Don de l’Inde à l’UNIL à l’occasion de l’inauguration de la chaire Tagore

Don de l’Inde à l’UNIL à l’occasion de l’inauguration de la chaire Tagore

Buste de Rabindranath Tagore

Parmi les moulages égyptiens et antiques, nous remarquons au 4e étage de l’Anthropole un buste qui se détache de ce corpus. Quotidiennement, étudiants, professeurs et autres membres de l’UNIL se croisent près de l’œuvre qui reposent au sommet des escaliers près de la Section de langues et civilisations slaves et de l’Asie du Sud. Si nous la remarquons aujourd’hui, c’est principalement grâce à son socle monumental et massif en bois recouvert d’une plaque racontant l’origine de la pièce.

Rabindranath Tagore (1891-1941), Janak Jhankar Narzary. Photo: Faculté des lettres © UNIL

La figure représentée n’est autre que Rabindranath Tagore (1861-1941), compositeur, écrivain, dramaturge et poète. Il reçoit en 1913 le Prix Nobel de la littérature, il est alors le premier non-européen à en être honoré. Plus qu’un buste commémoratif, cette œuvre incarne en fait l’emblème de l’accord passé entre l’Inde et l’Université de Lausanne en octobre 2011. En effet, elle a été offerte par l’Inde à l’Université lors de la soirée d’inauguration de la chaire Tagore, chaire dédiée aux études indiennes modernes et contemporaines, financée par l’Indian Council of Cultural Relations, durant laquelle professeurs de la Section, doyens, recteur, ambassadeurs ainsi que les deux présidentes des pays concernés, Pratibha Devisingh Patil et Micheline Calmy- Rey, étaient présents.

Cérémonie d’inauguration de la chaire Tagore à l’UNIL, 4 octobre 2011. Prathiba Devisingh Patil, présidente de l’Inde et Micheline Calmy-Rey, présidente de la Confédération suisse. Photo: © Félix Imhof UNIL

Le temps d’un jour, Dorigny se transforme en un site hautement protégé (police, détecteurs de métaux), tout est mis en ordre pour garantir la sécurité des deux présidentes. Au terme des discours et de la signature du document officiel, c’est ensemble que les deux femmes dévoilent la sculpture en ôtant délicatement le drap rouge qui la recouvre. Au lendemain de l’événement, la majorité des photos dans les médias représentent les personnalités posant devant l’imposant buste.

Rabindranath Tagore est sculpté vêtu d’une simple tunique, son front est dégagé et ses cheveux ondulent jusqu’au niveau de la nuque. Ce mouvement est relayé par la moustache qui se mêle à la longue barbe, noyant dans sa masse les traits de la bouche. La figure fronce légèrement les sourcils, signe de réflexion peut-être, laissant apparaître quelques rides d’expression autour des yeux qui permettent d’encadrer et de renforcer le regard. On peut noter un intérêt de l’artiste, Janak Jhankar Narzary (né en 1948 et professeur à l’Université de Visva Bharati en Inde, fondée par Rabindranath Tagore) pour le travail de la matière.

A titre d’exemples, relevons les pupilles, très profondément creusées, et la peau à la hauteur des joues et du front qui porte encore la marque du modelage. Cette œuvre s’inscrit dans la tradition de la représentation de l’homme de savoir (philosophe, homme de Lettres ou scientifique) par le buste, mais l’appréhension du volume et des détails par l’artiste permet de démontrer la modernité et l’actualité de cette pratique.

Lorena Ehrbar, assistante-étudiante en archives

Détérioration, vandalisme, et conservation des moulages de l’Anthropole

Détérioration, vandalisme, et conservation des moulages de l’Anthropole
Mout, moulage en plâtre réalisé par l’Institut des moulages du Musée archéologique du Caire deuxième moitié du XXe siècle, Anthropole, Niveau 2, original au Musée Egyptien, Le Caire
Photo: © Alain Kilar

L’origine des moulages égyptiens exposés à l’Anthropole remonte à la 57e édition du Comptoir suisse, en 1976, durant laquelle l’Egypte est hôte d’honneur. De somptueuses infrastructures sont mises en place pour orner le pavillon et le jardin (de sable) avec une exposition de moulages de statues égyptiennes réalisés par l’Institut des moulages du Musée archéologique du Caire. Les pièces offertes au Comptoir pour l’occasion sont les témoins de l’histoire de l’Egypte et de son trésor archéologique.

On y trouve des répliques de statues de l’Ancien, du Moyen et du Nouvel Empire, ainsi que de la Basse Epoque, de l’ère ptolémaïque et de l’ère romaine. Cette immersion dans l’histoire et dans le patrimoine culturelle et artistique de l’Egypte est accompagnée de plusieurs activités folkloriques dites « typiques de la culture égyptienne ».

Les moulages égyptiens, héritage du 57e Comptoir suisse

A la fin des festivités, le retour en Egypte de ces pièces est jugé trop coûteux, Roger Givel, alors président du Comptoir et président du BUD (bureau de construction de l’Université de Dorigny-Lausanne), et Guido Cocchi, architecte en chef du BUD, sauvent une partie des pièces de l’oubli et de la destruction en les installant à l’Université. Elles sont d’abord stockées au sous-sol de l’Amphipôle (ancien Collège propédeutique) pendant une dizaine d’années. Elles sont ensuite transférées à l’Anthropole (alors BFSH2) pour l’inauguration du bâtiment en septembre 1987. Pour cette occasion, un travail de restauration est entrepris par le BUD en collaboration avec la section d’archéologie et des sciences de l’antiquité. Une partie des moulages est alors peinte en noir et on leur crée un socle sur mesure avant de les exposer de part et d’autre du bâtiment.

Pierre de Rosette, id., peint en noir en 1987, Anthropole, Niveau 4, salle 4030, original au British Museum, Londres
Photo: © Alain Kilar

Le corpus de moulages conservé du Comptoir suisse et exposé à l’Anthropole est constitué du scribe Amenhotep, d’un scribe assis, de la tête de Mout et de celle d’Ouserkaf, d’un groupe de cynocéphales (dont un détruit il y a quelques années), de la statue de Ramses III et d’un autre pharaon, ainsi que de la Pierre de Rosette (auxquels il faut ajouter une pièce exposée au Cubotron, et deux bas-reliefs au sous-sol du bâtiment).

Jusqu’à aujourd’hui, c’est principalement pour leur caractère décoratif que ces œuvres ont été installées à l’Anthropole, nous pouvons garder à l’esprit que ces moulages peuvent aussi être utilisés comme outil pédagogique ou support de recherche dans des cours et séminaires proposés par l’UNIL. Les œuvres originales sont fragilisées par le temps et parfois dans un état avancé de détérioration, ainsi, les moulages effectués sur ces pièces au fil des ans garantissent une sauvegarde de leur état. Cependant, les moulages de l’UNIL aussi vieillissent… perdant un de ses membres, c’est sans doute le groupe de cynocéphales qui a le plus souffert de ses 30 ans d’exposition. Plus loin, c’est la statue grecque, témoin du passage de pigeons dans les locaux, qui en a gardé la trace.

Lorena Ehrbar, assistante-étudiante en archives

Céramique jaune, rouge, et bleue, œuvre discrète et monumentale

Céramique jaune, rouge, et bleue, œuvre discrète et monumentale
Incrustation de bandes d’acier, Roger Gerster, extérieur de l’Anthropole.
Photo: © Alain Kilar

Roger Gerster et le pourcent artistique de l’Anthropole

Lors de la construction de l’Anthropole, un concours restreint est organisé par le BUD (bureau de construction de l’Université de Lausanne-Dorigny) pour élire l’artiste à qui se verra confié 1% du budget total de la construction du bâtiment pour la réalisation d’une œuvre d’art qui s’y intègre. En 1983, c’est Roger Gerster qui est choisi. Lors de l’inauguration en 1987 du bâtiment, un fascicule est publié sur l’histoire de sa construction, mais on omet de parler de l’œuvre (cette lacune sera comblée dans un numéro postérieur de la revue Uni-Lausanne). Sans doute car contrairement à d’autres réalisations financées par ce pourcent artistique, celle-ci est le fruit d’une collaboration particulièrement prononcée entre l’artiste et les architectes, J. Dumas, M.Bevilacqua, et J.-L. Thibaud. Ils se fondent en une seule équipe de sorte que les intentions des architectes et de l’artiste se regroupent en un même projet, dans lequel la partie artistique est indissociable de la partie architecturale. L’œuvre d’art se fait donc discrète.

Une œuvre entre discrétion et monumentalité

Réalisée entre 1984 et 1987, elle épouse tout le bâtiment : à l’extérieur, de fines bandes en acier sont installées sur les parois, elles apportent une certaine sensibilité au béton brut initial ; à l’intérieur, des bandes de céramique de différentes couleurs (rouges, jaunes et bleues) sont incrustées – horizontalement, verticalement et en diagonale – dans les murs, du premier au dernier étage.

Bandes de céramiques, Roger Gestler, intérieur de l’Anthropole. Photo: © Alain Kilar

L’artiste n’avait pas pour habitude de travailler avec la céramique, mais ce matériau était celui qui semblait pouvoir le mieux donner vie au béton. Lors d’un précédent mandat, à la Vaudoise Assurance de Lausanne, Roger Gerster avait déjà testé cette technique d’incrustation de bandes dans l’architecture. Elles étaient alors en bronze et en marbre, leur emploi a été écarté pour l’Anthropole car ces matériaux n’auraient pas suffi pour dynamiser les murs du bâtiment. Les couleurs des céramiques, d’après Roger Gerster, ont été choisies en s’inspirant du site de Dorigny ; par la suite, on y voit aussi une référence aux trois Facultés des sciences humaines alors abritée par l’Anthropole : les Lettres, les Sciences sociales et politiques, et la Théologie.

Après 30 ans, Roger Gerster explique que le rapport à son œuvre – comme à toutes celles réalisées pour des commandes – est délicat. En effet, exposée dans un espace ouvert à tous, l’œuvre est rapidement transformée par ce et par ceux qui l’entoure (détérioration, dénaturation), l’objet créé est toujours approprié par l’environnement dans lequel il s’inscrit. Roger Gerster raconte que ces mandats publics, comme pour beaucoup d’autres artistes, représentent une grande part de son travail, ils sont indispensables d’un point de vue financier, il est difficile de vivre uniquement d’expositions et de ventes. Il précise que cette mission a cependant été exceptionnelle du point de vue de la collaboration, du travail d’équipe grâce auquel est née l’œuvre finale.

L’artiste évoque l’importance du sens que doit avoir l’œuvre d’art, de son intégration, du fait qu’elle s’adresse à quelqu’un, qu’elle est créée dans un but. Bien que ces projets monumentaux soient forcément accompagné de certaines contraintes, Roger Gerster les appréhende de manière positive, comme un challenge à relever, une solution plastique à trouver. C’est cela qui l’amène à s’écarter d’un système d’œuvre d’art standardisé ou commercialisé ; le but n’est pas en soi la production, mais la recherche, l’authenticité de la démarche, qui se fait sentir dans l’œuvre de l’Anthropole par une certaine ponctualité et simplicité graphique.

Lorena Ehrbar, assistante-étudiante en archives

Anniversaire et perspective d’avenir

Anniversaire et perspective d’avenir

Aube, d’Antoine Poncet

Aube, Antoine Poncet, 1978, sculpture, bronze, Anthropole, sortie Sud-Est du bâtiment, extérieure. Photo: Cynthia Gigon © UNIL

L’histoire de la sculpture d’Antoine Poncet est liée à la Société Académique Vaudoise (SAV), trait d’union entre le canton de Vaud et l’Université. Elle soutient entre-autre des recherches académiques par des bourses et s’inscrit aussi dans le panorama culturel en fournissant des subsides à la création artistique. L’acquisition d’œuvres d’art par cette institution ne semble, a priori, pas faire partie de ses objectifs. Mais, pour célébrer son 100e anniversaire, la SAV commande (ou achète peut-être, si l’on en croit la date de réalisation antérieure de l’œuvre) à l’artiste une sculpture qui reflète sa perspective d’avenir, en vue de l’offrir à l’Université, qui l’inaugure, en mai 1990.

Les 100 ans de la Société Académique Vaudoise symbolisé par une sculpture

Au lendemain des festivités, un article paru dans la Nouvelle Revue de Lausanne (12.05.1990) recueille les propos de l’ancien-recteur de l’Université, André Délessert – sculpteur lui-même, dont l’esthétique est proche de celle d’Antoine Poncet -, membre de la SAV, qui aperçoit dans la sculpture l’expression d’une harmonie et l’unification du savoir dispensé par l’UNIL. Cette vision est soutenue par l’artiste lui-même qui voit dans son aube, l’espoir d’un futur heureux. Le choix de symboliser son avenir à travers une œuvre d’Antoine Poncet, permet à la SAV d’affirmer davantage sa confiance et, grâce au titre de l’œuvre, sa perspective de nouveautés pour les années à venir.

Car en effet, cette notion d’harmonie et d’espoir se retrouvent dans l’ensemble de la production sculpturale d’Antoine Poncet. L’artiste, né en 1928, originaire de Genève et petit-fils du peintre Maurice Denis, vit aujourd’hui entre Paris et Carrare. C’est dans la capitale française qu’en 1947, il rencontre les sculpteurs Jean Arp et Brancusi. Cela l’amène à s’éloigner d’une production sculpturale figurative pour élargir sa vision de l’art et son appréhension du volume. Depuis, l’artiste relève plusieurs fois sa volonté de rendre aux sculptures leur part de rêve et de spiritualité, s’éloignant ainsi de toute représentation à caractère dramatique. Ses interventions dans le milieu universitaire sont multiples, on retrouve notamment des œuvres monumentales à la Northwestern University et à la Stanford University de New-York.

Avec le temps, le bronze de Dorigny ne semble plus si lisse, diverses marques viennent maintenant en perturber le volume. Bien qu’il ne puisse maîtriser l’évolution de la sculpture une fois terminée et placée dans un espace public, Antoine Poncet accorde un intérêt fondamental au travail de la matière. Dans sa jeunesse, l’artiste découvre le marbre de Carrare et grâce à lui, se rend compte de l’infinité des possibilités qu’offrent les matériaux, qu’il décide de mettre au centre de son travail. Pierres ou métaux sont polis d’une façon similaire pour chercher à ce que la surface reflète au mieux la lumière, le titre de l’œuvre témoigne également de l’importance que ce dernier élément peut avoir.

Le changement de lumière permet à l’œuvre de se renouveler sans cesse à l’œil du spectateur. Ce dynamisme est renforcé par l’agencement des volumes qu’a construit Antoine Poncet, en proposant d’ailleurs de tourner autour de l’objet, ou de le faire tourner. La sculpture se réinvente selon l’angle d’approche de l’observateur, elle peut s’appréhender sous une multiplicité de points de vue qui s’articulent autour de la percée centrale de laquelle se déploient ensuite les formes qui se séparent et se fondent en des masses courbées, creusées et étirées à la fois, mais qui gardent, à chaque fois, ce même équilibre et cette même justesse chères à l’artiste.

Lorena Ehrbar, assistante-étudiante en archives

Rencontre de l’Anthropole et de l’Internef

Fontaine de Pierre Ouvelay, © Uniris – UNIL

Fontaine de Pierre Oulevay

La fontaine de bronze et de granit, pivot entre l’Anthropole et l’Internef, a été réalisée en 1993 par Pierre Oulevay et financée par le fameux pourcent culturel, suite à un concours restreint organisé par l’UNIL. Trois autres projets – des artistes Yves Dana, Gaspard Delachaux et Etienne Krähenbühl – ont été proposés au jury, composé par le Comité directeur du BUD, Guido Cocchi, Jean-Paul Dépraz, et le Rectorat. Sans titre, Pierre Oulevay explique que son œuvre aurait pu s’appeler « Rencontre » ou « Trait d’union », le jury l’a choisie presque à l’unanimité, son projet semblait être le plus adapté à l’échelle du lieu et présentait, d’après eux, une plus grande puissance d’expression que ceux des concurrents.

La sculpture monumentale et sa réalisation via des concours n’est pas inconnue à Pierre Oulevay, qui, né en 1944 à Yverdon-les-bains et formé à Vevey à l’Ecole des Arts et Métiers, a été primé à de nombreuses reprises pour la réalisation d’œuvres publiques (des bas-reliefs, notamment au CHUV à Lausanne, des fontaines à Cossonay et Morges, et des sculptures dans différentes communes suisses). Ses œuvres sont également exposées à la Fondation Pierre Gianadda, à Nyon, Lausanne, Paris et Lyon. En peinture et en dessin, il suggère des formes organiques, humaines et végétales, mais toujours explique-t-il, par une approche de sculpteur: un geste libre, mais un trait appuyé, franc, qui rend compte de la matière, organique, du fusain.

Pour imager la réunion des deux bâtiments (anciennement BFSH 1 et 2), Pierre Oulevay propose la rencontre de deux éléments monumentaux en bronze émergeant du sol. Les bras sont en porte-à-faux au-dessus du bassin d’eau qui s’écoule sur deux pans en granit rose, inclinés sur plusieurs mètres. Ici, comme dans d’autres œuvres de Pierre Oulevay, nous retrouvons la volonté de créer un contraste entre un sentiment de solidité, d’ancrage et celui de légèreté, traduit à Dorigny par l’eau qui ruisselle en un film très fin. La fontaine de Cossonay, réalisée en 1989 est aussi composée de structures en pente, mais elles sont moins linéaires et scandent ainsi l’écoulement de l’eau.

La construction d’une telle œuvre se fait en plusieurs étapes et demande l’intervention de différents corps de métiers qui permettent à l’idée de l’artiste de se matérialiser. Après la validation de la maquette par le jury, Pierre Oulevay construit le squelette des éléments en bronze par l’assemblage de 300 tubes qu’il recouvre de plâtre. Découpés ensuite en 11 parties différentes, ces morceaux sont coulés en bronze (il en faudra 4 tonnes) à la fonderie Gilles Petit avec laquelle il collabore depuis 1979. Après les avoir assemblées, l’artiste se charge de la patine sur l’ensemble des éléments. Pour révéler au mieux cette matière, l’artiste choisit un granit aux teintes ocres et roses. Vient alors le temps de son acheminement de l’Inde via Carrare, de sa découpe, du travail des ingénieurs qui se chargent du circuit d’eau et de l’installation de l’œuvre à son emplacement final.

Dans la réflexion qui accompagne sa création artistique, Pierre Oulevay explique sa volonté de traduire la vie et le mouvement dans ses œuvres, son travail sur la pierre aussi, qu’il considère comme une écriture ; la sculpture comme un langage, une traduction en relief des émotions, le pouvoir de transposer des sensations en matière.

Lorena Ehrbar, assistante-étudiante en archives

A perpétuité…

A perpétuité…

Cheval de bronze, prêt du Département de la Justice, de la Police et des Affaires Militaires

Le cheval de l’Anthropole. Photo: © Alain Kilar 2016

Le cartel accompagnant la sculpture du cheval de type classique en bronze peut nous laisser sceptique. D’abord pourquoi le Département de la Justice, de la Police et des Affaires Militaires posséderait une sculpture en bronze d’un cheval classique et surtout, pourquoi l’aurait-il déposée à l’UNIL? Un entretien réalisé avec l’ancien Recteur de l’Université, Pierre Ducrey (vice-recteur de 1983-1987, recteur de 1987-1995) et le Professeur honoraire, Claude Bérard – aujourd’hui retraité – nous a permis d’en savoir plus sur l’histoire de ce prêt.

D’un point de vue descriptif, la sculpture représente un cheval fin et athlétique en mouvement. Sa patte avant droite est relevée et forme un angle droit tandis que le sabot de sa patte gauche effleure le socle. Nous voyons quelques nettes séparations de couleurs du bronze. Les pattes ainsi que la tête, plus foncées, semblent avoir été assemblées, soudées, à une partie originale, plus claire, qui aurait pu être antérieure.

En 1986, la sculpture est mise en vente, sa description officielle revendique son statut de sculpture originale classique d’époque. L’objet est alors au centre d’une escroquerie. Le Tribunal, dépendant du Département de la Justice, de la Police et des Affaires Militaires, demande une expertise de l’oeuvre. C’est un professeur d’archéologie classique de l’UNIIL qui s’en charge. Grâce à lui, les doutes éventuels sur l’authenticité de l’objet sont levés: il s’agit d’un vrai bronze, mais d’une fausse antiquité.

Selon la loi, les faux objets avérés lors d’une expertise doivent être détruits. L’Université propose alors de récupérer la sculpture afin d’éviter son élimination, lui trouvant une valeur suffisante pour lui épargner la fonte. Valeur décorative et valeur pédagogique: l’oeuvre a été utilisée à des fins pédagogiques dans le cadre de séminaire sur la question du faux et de la copie en relevant sur cette pièce ce qui permettait de la distinguer d’une oeuvre originale. En l’occurrence ici: sa patine, l’emplacement des soudures, et son format, trop grand. Le juge donne son aval et le cheval de bronze est déplacé à l’UNIL, puis installé dans les couloirs de l’Anthropole, au Niveau 4, et référencé comme « prêt » du Département. Mais cette dérogation comporte une condition stricte explicitée par le Tribunal: en aucun cas la sculpture ne devra faire l’objet d’une transaction financière, c’est-à-dire d’une quelconque vente. Le cheval de bronze échappe à sa sentence initiale, mais en revanche, semble écoper d’une condamnation à perpétuité sur le site de l’UNIL.

Lorena Ehrbar, assistante-étudiante en archives

Une gypsothèque à l’Anthropole

Statue grecque, moulage en plâtre, acquis suite au 70e Comptoir suisse en 1989, Anthropole, Niveau 4, extrémité sortie Est, installé dans le puits de lumière qui donne sur la cafétéria.
Photo: © Alain Kilar

Les moulages grecs

En plus des répliques égyptiennes, l’Anthropole compte encore d’autres moulages en plâtre: deux statues grecques et une stèle d’Erétrie. Sur l’exemple de l’acquisition en 1976 des autres moulages, les statues grecques ont été héritées à la suite de la 70e édition du Comptoir suisse en 1989, lorsque la Grèce est pour la seconde fois hôte d’honneur de l’événement. Quant à la stèle, l’originale a été découverte en Erétrie par l’Ecole suisse d’archéologie en Grèce, dont le siège est à l’UNIL. Le moulage a été exposé d’abord à Athènes, puis en 2010, à la Skulpturhalle de Bâle, avant de terminer son périple à l’UNIL en 2011.

Le fait qu’une université détienne des moulages et les expose n’est pas surprenant – le fait qu’ils aient été majoritairement acquis via le Comptoir suisse par contre, est assez original -. Dans le courant du XIXe et XXe siècle, en Allemagne d’abord et en France ensuite, une majorité d’universités crée leur collection de moulages dans un but pédagogique en archéologie, en histoire et en histoire de l’art. Bien sûr, les moulages sont déjà utilisés depuis des siècles dans les écoles des Beaux-Arts, ils diffusent les canons esthétiques des différentes époques – particulièrement grecques -, transmettent des connaissances en matière d’archéologie. Le plâtre permet de façon durable et fidèle de représenter n’importe quel volume, ces moulages sont donc des documents précieux. La statue de l’homme grec de l’Anthropole est un bon exemple de cette tradition de la représentation d’un corps masculin, héritée de l’Antiquité et véhiculée par des reproductions.

Statues grecques et stèle d’Erétrie: un aperçu des collections de moulages

Le statut de ces moulages a été largement débattu. D’un côté, on ne percevait dans ces répliques en plâtre qu’une étape, l’objet en lui-même n’était pas considéré comme une œuvre, tandis que de l’autre, on voyait dans la possession de la copie le même prestige que la conservation de l’original. Aujourd’hui, le moulage gagne en autonomie et on trouve, en dehors des universités, des musées spécialisés par le sujet, comme à Bâle. La terminologie utilisée pour les définir est aussi vaste que leur contenu : musée de moulages, musée de Sculpture comparée, galerie des études, cabinet des copies ou encore gypsothèque.

La réalisation de ces reproductions requière une grande compétence, elle est assurée par des ateliers où travaillent des artisans mouleurs-statuaires. Ces spécialistes doivent faire preuve d’un grand savoir-faire lors de toutes les étapes d’élaboration de la copie : la manutention de l’œuvre originale, sa protection par un produit adapté à sa matière, la relève d’empreintes, la réalisation de moules (plusieurs moules assemblés pour répliquer une sculpture), le moulage et le démoulage.

Leurs techniques évoluent au fil du temps, la plus répandue était d’abord celle des moules en terre – qui nécessitaient ensuite un grand travail de reprise sur le moulage pour le nettoyer des résidus – puis celle en gélatine, en silicone (utilisation répandue aujourd’hui), et dernièrement, la prise d’empreintes numériques. L’atelier collabore ensuite avec des experts en patine qui travaillent à donner au plâtre l’aspect d’une matière différente comme le bronze, le marbre ou la terre cuite.

L’UNIL possède, certes, un nombre minime de moulages (certaines universités en comptent des milliers), acquis dans un but décoratif – et non pas lié à une intention pédagogique comme c’était le cas dans les universités un siècle auparavant – mais, déjà avec une quinzaine de reproductions exposées dans l’Anthropole, nous pouvons comprendre l’intérêt de ces objets qui permettent la diffusion, le rapprochement, et la confrontation de pièces séparées à l’origine par de nombreux siècles.

Lorena Ehrbar, assistante-étudiante en archives

Les bas-reliefs du «mammisi» de Dendera

Les bas-reliefs du «mammisi» de Dendera

Les deux bas-reliefs sont des copies de scènes gravées sur les parois extérieures du mammisi romain de Dendera, site qui se trouve à environ 75 km au nord de la ville de Louqsor où est situé un temple important consacré à la déesse Hathor. Outre le temple principal, on y trouve un sanctuaire de dimensions modestes destiné à la célébration de la naissance du dieu Ihy, né de l’union d’Hathor avec le dieu Horus. À la suite de Jean-François Champollion, les égyptologues nomment ce type de monuments « mammisi » (litt. « lieu de naissance », terme dérivé du copte).

L’Égypte devient une province de l’empire romain en 30 av. notre ère, suite à la victoire d’Octavien – le futur empereur Auguste – sur Cléopâtre VII. L’empereur prend alors le statut de Pharaon en Egypte, et est représenté comme tel dans les temples locaux. C’est ainsi le cas de l’empereur romain Trajan (empereur de 98 à 117 de notre ère), qui est représenté dans ces scènes en train de faire des offrandes à des divinités égyptiennes.

Dans le relief à gauche des escaliers du niveau 2 de l’Anthropole, le Pharaon offre un signe représentant le soleil à l’horizon à la déesse Hathor, reconnaissable par sa coiffure composée de cornes de vache qui entourent un disque solaire. Elle est suivie par son compagnon, le dieu Horus à tête de faucon, portant un disque solaire sur la tête. Dans le second relief, à droite, le Pharaon offre cette fois un collier à la déesse Hathor qui allaite le dieu enfant Ihy. Derrière elle, Ihy est représenté une seconde fois avec une cape.

L’un des rôles du Pharaon en Egypte ancienne était d’effectuer les offrandes aux dieux afin que ceux-ci, en échange, l’aident pour le maintien de l’ordre et de la prospérité dans le pays. C’est le sens de ces scènes qui ornent désormais les couloirs de l’Anthropole.

Giuseppina Lenzo, Maître d’enseignement et de recherche,
Institut d’archéologie et des sciences de l’Antiquité

76 mètres et 80 kg de peinture

76 mètres et 80 kg de peinture
Rouleau, Mélisse Lebon et Renée Paule Danthine, couloir entre l’Anthropole et l’Internef. Photo: Faculté des lettres © UNIL

Réalisation de Renée-Paule Danthine et Mélisse Lebon

6 mètres de long et 3 mètres de haut, c’est la surface du couloir qui relie l’Internef et l’Anthropole (ancien BFSH 1 et 2), sur laquelle plusieurs artistes ont été invités à travailler au fil des ans. Au printemps 1989 d’abord, l’Université collabore avec l’ECAL. Le projet réalisé par ses étudiants se compose de volumes en carton peint fixés le long du couloir. Cette réalisation est accueillie à bras ouvert par l’ensemble du campus qui voit enfin l’austérité de ce couloir s’atténuer. Quelques mois plus tard, l’œuvre se détériore et disparaît.

Un concours est ensuite lancé par le Rectorat au début de l’année 1993. Anonyme, il s’adresse aux amateurs comme aux artistes confirmés. Le magazine de l’UNIL, Uniscope, se charge de diffuser l’annonce du concours et y révèle le gain : 1000.- pour le projet choisi auquel s’ajoute 4000.- pour les frais de réalisation, plus deux fois 500.- à titre de consolation pour des autres projets. Alléchante et motivante pour certains (36 projets sont envoyés au jury), cette dépense est vue par d’autres comme tout à fait indécente. Un professeur de la Faculté des lettres publie une lettre ouverte dans l’Uniscope (n°171, 27 avril – 3 mai 1993) dans laquelle il propose de renoncer à ce concours artistique – par l’habile slogan « Sauvez les livres, pas le béton » – et de placer cette somme à la BCU qui en aurait grandement besoin pour combler un certain nombre de restrictions budgétaires. Malgré cet avis, le concours et la somme sont maintenus, le projet primé, « Rouleau » d’Elvira et Edwige Dale, est réalisé durant l’été pour être inauguré à la rentrée universitaire. Après presque 25 ans d’exposition, la qualité de leur création est démontrée par l’état de conservation de l’œuvre, exposée à de nombreux passages, qui est optimal.

Lors de la prise de contact avec ces vainqueurs, le Rectorat découvre alors que derrière ces identités se cachent deux artistes confirmées: Mélisse Lebon et Renée Paule Danthine (femme de Jean-Pierre Danthine, ancien recteur). L’important dans cette réalisation selon les artistes, c’est le rythme et la spontanéité et non pas la recherche conceptuelle ou introspective présente habituellement dans les œuvres de ces dernières. Chaque jour pendant plusieurs mois, ces artistes viennent peindre, côte-à-côte. La composition est libre, les formes naissent en réaction à la touche de l’une ou de l’autre des plasticiennes et ne se calquent pas sur une composition préconçue.

Par l’usage de pseudonymes, les artistes se sont écartées d’un jugement préférentiel – conscient ou inconscient – auquel elles auraient peut-être été soumises et s’alignent face aux autres concurrents. Elles s’en distinguent ensuite par la pertinence de leur projet qui s’impose par la force de la composition qui rythme les 76 mètres du couloir grâce à la variété de l’agencement des formes qui s’entremêlent et se dissolvent, et de la palette chromatique (80kg de peinture !), qui permet à celui qui emprunte ce couloir d’être, pendant quelques minutes, emporté dans cet élan artistique.

Lorena Ehrbar, assistante-étudiante en archives

Un témoin de l’UNIL du XIXe siècle

Un témoin de l’UNIL du XIXe siècle

Obélisque d’Albert de Haller

Johann-Jakob Biedermann, Vüe de la Vill de Lausanne, 1812-1813, estampe, eau-forte, aquarelle, crayon, gomme arabique, 45,5 x 63,5 cm,  Musée historique de la ville de Lausanne

Une valeur historique et culturelle considérable se cache derrière cet obélisque aux modestes apparences, certes caché dans le bois de Dorigny, mais dominant néanmoins l’ensemble du site grâce à son positionnement qui surplombe l’Unithèque et les autres bâtiments universitaires. Ce monument porte la mémoire de deux familles importantes pour le développement du domaine de Dorigny et de l’Académie de Lausanne, devenue Université. Il s’agit de la famille de Loys et celle de Haller, réunie en 1816 par le mariage d’Emilie von Haller et d’un membre de la famille seigneuriale, événement pour lequel l’obélisque est aménagé (déplacé ou bâti) sur la colline de Dorigny.

C’est dans la seconde moitié du XVIIe siècle qu’une partie de la famille de Loys, propriétaire du domaine, s’installe aux alentours de la Chamberonne. Elle y fait notamment construire des infrastructures pour l’agriculture ; au fil des ans, la fonction du domaine devient principalement celle d’habitation. On note alors la construction du château et le maintien de granges. Au cours du XXe siècle, la famille de Loys se désintéresse peu à peu de ce domaine, il le loue à des particuliers jusqu’à ce que le Conseil d’Etat l’achète en 1963. Site olympique ou aéroport international, les possibilités qu’offre ce large site alors très convoité sont vastes, la décision finale le destine à abriter les bâtiments de l’Université.

Une précieuse documentation iconographique (plans cadastraux, cartes, gravures, peintures) est disponible aujourd’hui pour comprendre et illustrer le développement de la campagne de Dorigny. Cependant, l’appréhension de ces images doit se faire avec précaution, à travers les peintures et gravures, on observe des œuvres représentant des paysages reconstruits, pas nécessairement fidèles d’un point de vue topographique.

Monument à Albert de Haller, XIXe siècle, obélisque, pierre, bois de Dorigny. Photo: Stramatakis © UNIL

L’artiste agence les éléments comme il le souhaite, ou comme il lui semble le plus juste selon ses critères, s’écartant parfois d’un rendu exact de la nature qui l’entoure. Il est donc difficile de retrouver le point de vue exact duquel l’artiste aurait représenté la vue qui s’offre à lui. Il est cependant intéressant d’essayer de s’en approcher en scrutant les estampes de Johan-Jakob Biedermann par exemple.

Rescapé du temps et témoin des transformations du paysage qui l’entoure, l’obélisque en pierre de presque 3 mètres de haut, sans aucune indication de datation, est relativement simple. Deux légendes – une en latin et une en français – sont inscrites sur deux de ses côtés: ALBERTO HALLER FILIUS EMANUEL et A ALBERT HALLER SON FILS EMANUEL. Nous pouvons en déduire que cet obélisque a été commandé dans le courant du XIXe siècle par le fils d’Albert, Emanuel-Rodolphe Haller, hypothèse affirmée par Marcel Grandjean, historien du patrimoine architectural de la suisse. Plusieurs études mentionnent l’obélisque, l’une d’entre elles (Arthur Weese, Dis Bildnisse Albrecht von Hallers, Berne, 1909) considère Emilie Haller, fille de Rodolphe-Emanuel comme commanditaire, et non héritière de la pièce.

Dans un cas comme dans l’autre, c’est la volonté d’honorer leur aïeul qui apparait. Albert von Haller marque le XVIIIe siècle par la multiplicité des domaines dans lesquels il diffuse ses connaissances. Diplômé en médecine, il enseigne à l’Université de Goettingue, il publie également des poèmes, devient vice-gouverneur au château d’Aigle, directeur des salines de Roche, et publie différents ouvrages sur les plantes suisses. Albert von Haller est une référence aussi pour l’Académie qui le cite comme protecteur et mécène, il participe en 1757 à l’élaboration du Règlement de la Schola lausoniensis.

Lorena Ehrbar, assistante-étudiante en archives