la magie, de l’efficacité immédiate et sans limite, de la création directe ; c’est l’illusion absolue, la mâyâ comme les Hindous l’avaient bien nommée. Entre le souhait et sa réalisation, il n’y a pas, en magie, d’intervalle. C’est là un de ses traits distinctifs, surtout dans les contes. Toutes ces représentations que nous venons de décrire ne sont que les diverses formes, les divers moments si l’on veut, de l’idée même de magie. Celle-ci contient en outre des représentations plus déterminées que nous allons essayer de décrire.
Nous classerons ces représentations en impersonnelles et en personnelles, suivant que l’idée d’êtres individuels s’y trouve ou ne s’y trouve pas. Les premières peuvent être divisées en abstraites et concrètes, les autres sont naturellement concrètes.
1º Représentations impersonnelles abstraites. Les lois de la magie. - Les représentations impersonnelles de la magie, ce sont les lois qu’elle a posées implicitement ou explicitement, au moins par l’organe des alchimistes et des médecins. Dans ces dernières années, on a donné une extrême importance à cet ordre de représentations. On a cru que la magie n’était dominée que par elles et on en a conclu tout naturellement que la magie était une sorte de science ; car qui dit loi dit science. En effet, la magie a bien l’air d’être une gigantesque variation sur le thème du principe de causalité. Mais ceci ne nous apprend rien ; car il serait bien étonnant qu’elle pût être autre chose, puisqu’elle a pour objet exclusif, semble-t-il, de produire des effets. Tout ce que nous concédons c’est que, à ce titre, si l’on simplifie ses formules, il est impossible Hubertde ne pas la considérer comme une discipline scientifique, une science primitive, et c’est ce qu’ont fait MM. Frazer et Jevons. Ajoutons que la magie fait fonction de science et tient la place des sciences à naître. Ce caractère scientifique de la magie a été généralement aperçu et intentionnellement cultivé par les magiciens. L’effort vers la science dont nous parlons est naturellement plus visible dans ses formes supérieures qui supposent des connaissances acquises, une pratique raffinée, et qui s’exercent dans des milieux où l’idée de la science positive est déjà présente.
MaussIl est possible de démêler, à travers le fouillis des expressions variables, trois lois dominantes. On peut les appeler Page 62toutes lois de sympathie si l’on comprend, sous le mot de sympathie, l’antipathie. Ce sont les lois de contiguïté, de similarité, de contraste : les choses en contact sont ou restent unies, le semblable produit le semblable, le contraire agit sur le contraire. Non attribuéM. Tylor [8] et d’autres après lui ont remarqué que ces lois ne sont autres que celles de l’association des idées (nous ajoutons chez les adultes) Hubertà cette différence près qu’ici l’association subjective des idées fait conclure à l’association objective des faits, en d’autres termes, que les liaisons fortuites des pensées équivalent aux liaisons causales des choses. On pourrait réunir les trois formules en une seule et dire : contiguïté, similarité et contrariété, valent simultanéité, identité, opposition, en pensée et en fait. Il y a lieu de se demander si ces formules rendent exactement compte de la façon dont ces soi-disant lois ont été réellement conçues.
Mauss Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Considérons d’abord la loi de contiguïté. HubertLa forme la plus simple de cette notion de contiguïté sympathique nous est donnée dans l’identification de la partie au tout. La partie vaut pour la chose entière. Les dents, la salive, la sueur, les ongles, les cheveux [9] représentent intégralement la personne ; de telle sorte que, par leur moyen, on peut agir directement sur elle, Mausssoit pour la séduire, soit pour l’envoûter. La séparation n’interrompt pas la continuité, on peut même reconstituer ou susciter un tout à l’aide d’une de ses parties : Totum ex parte. Il est inutile de donner des exemples de ces croyances, maintenant bien connues. La même loi peut s’exprimer en d’autres termes encore : la personnalité d’un être est indivise et réside tout entière dans chacune de ses parties.
Cette formule vaut non seulement pour les personnes, mais encore pour les choses. En magie, l’essence d’une chose appartient à ses parties, aussi bien qu’à son tout. La loi est, en somme, tout à fait générale et constate une propriété, également attribuée à l’âme des individus et à l’essence spirituelle des choses. Ce n’est pas tout ; chaque objet comprend intégralement le principe essentiel de l’espèce dont il fait partie : toute flamme contient le feu, tout os de mort contient la mort, de même qu’un seul cheveu est capable de contenir le principe vital d’un homme. Ces observations tendent à montrer qu’il ne s’agit pas seulement de conceptions concernant l’âme individuelle et que, par conséquent, la loi ne peut s’expliquer par les propriétés qui sont implicitement attribuées à l’âme. Ce n’est pas non plus un corollaire de la théorie du Page 63gage de vie ; la croyance au gage de vie n’est, au contraire, qu’un cas particulier du totum ex parte.
Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Cette loi de contiguïté comporte d’ailleurs d’autres développements. HubertTout ce qui est en contact immédiat avec la personne, les vêtements, l’empreinte des pas, celle du corps sur l’herbe ou dans le lit, le lit, le siège, les objets dont on se sort habituellement, jouets et autres, Mausssont assimilés aux parties détachées du corps. HubertOn n’a pas besoin que le contact soit habituel, ou fréquent, ou effectivement réalisé, comme dans le cas des vêtements ou des objets usuels - Mausson incante le chemin, les objets touchés accidentellement, l’eau du bain, un fruit mordu, etc. La magie qui s’exerce universellement sur les restes de repas procède de l’idée qu’il y a continuité, identité absolue entre les reliefs, les aliments ingérés, et le mangeur devenu substantiellement identique à ce qu’il a mangé. HubertUne relation de continuité toute semblable existe entre un homme et sa famille ; on agit à coup sûr sur lui en agissant sur ses parents ; il est utile de les nommer dans les formules ou d’écrire leur nom sur les objets magiques destinés à lui nuire. MaussMême relation entre un homme et ses animaux domestiques, sa maison, le toit de sa maison, son champ, etc. HubertEntre une blessure et l’arme qui l’a produite s’établit, par continuité, une relation sympathique qu’on peut utiliser pour soigner la première par l’intermédiaire de la seconde [10]. Ce même lien unit le meurtrier à sa victime ; l’idée de la continuité sympathique fait croire que le cadavre saigne à l’approche de l’assassin ; il revient subitement à l’état qui résulte immédiatement du meurtre. L’explication de ce fait est valable, car nous avons des exemples plus clairs encore de cette sorte de continuité. Elle dépasse le coupable : on a cru par exemple que, quand un homme maltraite un rouge-gorge, ses vaches donnent du lait rouge (Simmenthal, Suisse) [11].
MaussEn somme, les individus et les choses sont reliés à un nombre, qui paraît théoriquement illimité, d’associés sympathiques. La chaîne en est si serrée, Hubertla continuité en est telle, que, pour produire un effet cherché, il est indifférent qu’on agisse sur l’un ou sur l’autre des chaînons. M. Sydney Hartland admet qu’une fille abandonnée peut penser faire souffrir son amant, par sympathie, en roulant ses propres cheveux autour des pattes d’un crapaud ou dans un cigare (Lucques) [12]. Non attribuéEn Mélanésie (aux Nouvelles-Hébrides et aux îles Salomon, semble-t-il), les amis d’un homme qui en a blessé un autre Page 64sont mis en état, par le coup même, d’envenimer magiquement la plaie de l’adversaire meurtri.
MaussL’idée de la continuité magique, que celle-ci soit réalisée par relation préalable de tout à partie, ou par contact accidentel, implique l’idée de contagion. Les qualités, les maladies, la vie, la chance, toute espèce d’influx magique, sont conçus comme transmissibles le long de ces chaînes sympathiques. L’idée de la contagion est déjà, parmi les idées magiques et religieuses, l’une des mieux connues. Que cela ne nous empêche pas de nous y arrêter un instant. En cas de contagion imaginaire, il se produit, comme nous l’avons vu dans le sacrifice, une fusion d’images, d’où résulte l’identification relative des choses et des êtres en contact. C’est, pour ainsi dire, l’image de ce qui est à déplacer qui parcourt la chaîne sympathique. Celle-ci est souvent figurée dans le rite lui-même, soit que, comme dans l’Inde, le magicien soit touché, à un certain moment du rite central, par l’intéressé, soit que, comme dans un cas australien, il attache à l’individu sur lequel il doit agir un fil ou une chaîne, le long de laquelle voyage la maladie chassée. Mais la contagion magique n’est pas seulement idéale et bornée au monde de l’invisible ; elle est concrète, matérielle et de tous points semblable à la contagion physique. HubertMarcellus de Bordeaux conseille, pour diagnostiquer les maladies internes, de faire coucher le malade pendant environ trois jours avec un petit chien à la mamelle, le patient doit donner lui-même du lait au chien, de sa propre bouche et souvent (ut aeger ei lac de ore suo frequenter infundat) ; après quoi, il ne reste plus qu’à ouvrir le ventre de la bête (Marcellus, XXVIII, 132) ; Marcellus ajoute que la mort du chien guérit l’homme. non attribuéUn rite tout à fait identique est pratiqué chez les Bagandas de l’Afrique centrale. MaussEn pareil cas, la fusion des images est parfaite, il y a plus que de l’illusion, il y a de l’hallucination ; on voit réellement la maladie partir et se transmettre. Il y a transfert, plutôt qu’association des idées.
Mais ce transfert des idées se complique d’un transfert de sentiments. Car, d’un bout à l’autre d’une cérémonie magique se retrouve un même sentiment, qui en donne le sens et le ton, qui, en réalité, dirige et commande toutes les associations d’idées. C’est même ce qui nous expliquera comment fonctionne en réalité la loi de continuité dans les rites magiques.
Page 65HubertDans la plupart des applications de la sympathie par contiguïté, il n’y a pas purement et simplement extension d’une qualité ou d’un état, d’un objet ou d’une personne, à un autre objet, ou à une autre personne. Si la loi, telle que nous l’avons formulée, était absolue, ou si, dans les actes magiques où elle fonctionne, elle était seule impliquée et seulement sous sa forme intellectuelle, s’il n’y avait en somme que des idées associées, on constaterait d’abord que tous les éléments d’une chaîne magique, constituée par l’infinité des contacts possibles, nécessaires ou accidentels, seraient également affectés par la qualité qu’il s’agirait précisément de transmettre, et ensuite que toutes les qualités d’un des éléments de la chaîne, quel qu’il fût, se transmettraient intégralement à tous les autres. Or, il n’en est pas ainsi, sans quoi la magie serait impossible. On limite toujours les effets de la sympathie à un effet voulu. D’une part, on interrompt, à un moment précis, le courant sympathique ; d’autre part, on ne transmet qu’une, ou un petit nombre des qualités transmissibles. Ainsi, quand le magicien absorbe la maladie de son client, il n’en souffre point. De même, il ne communique que la durée de la poudre de momie, employée pour prolonger la vie, la valeur de l’or et du diamant, l’insensibilité de la dent d’un mort ; c’est à cette propriété, détachée par abstraction, que se borne la contagion [13].
De plus, on postule que les propriétés en question sont de nature à se localiser ; on localise par exemple la chance d’un homme dans une paille de son toit de chaume [14]. On conclut de la localisation à la séparabilité. Les anciens, Grecs et Romains, ont pensé guérir des maladies d’yeux en transmettant aux malades la vue d’un lézard ; le lézard était aveuglé avant d’être mis en contact avec des pierres destinées à servir d’amulettes, de sorte que la qualité considérée, coupée à sa racine, devait passer tout entière où l’on voulait l’envoyer. La séparation, l’abstraction sont figurées, dans cet ensemble, par des rites ; mais cette précaution n’est pas absolument nécessaire [15].
MaussCette limitation des effets théoriques de la loi est la condition même de son application. Le même besoin, qui fait le rite et pousse aux associations d’idées, détermine leur arrêt et leur choix. Ainsi, dans tous les cas où fonctionne la notion abstraite de contiguïté magique, les associations d’idées se doublent de transferts de sentiments, de phénomènes d’abstraction et d’attention exclusive, de direction d’intention, Page 66phénomènes qui se passent dans la conscience, mais qui sont objectivés au même titre que les associations d’idées elles-mêmes.
La seconde loi, la loi de similarité, est une expression moins directe que la première de la notion de sympathie et nous pensons que M. Frazer a eu raison, quand, avec M. Sydney Hartland, il a réservé le nom de sympathie proprement dite aux phénomènes de contagion, donnant le nom de sympathie mimétique à ceux dont nous allons nous occuper maintenant. De cette loi de similarité on connait deux formules principales, qu’il importe de distinguer : le semblable évoque le semblable, similia similibus evocantur ; le semblable agit sur le semblable et spécialement guérit le semblable, similia similibus curantur.
Nous nous occuperons d’abord de la première formule ; elle revient à dire que la similitude vaut la contiguïté. HubertL’image est à la chose ce que la partie est au tout. Autrement dit, une simple figure est, en dehors de tout contact et de toute communication directe, intégralement représentative. MaussC’est cette formule qu’on semble appliquer dans les cérémonies d’envoûtement. Mais, quoi qu’il en paraisse, ce n’est pas simplement la notion d’image qui fonctionne ici. HubertLa similitude mise en jeu est, en effet, toute conventionnelle ; elle n’a rien de la ressemblance d’un portrait. L’image et son objet n’ont de commun que la convention qui les associe. Cette image, poupée ou dessin, est un schème très réduit, un idéogramme déformé ; elle n’est ressemblante que théoriquement et abstraitement. Le jeu de la loi de similarité suppose donc, comme celui de la précédente loi, des phénomènes d’abstraction et d’attention. MaussL’assimilation ne vient pas d’une illusion. On peut, d’ailleurs, se passer d’images proprement dites ; Hubertla seule mention du nom ou même la pensée du nom, le moindre rudiment d’assimilation mentale suffit pour faire d’un substitut arbitrairement choisi, oiseau, animal, branche, corde d’arc, aiguille, anneau, le représentant de l’être considéré [16]. L’image n’est, en somme, définie que par sa fonction, qui est de rendre présente une personne. L’essentiel est que la fonction de représentation soit remplie. D’où il résulte que l’objet, auquel cette fonction est attribuée, peut changer au cours d’une cérémonie ou que la fonction même peut être divisée. Quand on veut aveugler un ennemi en faisant d’abord passer un de ses cheveux dans le trou d’une aiguille qui a cousu trois linPage 67ceuls, puis en crevant à l’aide de cette aiguille les yeux d’un crapaud, le cheveu et le crapaud servent successivement de volt. Non attribuéComme le remarque M. Victor Henry [17], certain lézard, qui parait dans un rite d’envoûtement brahmanique, représente au cours d’une même cérémonie à la fois le maléfice, le maléficiant et, ajouterons-nous, la substance malfaisante.
HubertDe même que la loi de contiguïté, la loi de similarité vaut non seulement pour les personnes et pour leur âme, mais pour les choses et les modes des choses, pour le possible comme pour le réel, pour le moral comme pour le matériel [18]. La notion d’image devient, en s’élargissant, celle de symbole [19]. On peut symboliquement représenter la pluie, le tonnerre, le soleil, la fièvre, des enfants à naître par des têtes de pavots, l’armée par une poupée, l’union d’un village par un pot à eau, l’amour par un nœud, etc., Mausset l’on crée, par ces représentations. ________
HubertLa fusion [20] des images est complète, ici comme plus haut, et ce n’est pas idéalement mais réellement que le vent se trouve enfermé dans une bouteille où dans une outre, noué dans des nœuds ou encerclé d’anneaux.
MaussMais il se produit encore, dans l’application de la loi, tout un travail d’interprétation qui est fort remarquable. Dans la détermination des symboles, dans leur utilisation, se passent les mêmes phénomènes d’attention exclusive et d’abstraction, sans lesquels nous n’avons pu concevoir ni l’application de la loi de similarité, dans le cas des images d’envoûtement, ni le fonctionnement de la loi de continuité. Des objets choisis comme symboles, les magiciens retiennent un trait seulement, la fraîcheur, la lourdeur, la couleur du plomb, le durcissement ou la mollesse de l’argile [21], etc. Le besoin, la tendance qui font le rite, non seulement choisissent les symboles et dirigent leur emploi, mais encore limitent les conséquences des assimilations, qui, théoriquement, comme les séries d’associations par contiguïté, devraient être illimitées. De plus, toutes les qualités du symbole ne sont pas transmises au symbolisé. HubertLe magicien se croit maître de réduire à volonté la portée de ses gestes, par exemple, de borner au sommeil ou à la cécité les effets produits au moyen de symboles funéraires ; Maussle magicien, qui fait la pluie, se contente de l’averse, parce qu’il craint le déluge ; l’homme assimilé à une grenouille, qu’on aveugle, ne devient pas, magiquement, une grenouille.
Loin que ce travail d’abstraction et d’interprétation, en apparence arbitraire, aboutisse à multiplier à l’infini le nombre Page 68des symbolismes possibles, nous observons que, en regard des facilités ainsi offertes au vagabondage de l’imagination, ce nombre paraît au contraire, pour une magie donnée, étrangement restreint. Pour une chose, on n’a qu’un symbole ou qu’un petit nombre de symboles. Mieux encore, il n’y a que peu de choses qui soient exprimées par symboles. Enfin l’imagination magique a été si à court d’inventions, que le petit nombre de symboles qu’elle a conçus ont été mis à des usages fort divers : magie des nœuds sert pour l’amour, la pluie, le vent, le maléfice, la guerre, le langage, et mille autres choses. Cette pauvreté du symbolisme n’est pas le fait de l’individu dont le rêve, psychologiquement, devrait être libre. Mais cet individu se trouve en présence de rites, d’idées traditionnelles, qu’il n’est pas tenté de renouveler, parce qu’il ne croit qu’à la tradition et parce que, en dehors de la tradition, il n’y a ni croyance ni rite [22]. Non attribuéA ce compte, il est naturel que la tradition reste pauvre.
MaussLa deuxième forme de la loi de similarité, le semblable agit sur le semblable, similia similibus curantur, diffère de la première en ce que, dans son expression même, on tient précisément compte de ces phénomènes d’abstraction et d’attention qui conditionnent toujours, comme nous l’avons dit, l’application de l’autre. HubertTandis que la première formule ne considère que l’évocation en général, celle-ci constate que l’assimilation produit un effet dans une direction déterminée. Le sens de l’action est alors indiqué par le rite. Prenons comme exemple la légende de la guérison d’Iphiclos : son père Phylax, un jour qu’il châtrait des boucs, l’avait menacé de son couteau sanglant ; devenu stérile par sympathie, il n’avait pas d’enfants ; le devin Melampos, consulté, lui fit boire dans du vin, pendant dix jours de suite, la rouille du dit couteau retrouvé dans un arbre où Phylax l’avait planté. Le couteau serait capable encore, par sympathie, d’aggraver le mal d’lphiclos ; par sympathie également, les qualités d’Iphiclos devraient passer sur le couteau ; mais Melampos ne retient que ce deuxième effet, limité d’ailleurs au mal en question ; la stérilité du roi est absorbée par le pouvoir stérilisant de l’outil. De même quand, dans l’Inde, le brahman soignait l’hydropisie au moyen d’ablutions, il ne donnait pas au malade une surchage de liquide ; l’eau, avec laquelle il le mettait en contact, absorbait celle qui le faisait souffrir [23].
MaussSi ces faits se rangent bien sous la loi de similarité, s’ils Page 69relèvent bien de la notion abstraite de sympathie mimétique, d’attractio similium, ils forment, parmi les faits qu’elle domine, une classe tout à fait à part. Il y a là plus qu’un corollaire de la loi, savoir une espèce de notion concurrente, peut-être aussi importante qu’elle par le nombre des rites qu’elle commande dans chaque rituel,
Sans sortir de l’exposé de cette dernière forme de la loi de similarité, nous arrivons déjà à la loi de contrariété. En effet, lorsque le semblable guérit le semblable, c’est qu’il produit un contraire. Le couteau stérilisant produit la fécondité, l’eau produit l’absence d’hydropisie, etc. La formule complète de pareils rites serait : le semblable fait partir le semblable pour susciter le contraire. Inversement, dans la première série des faits de sympathie mimétique, le semblable, qui évoque un semblable, fait partir un contraire : lorsque je provoque la pluie, en versant de l’eau, je fais disparaitre la sècheresse. Ainsi, la notion abstraite de similarité est inséparable de la notion abstraite de contrariété ; les formules de la similarité pourraient donc se réunir dans la formule « le contraire est chassé par le contraire », en d’autres termes être comprises dans la loi de contrariété [24].
Mais, cette loi de contrariété, les magiciens l’ont pensée à part. Les sympathies équivalent à des antipathies ; mais les unes sont pourtant bien nettement distinguées des autres. La preuve en est, par exemple, que l’antiquité a connu des livres intitulés Περὶ συμπαθείων καὶ ἀντιπαθείων [25]. Des systèmes de rites entiers, ceux de la pharmacie magique, ceux des contre-charmes ont été rubriqués sous la notion d’antipathie. Toutes les magies ont spéculé sur les contraires, les oppositions : la chance et la malchance, le froid et le chaud, l’eau et le feu, la liberté et la contrainte, etc. Un très grand nombre de choses, enfin, ont été groupées par contraires et on utilise leur contrariété. Nous considérons donc la notion de contraste comme une notion distincte, en magie.
À vrai dire, de même que la similarité ne va pas sans contrariété, la contrariété ne va pas sans similarité. Ainsi, d’après le rituel atharvanique, on faisait cesser la pluie en suscitant son contraire, le soleil, par le moyen du bois d’arka, dont le nom signifie lumière, éclair, soleil ; mais nous voyons déjà dans ce rite de contrariété des mécanismes de sympathie proprement dite. Ce qui nous prouve mieux encore combien peu elles s’excluent, c’est qu’à l’aide de ce même bois, on peut Page 70faire directement cesser l’orage, le tonnerre et l’éclair. Dans les deux cas, le matériel du rite est le même. La disposition seule varie légèrement : d’une part, on expose le feu, de l’autre, on enfouit les charbons ardents ; cette simple modification du rite est l’expression de la volonté qui le dirige. Nous dirons donc que le contraire chasse son contraire en suscitant son semblable.
Ainsi les diverses formules de la similarité sont exactement corrélatives à la formule de la contrariété. Si nous reprenons ici l’idée de schème rituel, dont nous nous sommes servis dans notre travail sur le sacrifice, nous dirons que les symbolismes se présentent sous trois formes schématiques, qui correspondent respectivement aux trois formules : le semblable produit le semblable ; le semblable agit sur le semblable ; le contraire agit sur le contraire, et ne diffèrent que par l’ordre de leurs éléments [26]. Dans le premier cas, on songe d’abord à l’absence d’un état ; dans le second, on songe d’abord à la présence d’un état ; dans le troisième, on songe surtout à la présence de l’état contraire à l’état qu’on désire produire. Ici, on pense à l’absence de pluie qu’il s’agit de réaliser par le moyen du symbole ; là, on pense à la pluie qui tombe et qu’il s’agit de faire cesser par le moyen du symbole ; dans le troisième cas, on pense encore à la pluie, qu’il s’agit de combattre en suscitant son contraire par le moyen d’un symbole. C’est ainsi que les notions abstraites de similarité et de contrariété rentrent toutes les deux dans la notion plus générale de symbolisme traditionnel.
De même, les lois de similarité et de contiguïté tendent l’une vers l’autre. M. Frazer déjà l’a bien dit ; il eût pu facilement le démontrer. Les rites par similarité [27] utilisent normalement les contacts ; contact entre la sorcière et ses vêtements, le magicien et sa baguette, l’arme et la blessure, etc. Les effets sympathiques des substances ne sont transmis que par absorption, infusion, toucher, etc. Inversement, les contacts n’ont d’ordinaire pour but que de véhiculer des qualités d’origine symbolique. Dans les rites d’envoûtement pratiqués sur un cheveu, celui-ci est le trait d’union entre la destruction figurée et la victime de la destruction. Dans une infinité de cas semblables, nous n’avons même plus affaire à des schèmes distincts de notions et de rites, mais à des entre-croisements ; l’acte se complique et ne peut être que difficilement rangé sous l’une des deux rubriques en question. En fait, des séries Page 71entières de rites d’envoûtement contiennent des contiguïtés, des similarités et des contrariétés neutralisantes, à côté de similarités pures, sans que les opérateurs s’en soient préoccupés et sans qu’ils aient jamais conçu réellement autre chose que le but final de leur rite.
Si nous considérons maintenant les deux lois, abstraction faite de leurs applications complexes, nous voyons d’abord que les actions sympathiques (mimétiques) à distance, n’ont pas toujours été considérées comme allant de soi. On imagine des effluves qui se dégagent des corps, des images magiques qui voyagent, des lignes qui relient l’enchanteur et son action, des cordes, des chaînes [28] ; même l’âme du magicien part pour exécuter l’acte qu’il vient de produire. Ainsi, le Malleus maleficarum nous parle d’une sorcière qui, après avoir trempé son balai dans une mare pour faire tomber la pluie, s’envole dans les airs pour aller la chercher. Des nombreux pictogrammes des Ojibways nous montrent le magicien-prêtre, après son rite, tendant son bras vers le ciel, perçant la voûte et ramenant les nuages. De la sorte, on tend à concevoir la similarité comme contiguïté. Inversement, la contiguïté elle-même équivaut à la similarité, et pour cause : car la loi n’est vraie que si, dans les parties, dans les choses en contact, et dans le tout, circule et réside une même essence qui les rend semblables. Ainsi, toutes ces représentations abstraites et impersonnelles de similarité, de contiguïté, de contrariété, bien qu’elles aient été, chacune à leur heure, séparément conscientes, sont naturellement confuses et confondues. Ce sont évidemment trois faces d’une même notion que nous allons avoir à démêler.
De cette confusion, ceux des magiciens qui ont le plus réfléchi sur leurs rites ont eu parfaitement le sentiment. Les alchimistes ont un principe général Hubertqui paraît être, pour eux, la formule parfaite de leurs réflexions théoriques et qu’ils aiment à préfixer à leurs recettes : Mauss« Un est le tout, et le tout est dans un. » HubertVoici, pris au hasard, un des passages où le principe s’exprime le plus heureusement : « Un est le tout, et c’est par lui que le tout s’est formé. Un est le tout, et si tout ne contenait pas le tout, le tout ne se formerait pas » « Ἕν γὰρ τὸ πὰν, καὶ δὶ ´ αὐτοῦ τὸ πὰν γέγονε. Ἕν τὸ πὰν καὶ εἰ μὴ τὰνἔχῃ τὸ πὰρ, οὐ γέγονε τὸ πὰν. » [29] Ce tout qui est dans tout, c’est le monde. Or, nous dit-on quelquefois, le monde est conçu comme un animal unique dont les parties, quelle qu’en soit la distance, sont liées Page 72entre elles d’une manière nécessaire. MaussTout s’y ressemble et tout s’y touche. Cette sorte de panthéisme magique donnerait la synthèse de nos diverses lois. Mais les alchimistes n’ont pas insisté sur cette formule, sauf peut-être pour lui donner un commentaire métaphysique et philosophique dont nous n’avons que des débris. Ils insistent au contraire beaucoup sur la formule qu’ils lui juxtaposent : Natura naturam vincit, etc. La nature, c’est, par définition, ce qui se trouve à la fois dans la chose et dans ses parties, c’est-à-dire ce qui fonde la loi de contiguïté ; c’est encore ce qui se trouve à la fois dans tous les êtres d’une même espèce et fonde par là la loi de similarité ; c’est ce qui fait qu’une chose peut avoir une action sur une autre chose contraire, mais de même genre, et fonde ainsi la loi de contrariété.
Les alchimistes ne restent pas dans ce domaine des considérations abstraites et cela même nous démontre que ces idées ont réellement fonctionné en magie. HubertCe qu’ils entendent par φύσις [30], par nature, c’est l’essence cachée et une de leur eau magique qui produit l’or. La notion que les dernières formules impliquent et que les alchimistes sont très loin de déguiser, c’est celle d’une substance qui agit sur une autre substance, en vertu de ses propriétés, quel qu’en soit le mode d’action. Cette action est une action sympathique, ou se produit entre substances sympathiques et peut s’exprimer ainsi : le semblable agit sur le semblable ; disons avec nos alchimistes, le semblable attire le semblable, ou le semblable domine le semblable (ἕλκει, ou κρατεῖ) [31]. MaussCar, disent-ils, on ne peut agir sur tout avec tout ; comme la nature (HubertφύσιςMauss) est enveloppée de formes (εἴδη), il faut qu’il y ait une relation convenable entre les εἴδη c’est-à-dire les formes des choses qui agissent les unes sur les autres. HubertAinsi, quand ils disent « la nature triomphe de la nature », ils entendent qu’il y a des choses qui se trouvent les unes par rapport aux autres dans une dépendance si étroite qu’elles s’attirent fatalement. C’est dans ce sens qu’ils qualifient la nature de destructrice ; en effet, elle est dissociatrice, c’est-à-dire qu’elle détruit par son influence les composés instables, Mausset par suite suscite des phénomènes ou des formes nouvelles, Huberten attirant à elle l’élément stable et identique à elle-même qu’elles contiennent.
MaussS’agit-il bien ici d’une notion générale de la magie et non pas d’une notion spéciale à une branche de la magie grecque ? Il est à croire que les alchimistes ne l’ont pas invenPage 73tée. Nous la retrouvons chez les philosophes, et nous la voyons appliquée dans la médecine. Il semble qu’elle ait aussi fonctionné dans la médecine hindoue. En tout cas, à supposer que l’idée n’ait pas été exprimée ailleurs, sous cette forme consciente, peu nous importerait. Ce que nous savons bien, et c’est tout ce que nous voulons retirer de ce développement, c’est que ces représentations abstraites de similarité, de contiguïté, de contrariété sont inséparables de la notion de choses, de natures, de propriétés, qui sont à transmettre d’un être ou d’un objet à un autre. Non attribuéC’est aussi qu’il y a des échelles de propriétés, de formes, qu’il faut nécessairement gravir, pour agir sur la nature ; que l’invention du magicien n’est pas libre et que ses moyens d’action sont essentiellement limités.
Mauss2º Représentations impersonnelles concrètes. - La pensée magique ne peut donc pas vivre d’abstraction. Nous avons vu précisément que, lorsque les alchimistes parlaient de la nature en général, ils entendaient parler d’une nature très particulière. Il s’agissait, pour eux, non pas d’une idée pure, embrassant les lois de la sympathie, mais de la représentation fort distincte de propriétés efficaces. Ceci nous amène à parler de ces représentations impersonnelles concrètes qui sont les propriétés, les qualités. Les rites magiques s’expliquent beaucoup moins aisément par l’application de lois abstraites que comme des transferts de propriétés dont les actions et les réactions sont préalablement connues. Les rites de contiguïté sont, par définition, de simples transmissions de propriétés ; à l’enfant qui ne parle pas, on transmet la loquacité du perroquet ; à qui souffre du mal de dents, la dureté des dents de souris. Les rites de contrariété ne sont que des luttes de propriétés de même genre, mais d’espèce contraire : le feu est le propre contraire de l’eau et c’est pour cette raison qu’il fait partir la pluie. Enfin les rites de similarité ne sont tels que parce qu’ils se réduisent, pour ainsi dire, à la contemplation unique et absorbante d’une seule propriété : le feu du magicien produit le soleil, parce que le soleil c’est du feu.
Mais cette idée de propriétés, qui est si distincte, est, en même temps, essentiellement obscure, comme le sont d’ailleurs toutes les idées magiques et religieuses. En magie, comme en religion, l’individu ne raisonne pas ou ses raisonnements sont inconscients. De même qu’il n’a pas besoin de réfléchir sur Page 74la structure de son rite pour le pratiquer, de comprendre sa prière ou son sacrifice, de même qu’il n’a pas besoin que son rite soit logique, de même il ne s’inquiète pas du pourquoi des propriétés qu’il utilise et ne se soucie pas de justifier rationnellement le choix et l’emploi des substances. Nous pouvons nous retracer quelquefois le chemin couvert qu’ont suivi ses idées, mais, pour lui, il n’en est généralement pas capable. Il n’y a dans sa pensée que l’idée vague d’une action possible, pour laquelle la tradition lui fournit des moyens tout faits, en face de l’idée, extraordinairement précise, du but à atteindre. HubertQuand on recommande de ne pas laisser voler les mouches autour d’une femme en travail d’enfant, de crainte qu’elle n’accouche d’une fille, on suppose que les mouches sont douées d’une propriété sexuelle dont il s’agit ici d’éviter les effets. Quand on jette la crémaillère hors du logis pour avoir beau temps, on prête à la crémaillère des vertus d’un certain genre. MaussMais on ne se retrace pas la chaîne des associations d’idées par lesquelles les fondateurs des rites sont arrivés à ces notions.
Non attribuéLes représentations de cette sorte sont peut-être les plus importantes des représentations impersonnelles concrètes, en magie. L’emploi, si général, des amulettes atteste leur extension. Une bonne partie des rites magiques a pour but de fabriquer des amulettes qui, une fois fabriquées rituellement, peuvent être utilisées sans rite. MaussUn certain nombre d’amulettes [32] consistent d’ailleurs en substances et en compositions, dont l’appropriation n’a peut-être pas nécessité de rite ; tel est le cas des pierres précieuses, diamants, perles, etc., auxquelles on attribue des propriétés magiques. Mais, qu’elles tiennent leurs vertus du rite, ou des qualités intrinsèques des matières avec lesquelles elles sont faites, il est à peu près certain que quand on les emploie on ne songe distinctement qu’à leur vertu permanente.
Un autre fait qui prouve l’importance que prend, en magie, cette notion de propriété est que l’une des principales préoccupations de la magie a été de déterminer l’usage et les pouvoirs spécifiques, génériques ou universels, des êtres, des choses et même des idées. Le magicien est l’homme qui, par don, expérience ou révélation, connaît la nature et les natures ; sa pratique est déterminée par ses connaissances. C’est ici que la magie touche de plus près à la science. Elle est quelquefois même, à cet égard, fort savante, sinon vraiment scientifique. Page 75Une bonne partie des connaissances, dont nous parlons ici, est acquise, et vérifiée expérimentalement. Les sorciers ont été les premiers empoisonneurs, les premiers chirurgiens, et on sait que la chirurgie des peuples primitifs est fort développée. On sait aussi que les magiciens ont fait en métallurgie de vraies découvertes. A l’inverse des théoriciens qui ont comparé la magie à la science en raison de la représentation abstraite [33], qu’on y trouve quelquefois, de la sympathie, c’est en raison de ses spéculations et de ses observations sur les propriétés concrètes des choses que nous lui accorderons volontiers un caractère scientifique. Les lois de la magie dont il s’agissait plus haut n’étaient qu’une sorte de philosophie magique. C’était une série de formes vides et creuses, d’ailleurs toujours mal formulées, de la loi de causalité. Maintenant, grâce à la notion de propriété, nous sommes en présence de véritables rudiments de lois scientifiques, c’est-à-dire de rapports nécessaires et positifs que l’on croit exister entre des choses déterminées [34]. Par le fait qu’ils sont arrivés à se préoccuper de contagions, d’harmonies, d’oppositions, les magiciens en sont venus à l’idée d’une causalité, qui n’est plus mystique, même lorsqu’il s’agit de propriétés qui ne sont pas expérimentales. C’est même en partant de là, qu’ils ont fini par se figurer d’une façon mécanique les vertus des mots ou des symboles [35].
Non attribuéNous constatons d’une part que chaque magie a forcément dressé, pour elle-même, un catalogue de plantes, de minéraux, d’animaux, de parties du corps, etc., à l’effet d’en enregistrer les propriétés spéciales ou non, expérimentales ou non. D’autre part, chacune s’est préoccupée de codifier des propriétés des choses abstraites : figures géométriques, nombres, qualités morales, mort, vie, chance, etc. ; et enfin chacune a fait concorder ces divers catalogues.
MaussIci, nous nous arrêtons à une objection : ce sont, dira-t-on, les lois de sympathie qui déterminent la nature de ces propriétés. Par exemple, la propriété de telle plante, de telle chose, vient de sa couleur identique ou contraire à celle de la chose ou de l’être colorés sur lesquels on croit qu’elle agit. Mais, répondons-nous, dans ce cas, bien loin qu’il y ait association d’idées entre deux objets, en raison de leur couleur, nous sommes en présence, tout au contraire, d’une convention expresse, quasi législative, en vertu de laquelle, parmi toute une série de caractéristiques possibles, on choisit la couleur pour établir des relations entre les choses et, de plus, on ne Page 76choisit qu’un ou quelques-uns des objets de ladite couleur pour réaliser cette relation. C’est ce que font les Cherokees quand ils prennent leur « racine jaune » pour guérir la jaunisse. Le raisonnement que nous venons de faire pour la couleur vaut encore pour la forme, la résistance, et toutes les autres propriétés possibles.
D’autre part, si nous admettons parfaitement qu’il y a des choses qui sont investies de certains pouvoirs, en vertu de leur nom (reseda morbos reseda) [36], nous constatons que ces choses agissent plutôt à la façon d’incantations que d’objets à propriétés, car elles sont des sortes de mots réalisés. De plus, en pareil cas, la convention, dont nous venons de parler, est encore plus apparente, puisqu’il s’agit de cette convention parfaite qu’est un mot, dont le sens, le son, le tout, sont, par définition, le produit d’un accord tribal ou national. On pourrait plus difficilement encore faire état des clés magiques, qui semblent définir les propriétés des choses par leurs rapports avec certains dieux ou avec certaines choses (exemples : cheveux de Vénus, doigt de Jupiter, barbe d’Ammon, urine de vierge, liquide de Çiva, cervelle d’initié, substance de Pedu), dont elles représenteraient, en somme, le pouvoir. Car, dans ce nouveau cas, la convention qui établit la sympathie est double ; d’abord, on a celle qui détermine le choix du nom, du premier signe (urine = liquide de Çiva), et celle qui détermine le rapport entre la chose nommée, le deuxième signe, et l’effet (liquide de Çiva = guérison de la fièvre parce que Çiva est le dieu de la fièvre).
La relation de sympathie est peut-être de nouveau plus apparente dans le cas des séries parallèles de végétaux, de parfums et de minéraux qui correspondent aux planètes. Mais, sans parler du caractère conventionnel de l’attribution de ces substances à leur planète respective, il faut au moins tenir compte de la convention qui détermine les vertus desdites planètes, vertus pour la plupart morales (Mars = guerre, etc.). En résumé, loin que ce soit l’idée de sympathie qui ait présidé à la constitution des notions de propriétés, c’est l’idée de propriété, ce sont les conventions sociales dont elle a fait l’objet, qui ont permis à l’esprit collectif de nouer les liens sympathiques dont il s’agit.
Cette réponse à une objection que nous nous posions à nous-mêmes ne signifie pas que les propriétés des choses ne font pas partie, selon nous, des systèmes de relations sympathiques. Page 77Bien au contraire, nous attachons aux faits dont nous venons de parler une extrême importance. On les connaît d’ordinaire sous le nom de signatures, c’est-à-dire de correspondances symboliques. Ce sont, quant à nous, des cas de classification, à rapprocher de ceux qui ont été étudiés l’année dernière dans l’Année Sociologique. Ainsi, les choses, rangées sous tel ou tel astre, appartiennent à une même classe ou plutôt à la même famille que cet astre, sa région, ses mansions, etc. Les choses de même couleur, celles de même forme, etc., sont réputées apparentées à cause de leur couleur, de leur forme, de leur sexe, etc. Le groupement des choses par contraires est également une forme de classification : c’est même une forme de pensée essentielle à toute magie que de répartir les choses au moins en deux groupes : bonnes et mauvaises, de vie et de mort. Nous réduisons donc le système des sympathies et des antipathies à celui des classifications de représentations collectives. Les choses n’agissent les unes sur les autres que parce qu’elles sont rangées dans la même classe ou opposées dans le même genre. C’est parce qu’ils sont membres d’une même famille que des objets, des mouvements, des êtres, des nombres, des événements, des qualités, peuvent être réputés semblables. C’est encore parce qu’ils sont membres d’une même classe que l’un peut agir sur l’autre, par le fait qu’une même nature est censée commune à toute la classe comme un même sang est censé circuler à travers tout un clan. Ils sont donc, par là, en similarité et en continuité. D’autre part, de classe à classe, il doit y avoir des oppositions. La magie n’est d’ailleurs possible que parce qu’elle agit avec des espèces classées. Espèces et classifications sont elles-mêmes des phénomènes collectifs. C’est ce que prouvent à la fois leur caractère arbitraire, et le petit nombre d’objets choisis auxquels elles sont limitées. En somme, dès que nous en arrivons à la représentation des propriétés magiques, nous sommes en présence de phénomènes semblables à ceux du langage. De même que, pour une chose, il n’y a pas un nombre infini de noms, de même qu’il n’y a pour les choses qu’un petit nombre de signes, et de même que les mots n’ont que des rapports lointains ou nuls avec les choses qu’ils désignent, de même, entre le signe magique et la chose signifiée, il n’y a que des rapports très étroits mais très irréels, de nombre, de sexe, d’image, et en général de qualités tout imaginaires, mais imaginées par la société [37].
Page 78Il y a dans la magie d’autres représentations à la fois impersonnelles et concrètes que celles des propriétés. Ce sont celles du pouvoir du rite et de son mode d’action ; nous en avons parlé plus haut à propos des effets généraux de la magie, en signalant des formes concrètes de ces notions, mâmit, mana, effluves, chaînes, lignes, jets, etc. Ce sont encore celles du pouvoir des magiciens et de leur mode d’action dont nous avons aussi parlé précédemment, à propos du magicien lui-même : puissance du regard, force, poids, invisibilité, insubmersibilité, pouvoir de se transporter, d’agir directement à distance, etc.
Ces représentations concrètes, mêlées aux représentations abstraites, permettent, à elles seules, de concevoir un rite magique. En fait, il y a des rites nombreux auxquels ne correspondent pas d’autres représentations définies. Le fait qu’elles sont suffisantes justifierait peut-être ceux qui, dans la magie, n’ont vu que l’action directe des rites et ont négligé, comme secondaires, les représentations démonologiques qui, cependant, entrent dans toutes les magies connues, et, selon nous nécessairement.
3º Représentations personnelles. Démonologie [38]. - Entre les notions d’esprits et les idées concrètes ou abstraites, dont nous venons de parler, il n’y a pas de réelle discontinuité. Entre l’idée de la spiritualité de l’action magique et l’idée d’esprit, il n’y a qu’un pas très facile à franchir. L’idée d’un agent personnel peut même être, de ce point de vue, considérée comme le terme auquel conduisent nécessairement les efforts faits pour se représenter, d’une façon concrète, l’efficacité magique des rites et des qualités. En fait, il est arrivé que l’on a considéré la démonologie comme un moyen de figurer les phénomènes magiques : les effluves sont des démons, αἱ ἀγαθαὶ ἀπόῤῥοιαι τῶν ἀστέρων εἰσὶν δαίμονες καί τυχαι καὶ μοῖραι [39]. La notion du démon, de ce point de vue, ne s’oppose donc pas aux autres notions, elle est, en quelque sorte, une notion supplémentaire destinée à expliquer le jeu des lois et des qualités. Elle substitue simplement l’idée d’une personne cause à l’idée de la causalité magique.
Toutes les représentations de la magie peuvent aboutir à des représentations personnelles. Le double du magicien, son animal auxiliaire, sont des représentations personnifiées de son pouvoir et du mode d’action de ce pouvoir. Quelques picPage 79togrammes Ojibways le démontreraient pour les manitous du jossakîd. De même, l’épervier merveilleux qui transmet les ordres de Nectanebo est son pouvoir magique. Dans tous les cas, l’animal et le démon auxiliaires sont des mandataires personnels, effectifs, du magicien. C’est par eux qu’il agit à distance. De même, le pouvoir du rite se personnalise. En Assyrie, le mâmit se rapproche du démon. En Grèce, ἴυγξ [40], c’est-à-dire la rouelle magique, a fourni des démons ; de même, certaines formules magiques, les Ephesia grammata. L’idée de propriété aboutit au même point. Aux plantes à vertus correspondent des démons, qui guérissent les maladies ou les causent ; nous connaissons de ces démons des plantes en Mélanésie, chez les Cherokees, comme en Europe (Balkans, Finlande, etc.). Les démons balnéaires de la magie grecque sont nés de l’emploi pour les maléfices des objets pris dans les bains. On voit par ce deuxième exemple que la personnification peut s’attacher aux détails les plus infimes du rite. Elle s’est également appliquée à ce qu’il y a de plus général dans l’idée des pouvoirs magiques. L’Inde a divinisé la Çakti, le pouvoir. Elle a encore divinisé l’obtention des pouvoirs, siddhi, et l’on invoque la Siddhi, au même titre que les Siddha, ceux qui l’ont obtenue.
Non attribuéLa série des personnifications ne s’arrête pas là ; l’objet même du rite est personnifié sous son propre nom commun. C’est le cas, d’abord, des maladies : fièvre, fatigue, mort, destruction, en somme, de tout ce qu’on exorcise ; une histoire intéressante à conter serait celle de cette divinité incertaine du rituel atharvanique qu’est la déesse Diarrhée. Naturellement, c’est dans le système des incantations, des évocations en particulier, que nous voyons se produire ce phénomène, plutôt que dans le système des rites manuels où, d’ailleurs, il peut passer inaperçu. Dans les incantations, on s’adresse, en effet, à la maladie qu’on veut chasser ; c’est déjà la traiter comme une personne. MaussC’est pour cette raison que presque toutes les formules malaises sont conçues sous la forme d’invocations adressées à des princes ou princesses qui ne sont autres que les choses ou les phénomènes considérés. Ailleurs, dans l’Atharvaveda par exemple, tout ce qui est incanté devient réellement personnel. Ainsi, les flèches, les tambours, l’urine, etc. Il y a là certainement plus qu’une forme de langage, et ces personnes sont plus que de simples vocatifs. Elles existaient avant et elles existent après l’incantation. Page 80Tels sont les φόβοι [41] grecques, les génies des maladies dans le Folk-lore balkanique, Laksmî (fortune), Nirrti (destruction) dans l’Inde. Ces dernières ont même des mythes, comme d’ailleurs en ont, dans la plupart des magies, presque toutes les maladies personnifiées.
L’introduction de cette notion d’esprit ne modifie pas nécessairement le rituel magique. En principe, l’esprit, en magie, n’est pas une puissance libre, il ne fait qu’obéir au rite, qui lui indique dans quel sens il doit agir. Il se peut donc que rien ne trahisse sa présence, pas même une mention dans l’incantation. Cependant, il arrive que l’auxiliaire spirituel se fasse sa part, et une large part, dans les cérémonies magiques. Il en est où l’on fabrique l’image d’un génie ou d’un animal auxiliaire. Nous trouvons, dans les rituels, des prières, des indications d’offrandes, de sacrifices, qui n’ont d’autre objet que d’évoquer et de satisfaire des esprits personnels. À vrai dire, ces rites sont souvent surérogatoires par rapport au rite central, dont le schème reste toujours symbolique ou sympathique dans ses grandes lignes. Mais elles sont quelquefois tellement importantes qu’elles absorbent la cérémonie tout entière. Ainsi, il arrive que des exorcismes soient entièrement contenus dans le sacrifice ou la prière qui s’adresse au démon qu’il faut écarter, ou au dieu qui l’écarte.
Quand il s’agit de pareils rites, on peut dire que l’idée d’esprit est le pivot autour duquel ils tournent. Il est évident, par exemple, que l’idée de démon est antérieure à toute autre chez l’opérateur, quand il s’adresse à un dieu, comme il arrive dans la magie gréco-égyptienne, pour le prier de lui envoyer un démon qui agisse pour lui. Dans un pareil cas, l’idée du rite s’efface et, avec elle, tout ce qu’elle enveloppait de nécessité mécanique ; l’esprit est un serviteur autonome et représente, dans l’opération magique, la part du hasard. Le magicien finit par admettre que sa science ne soit pas infaillible et que son désir puisse n’être pas accompli. En face de lui, une puissance se dresse. Ainsi l’esprit est, tour à tour, soumis et libre, confondu avec le rite et distinct du rite. Il semble que nous nous trouvions en présence d’une de ces confusions antinomiques dont abonde l’histoire de la magie, comme celle de la religion. La solution de cette contradiction apparente appartient à une théorie des rapports de la magie et de la religion, Cependant nous pouvons déjà dire ici que les faits les plus nombreux en magie sont ceux où le rite Page 81paraît contraignant, sans nier l’existence des autres faits dont nous retrouverons ailleurs l’explication.
Que sont les esprits de la magie ? Nous allons en tenter une classification très sommaire, un dénombrement très rapide, qui nous montrera comment la magie a recruté ses armées d’esprits. Nous verrons immédiatement que ces esprits ont d’autres qualifications que des qualifications magiques, qu’ils appartiennent aussi à la religion [42].
Une première catégorie d’esprits magiques est constituée par les âmes des morts. Il y a même des magies qui, soit par réduction, soit originellement, ne connaissent pas d’autres esprits. Dans la Mélanésie occidentale, on a recours, dans la cérémonie magique, comme dans la religion, à des esprits, nommés tindalos qui, tous, sont des âmes, Tout mort peut devenir tindalo, s’il manifeste sa puissance par un miracle, un méfait, etc. Mais, en principe, ne deviennent tindalos que ceux qui avaient eu, de leur vivant, des pouvoirs magiques ou religieux. Les morts peuvent donc ici fournir des esprits. Il en est de même en Australie et en Amérique, chez les Cherokees et les Ojibways. — Dans l’Inde ancienne et moderne, les morts, ancêtres divinisés, sont invoqués en magie ; mais dans les maléfices, on invoque plutôt les esprits des défunts pour lesquels les rites funéraires n’ont pas encore été parfaitement accomplis (preta), de ceux qui ne sont pas ensevelis, des hommes morts de mort violente, des femmes mortes en couches, des enfants mort-nés (bhûta, churels, etc.). — Les mêmes faits se sont produits dans la magie grecque, dont les δαίμονες [43], c’est-à-dire les esprits magiques, ont reçu des épithètes qui les désignent comme des âmes : on rencontre quelquefois la mention de νεκυδαίμονες [44], de δαίμονες μητρῷοι καί πατρῷοι [45], mais, plus souvent, celle de démons morts de mort violente (βιαιοθανάτοι [46]) non ensevelis (ἄποροι ταφἢς [47]), etc. En pays grec, une autre classe de défunts fournit encore des auxiliaires magiques, c’est celle des héros, c’est-à-dire des morts qui, par ailleurs, sont l’objet d’un culte public ; toutefois, il n’est pas sûr que tous les héros magiques aient été des héros officiels. Sur ce point même, le tindalo mélanésien est tout à fait comparable au héros grec, car il peut n’avoir jamais été un mort divinisé et, pourtant, il est conçu obligatoirement sous cette forme. — Dans le christianisme, tous les morts ont des propriétés utilisables, des qualités de mort ; mais la magie n’agit guère qu’avec les âmes des enfants non Page 82baptisés, celles des morts de mort violente, des criminels. — Ce très court exposé montre que les morts sont esprits magiques, soit en vertu d’une croyance générale à leur pouvoir divin, soit en vertu d’une qualification spéciale qui, dans le monde des fantômes, leur donne, par rapport aux êtres religieux, une place déterminée.
Une deuxième catégorie d’êtres magiques est celle des démons. Bien entendu, le mot de démon n’est pas pour nous synonyme du mot diable, mais des mots génie, djinn, etc. Ce sont des esprits, peu distincts des âmes des morts, d’une part, et qui, d’autre part, ne sont pas encore arrivés à la divinité des dieux. Bien qu’ils aient une personnalité assez falote, ils sont souvent déjà quelque chose de plus que la simple personnification des rites magiques, des qualités ou des objets. En Australie, il semble qu’on les ait partout conçus, sous une forme assez distincte ; même, quand nous avons à leur sujet des informations suffisantes, ils nous paraissent en somme assez spécialisés. Chez les Aruntas, nous trouvons des esprits magiques, les Orunchas et les Iruntarinias, qui sont de véritables génies locaux dont le caractère assez complexe marque bien l’indépendance. Dans la Mélanésie orientale, on invoque des esprits, qui ne sont pas des âmes des morts et dont un certain nombre ne sont pas des dieux proprement dits ; ces esprits tiennent une place considérable, surtout dans les rites naturistes : vui des îles Salomon, vigona de Floride, etc. Dans l’Inde, aux devas, les dieux, sont opposés les pisâcas, yaksasas, râksasas, etc., dont l’ensemble constitue, dès qu’il y a classification, la catégorie des Asuras, dont les principales personnalités sont Vrtra (le rival d’Indra), Namuci (id.), etc. Tout le monde sait que le mazdéisme a considéré, au contraire, les daevâs, suppôts d’Ahriman, comme les adversaires d’Ahura Mazda. De part et d’autre, dans ces deux cas, nous avons affaire à des êtres magiques spécialisés, comme mauvais génies il est vrai ; et pourtant, leurs noms mêmes démontrent que, entre eux et les dieux, il n’y avait pas, au moins à l’origine, de radicale distinction. Chez les Grecs, les êtres magiques sont les δαίμονες [48], qui, comme nous l’avons vu, voisinent avec les âmes des morts. La spécialisation de ces esprits est telle que la magie a été définie, en Grèce, par ses relations avec les démons. Il y a des démons de tous sexes, de toutes sortes, de toutes consistances ; les uns sont localisés, les autres peuplent l’atmosphère. Un Page 83certain nombre ont des noms propres, mais ce sont des noms magiques. Le sort des δαίμονες fut de devenir de mauvais génies et d’aller rejoindre, dans la classe des esprits malfaisants, les Kerkopes, Empuses, Kères, etc. La magie grecque a, de plus, une préférence marquée pour les anges juifs et en particulier pour les archanges, de même que la magie malaise. Enfin elle se constitue avec ses archanges, anges, archontes, démons, éons, un véritable panthéon magique hiérarchisé. La magie du Moyen Age en a hérité, de même que tout l’Extrême-Orient a hérité du panthéon magique des Hindous. Mais les démons furent transformés en diables et rangés à la suite de Satan-Lucifer, de qui relève la magie. Cependant nous voyons, dans la magie du Moyen Age, et jusqu’à nos jours, dans des pays où les vieilles traditions se sont mieux conservées que dans le nôtre, subsister d’autres génies, fées, farfadets, gobelins, kobolds, etc.
Mais la magie ne s’adresse pas nécessairement à des génies spécialisés. En fait, les diverses classes d’esprits spécialisés dont nous venons de parler n’ont pas toujours été exclusivement magiques et, même devenues magiques, elles ont encore leur place dans la religion — on ne dira jamais que la notion d’enfer soit une notion magique. D’autre part, il y a des pays où les fonctions de dieu et de démon ne sont pas encore distinguées. C’est le cas de toute l’Amérique du Nord ; les manitous algonquins passent constamment des unes aux autres ; c’est également le cas de la Mélanésie orientale, où les tindalos font de même. En Assyrie, nous trouvons des séries entières de démons, dont nous ne sommes pas sûrs qu’ils ne soient pas des dieux ; dans l’écriture, leur nom porte en général l’affixe divin ; tels sont, en particulier, les principaux d’entre eux, les Igigi et les Annunnaki, dont l’identité est encore mystérieuse. Somme toute, les fonctions démoniaques ne sont pas incompatibles avec les fonctions divines ; d’ailleurs, l’existence de démons spécialisés n’interdit pas à la magie de recourir à d’autres esprits, pour leur faire tenir momentanément un rôle démoniaque. Aussi voyons-nous, dans toutes les magies, des dieux et, dans la magie chrétienne, des saints figurer parmi les auxiliaires spirituels. Dans l’Inde, les dieux interviennent même dans le domaine du maléfice, malgré la spécialisation qui s’y est produite, et ils sont les personnages essentiels de tout le reste du rituel magique. Dans les pays autrefois hindouisés, Malaisie et Câmpa (Cambodge), le Page 84panthéon brahmanique figure tout entier dans la magie. Quant aux textes magiques grecs, ils mentionnent d’abord une foule de dieux égyptiens, soit sous leur nom égyptien, soit sous leur nom grec, des dieux assyriens ou perses, Iahwé et toute la séquelle des anges et des prophètes juifs, c’est-à-dire des dieux étrangers à la civilisation grecque. Mais on y voit également prier les « grands dieux », avec leur nom et sous leur forme grecque, Zeus, Apollon, Asclépios, et même avec les déterminatifs de lieu qui les particularisent. En Europe, dans un très grand nombre d’incantations, dans les charmes mythiques en particulier, ne figurent que la Vierge, le Christ et les saints.
Les représentations personnelles ont dans la magie une consistance suffisante pour avoir formé des mythes. Les charmes mythiques dont nous venons de parler contiennent des mythes propres à la magie. Il y en a d’autres qui expliquent l’origine de la tradition magique, celle des relations sympathiques, celle des rites, etc. Mais, si la magie connaît des mythes, elle n’en connaît que de rudimentaires, de très objectifs, visant uniquement les choses, et non pas les personnes spirituelles. La magie est peu poétique, elle n’a pas voulu faire l’histoire de ses démons. Ceux-ci sont comme les soldats d’une armée, ils forment des troupes, des ganas, des bandes de chasseurs, des cavalcades ; ils n’ont pas de véritable individualité. Bien plus, quand les dieux entrent dans la magie, ils perdent leur personnalité et laissent pour ainsi dire leur mythe à la porte. La magie ne considère pas en eux l’individu, mais la qualité, la force, soit générique, soit spécifique, sans compter qu’elle les déforme à plaisir et qu’elle les réduit souvent à n’être plus que de simples noms. De même que nous avons vu les incantations donner des démons, les dieux finissent par se réduire à des incantations.
Le fait que la magie a fait place aux dieux montre qu’elle a su se prévaloir des croyances obligatoires de la société. C’est parce qu’ils étaient, pour celle-ci, objet de croyances, qu’elle les a fait servir à ses desseins. Mais les démons sont, de même que les dieux et les âmes des morts, l’objet de représentations collectives, souvent obligatoires, souvent sanctionnées, au moins par des rites, et c’est parce qu’ils sont tels qu’ils sont des forces magiques. En fait, chaque magie aurait pu en dresser des catalogues limitatifs, sinon quant au nombre, du moins quant aux types. Cette limitation hypothétique et théoPage 85rique serait un premier signe du caractère collectif de la représentation des démons. En second lieu, il y a des démons qui sont nommés à la façon des dieux ; comme ils sont employés conventionnellement à toutes fins, ils ont reçu de la multiplicité de leurs services une espèce d’individualité et sont, individuellement, l’objet d’une tradition. De plus, la croyance commune à la force magique d’un être spirituel suppose toujours qu’il a fait, aux yeux du publie, ses preuves, miracles ou actes efficaces. Une expérience collective, tout au moins, une illusion collective est nécessaire pour créer un démon proprement dit. Enfin comptons, pour mémoire, le fait que la plupart des esprits magiques sont exclusivement donnés dans le rite et la tradition ; leur existence n’est jamais vérifiée que postérieurement à la croyance qui les impose. Ainsi, de même que les représentations impersonnelles de la magie semblent n’avoir d’autre réalité que la croyance collective, c’est-à-dire traditionnelle et commune à tout un groupe, dont elles sont l’objet, Non attribuéde même ses représentations personnelles sont, à nos yeux, collectives ; nous pensons même qu’on l’admettra plus aisément encore [49].Page 86Non attribué
[1] Hubert rédigea explicitement une fiche portant sur la question de « la pratique magique » dans laquelle il précise ce qui différencie la pratique magique des autres pratiques techniques, en particulier la médecine.
[2] Le terme latin vincituri est vraisemblablement erroné. Il faut remplacer vincituri par vincitur, ce qui donne : Le poison est vaincu par le poison, la nature vainc la nature.
[3]
Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye
Dans une fiche, Hubert ajoute : « Il se traduit par des signes extérieurs des altérations de la conscience et des signes extérieurs ; la lycanthropie est une de ces déformations produites par les rites magiques. Le pouvoir de transformer un homme en loup-garou est attribué à la messe du Saint-Esprit, dite à l’effet de se débarrasser des persécutions d’un sorcier. La métamorphose est une figuration grossie du changement d’état de l’ensorcelé. Dans le cas d’enchantement qu’on peut ranger sous la rubrique de fascination, l’effet de l’action magique trouve au contraire son expression la plus vague. »
Dans une autre fiche, on peut lire : « (La) possession est une forme extrême mais typique de l’ensorcellement des personnes, un nouvel élément s’introduit dans la personnalité de l’ensorcelé qui est avec celle de l’ensorceleur dans une relation analogue ou semblable. C’est ainsi que se réalise la mainmise du second sur le premier. Le changement d’état de celui-ci est donc réel et intense ».
[4] Katadesmos : « lien magique ».
[5] Philtrokatadesmos : « charme érotique »
[6] « J’évoque, j’expulse, je chasse par des enchantements ce lien de ces membres, de la moelle ».
[7] Charles Fossey (1869–1946) est assyriologue. Il succède à Jules au Collège de France en 1906. Sa thèse sera publié en 1902 sous le titre : La Magie assyrienne : étude suivie de textes magiques. Mauss en possède un exemplaire, désormais conservé à la Bibliothèque du Musée du Quai Branly (MH-L-A-013052)
[8] Le passage évoqué se trouve à Edward Tylor, Primitive Culture, London, Murray, 1871, vol. 1, p. 104.
[9] Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Pour la question des cheveux on peut également se reporter à cette fiche d’Hubert.
[10] Hubert ajoute ici une référence : « Pline, H[istoire] N[aturelle] XXVIII, 36 ; Frazer, Golden Bough, I, 57-59 ».
[11] En note, Hubert fait référence au texte Hans Zahler, Die Krankheit im Volksglauben des Simmenthals, Bern, Haller, 1898.
[12] Hubert note : « Felicina Giannini-Finucci, archivio, XI, p. 448 ». Cette référence est également faite par Sydney Hartland dans The Legend of Perseus.
[13] Dans son manuscrit, Hubert utilise le terme de « communication » pour clore sa phrase. En note, il fait référence au texte de Hans Zahler, mais aussi à celui de Andrew Lang, Mythes, cultes et religion, traduit, avec la collaboration de A. Dirr, et précédé d’une introduction par Léon Marillier. Paris, Alcan 1896.
[14] Hubert fait référence en note aux travaux de W. Drexler « Alte Beschwörungensformeln, Bemerkungen zu Kyranis » Philologus, 58, 1899, p. 594-616 ; et à celui de Charles Godfrey Leland, Etruscan Roman Remains in Popular Tradition, New York, C. Scribner’s sons, and London, T. F. Unwin, 1892.
[15] Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Hubert intercale une série de fiche sur Frazer et une concernant Sydney Hartland intitulé « Déplacement du mal ».
[16] Plusieurs fiches d’Hubert sont intercalées, dont celle-ci : « Puisque l’exactitude de la figure importe peu on peut figurer le possible, représenter ainsi des enfants à naître par des têtes de pavots, ou bien des êtres de formes indéterminée comme des génies, des mauvais sorts, etc. L’image étant un signe abstrait peut avoir comme nous l’avons vu dans le cas du péché une valeur collective ». Deux références sont également données par Hubert : un article de 1900 du Die Zeitschrift des Vereins für Volkskunde et le texte de Charles Rogers, Social life in Scotland, Edinburgh, William Paterson, 1886.
[17] Victor Henry (1850–1907) est un proche de Sylvain Lévi. À partir de 1888, il succède à Abel Bergaigne à la chaire de sanscrit et grammaire comparée de la Faculté des Lettres de Paris. Mauss et Hubert font très certainement référence à son texte intitulé : La Magie dans l’Inde antique, Paris, É. Nourry, 1904 (réimpr. 1909), XXXIX-286 p.
[18] Hubert fait référence en note aux travaux de B. W. Schiffer et à ceux de Sidney Hartland.
[19] Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Une note d’Hubert est ici intercalée : « Nous avons un exemple comparable dans une cérémonie ou l’on représente une personne au moyen d’une baguette de noisetier coupée à cet effet avec laquelle on frappe une table. Dans les rites équivalents on a dessiné sur la table battue ou frappée avec un couteau l’image du personnage visé, mais, ici, il est suffisamment désigné par l’affectation préalable de la baguette qui détermine par échange de fonction celle de la table. »
[20] Hubert utilise dans son manuscrit le terme de « confusion ».
[21] Une fiche de Hubert est intercalée : « Les effets de la loi apparaissent au contraire en pleine lumière dans un grand nombre d’opérations ou le résultat désiré est obtenu par de simples actes symboliques. De même que la figure est semblable identique à la personne, la figure de l’acte ou du phénomène est respectivement identique à ce qu’elle représente, et si la chose représentée n’existe pas encore la représentation a pour effet d’en déterminer la production. Dans le cas de translation de maladie, on supprime la maladie par la destruction ou l’éloignement de ce qui la représente ». En note, il ajoute : « Voir Frazer Golden Bough, I, III, ch. III. »
[22] Dans son manuscrit Mauss note : « en dehors de la tradition il n’y a ni croyance ni salut »
[23] Plusieurs fiches d’Hubert sont ici intercalées, dont celle-ci : « À défaut de l’instrument on utilise en vertu de la sympathie par continuité un représentant de l’auteur du mal. Ainsi l’on brule dans une cheminée un morceau du vêtement d’une sorcière supposée et l’on expose à la fumée l’enfant charmé par elle ».
[24] Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Dans une fiche intercalée, Hubert ajoute : « Entre un blessé et l’agent de sa blessure, le contact détermine une relation sympathique et l’on peut soigner la blessure par l’intermédiaire de l’arme. Un pas plus loin est la cause du mal fournit le remède. Il est naturel que l’on puisse localiser sur une partie d’une chose ou d’un être ce que l’on peut transmettre par contagion ».
[25] Peri sumpatheiôn kai antipatheiôn : « Au sujet des sympathies et antipathies ».
[26] Ce passage du manuscrit de Mauss n’a pas été repris : « Si nous nommons A’ le symbole de A et B le contraire de A, la première formule sera BA’A ; étant donné la sécheresse B, inversant de l’eau A’ je produis la pluie A ; la seconde formule sera AA’B étant donnée la jaunisse A, je prends un perroquet jaune A’ et je produit l’état normal B. La troisième formule sera BAA’. »
[27] Dans le manuscrit Mauss utilise « sympathiques », expression qu’il barre.
[28] Hubert ajoute dans une note : « On imagine des effluves qui se détachent des corps, des images magiques, que met en branle l’incantation. C’est par des effluves que Proclus explique la parenté des métaux et des astres ». Dans une autre fiche, il complète : « Une sorcière blessée peut vivre, paraît-il quand elle peut manger du pain et du sel de celui qui l’a blessée. La croyance est commune sous cette forme ou sous d’autre et explique pourquoi quand on envoûte une sorcière elle veut emprunter quelque chose à l’envoûté. Elle annule l’opération en communiant avec lui. Une accouchée, dit-on, ne doit pas voir un [ill] sans mourir ; mais elle se sauve si elle peut boire de la bière portée par le même personnage. » Hubert donne comme référence les travaux de Franz Tetzner (1863-1919).
[29] Hen gar to pan, kai di’ autou to pan gegone. Hen to pan kai ei mê tanechêi to par, ou gegone to pan.
[30] Phusis.
[31] Helkei ou kratei
[32] Dans une note, Hubert ajoute : « Les différents produits de la chimie magique, philtres amoureux, onguents médicinaux, eau sacrée des alchimistes sont à comparer aux amulettes. »
[33] Frazer en premier lieu.
[34] Dans une fiche d’Hubert, on peut lire : « on trouve appliquées par la magie des courants sur la sainteté du nombre impaire et du nombre trois, du nombre 99, du nombre quatre, etc… »
[35]
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Dans une fiche plus longue, Hubert ajoute : « Les substances employées dans la préparation des talismans amulettes, des philtres, remèdes, etc., agissent chacune prise à part de la même façon. L’une des principales objets préoccupations de la magie est de déterminer l’usage des particularités spécifiques des êtres vivants et des choses. L’aimant est une substance magique, de même le sel, le galbanum, la pierre dite aglaophotis ou marmaritis est utilisée dans les évocations, contre l’épilepsie et les maux d’yeux. »
[36] Les auteurs renvoient ici à Pline, Histoire naturelle, livre 27, ch. 12 où il est question du réséda (du latin resedare, calmer), plante à fleurs blanchâtres ou jaunâtres, que l’on doit appliquer sur une inflammation en prononçant la formule « calme les maladies, calme ! »
[37] Plusieurs fiches d’Hubert sont ici intercalées : « Des séries de plantes, de minéraux, de parfums correspondent à la série des planètes et sont utilisées pour cette raison. » ; « La septuple répétition d’une même cérémonie, d’un même geste ou d’un même mot, paraît avoir pour objet d’évoquer les influences planétaires au même titre que la prononciation des voyelles. C’est ce que montrent clairement les rites d’initiation du Livre de Moïse » ; « Il en est des choses comme des personnes. Tout ce qui est contigüité est en sympathie. Soit une maladie ; on la suppose localisée en dehors du malade, elle s’étend à tout ce qui touche à sa place d’origine. Pour la connaître qu’on prenne trois cailloux, l’un au ruisseau, l’autre dans la rue, le troisième dans le bois, qu’on les fasse chauffer et les jette dans l’eau ; celui qui sifflera le plus donnera l’indication cherchée. » ; « On admet des concordances sympathiques préétablies entre les séries de mouvements. Il y a des concordances données en dehors des opérations magiques. La coordination de ces mouvements rappelle alors les classes sympathiques d’êtres dont nous avons parlé plus haut. De même qu’il y a des séries de choses en continuité sympathique, il y a dans la nature des harmonies de mouvements qui s’appellent l’un l’autre (…) ».
[38] Dans une de ses fiches, Hubert indique concernant la démonologie : « La contingence dans les effets des actes magiques : l’explication démonologique n’explique pas à elle seule la croyance quand on laisse de côté les autres éléments. »
[39] Hai agathai aporroiai tôn asterôn eisin daimones kai tuchai kai moirai : « les bonnes effluves des astres sont les démons et les destins et les Moires ».
[40] Iunx.
[41] Phoboi : « craintes ».
[42] Une note d’Hubert est intercalée : « D’autre part, il ne faudrait pas exagérer l’efficacité attribuée à l’acte magique. On y admet sinon une part d’aléa, du moins une part de mystère et d’inconnu ; le magicien prévoit que sa science peut être insuffisante, que l’observation des rites peut être inexacte, que des conditions de réussite peuvent avoir été omises, que des oppositions peuvent se produire et il est amené à demander un secours à des puissances spirituelles qu’il est capable de se concilier. Il demande à un dieu de lui envoyer le démon nécessaire ou il invoque la puissance dont dépend l’efficacité des rites. (…) »
[43] Daimones : « démons ».
[44] Nekudaimones : « démons des morts ».
[45] Daimones mêtrôioi kai patrôioi : « démons maternels et paternels ».
[46] Biaiothanatoi.
[47] Aporoi taphês.
[48] Daimones.
[49] Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Loic Hamon © Musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye Plusieurs fiches de Hubert sont ajoutées ici et touchent à la question des noms divins : « la magie est donc appelée à agir sur des esprits soit qu’elle les prenne comme auxiliaires, soit qu’elle les traite comme les agents des phénomènes. De ces êtres ou de leurs noms les uns se rencontrent seulement dans des formules magiques, les autres appartiennent en commun à la magie et à la religion. Une première catégorie d’êtres magiques est celle des démons, Platon leur attribue la réussite des opérations magiques. D’après les définitions antiques le propre de la magie est d’agir sur les démons » ; « Les esprits de la maison trouvent leur place parmi les auxiliaires magiques ».