God save Sulzer !

Les pressions économiques britanniques sur la Suisse se sont intensifiées tout au long du second conflit mondial ; ce processus culmine en 1943 avec l’inscription de Sulzer sur les listes noires. Dans cette configuration, le Service suisse des ondes courtes (SOC) a tenté de modérer les attaques portées à la diplomatie suisse.

L’industriel Hans Sulzer à Winterthour, le 1er juin 1943. © RDB / ATP
L’industriel Hans Sulzer à Winterthour, le 1er juin 1943. © RDB / ATP

Les chroniques radiophoniques du SOC ne rendent pas toujours compte de la réalité historique telle qu’on la connaît, fort de notre recul. Au contraire, on note des explications orientées et parfois biaisées de par la proximité entre journalistes et responsables politiques ou entre le gouvernement suisse et le SOC. Il s’agit dès lors de faire la part entre le factuel et les reformulations du SOC, motivées par les enjeux contemporains.

Comme le précisent les prescriptions en matière d’information délivrées par la Division Presse et Radio -organe fédéral de censure- au cours de la Seconde Guerre mondiale, les relations économiques entre Etats sont passées sous silence par le SOC. Cependant, cette règle de discrétion est parfois transgressée à certains moments d’exacerbation des tensions internationales. Le SOC est alors l’un des vecteurs pour affirmer une certaine image du pays vis-à-vis de l’extérieur.

Une diplomatie du non-dit

La volonté de maintenir l’indépendance de la Suisse est régulièrement rappelée au travers des chroniques. Or, les pressions exercées par les Alliés, qui s’intensifient dès le printemps 1942, vont à l’encontre de ce désir. Si celles-ci sont parfois évoquées au sein des chroniques, ce n’est que sous une forme euphémisée.  La prudence diplomatique prévaut afin de ménager les différentes puissances belligérantes. Il arrive néanmoins qu’une étincelle mette le feu aux poudres et déclenche les récriminations des autorités suisses.

Le « blacklisting » britannique

La problématique des listes noires donne un exemple pertinent de ces moments de tension. Ce procédé a permis aux Alliés de peser sur les décisions du gouvernement suisse en pointant du doigt des entreprises fortement impliquées dans les relations économiques avec l’Axe.

Bien que plusieurs entreprises helvétiques aient été sujettes aux restrictions alliées, le « blacklisting » de l’entreprise industrielle Sulzer A.G. est le seul à être mentionné par le SOC. En effet, l’inscription de ce producteur de matériel mécanique sur les listes noires anglaises fait l’objet d’une riposte radiophonique du SOC en novembre 1943.

Président de la commission fédérale pour la surveillance des importations et des exportations (1939-1945), Hans Sulzer constitue une figure emblématique de l’élite économique suisse et l’un des acteurs clés de la politique commerciale extérieure de cette période. Sa mise sur liste noire a donc une fonction éminemment symbolique.

Les Alliés accusent Sulzer de contribuer indirectement à l’effort de guerre allemand. En effet, les Britanniques soutiennent que l’entreprise produit et exporte en grande quantité des moteurs diesel ainsi que des machines-outils. Ils osent même qualifier l’entreprise de «fabrique d’armes». C’est pourquoi le gouvernement suisse ne peut se permettre de rester muet face à ces mises en cause.

Le SOC, héraut de l’intégrité helvétique

Par cet exemple, le SOC souligne l’image que la Confédération désire transmettre à l’extérieur. La Suisse ne prend pas part à l’effort de guerre, que ce soit en faveur des Alliés ou des forces de l’Axe. Elle désire seulement maintenir un commerce équilibré et respectable avec les puissances qui l’entourent ;  il en va de sa survie.

Le message n’est pas seulement destiné aux Suisses de l’étranger. L’intérêt de cette chronique est sa fonction de réponse directe aux attaques portées par les autorités britanniques. Le SOC contribue ainsi à défendre la position de la Suisse sur l’échiquier international : elle n’est pas un pion passif.

Michael Goodchild

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Chroniques

Le Service suisse des ondes courtes fait office d’agent diplomatique. Le gouvernement suisse se sert des ondes courtes pour ses communications officielles. Toutefois, les journalistes du SOC participent aussi au choix des tournures à adopter. La chronique du 18 mai 1940, rectifiant l’annonce de la presse anglaise, est symptomatique du pouvoir que détient le SOC concernant la modulation du texte brut envoyé par l’agence gouvernementale. Après une lecture comparative, le lecteur remarquera un changement de ton significatif.

L’actualité économique anglo-suisse n’est pas monnaie courante dans les chroniques du SOC. L’affaire Sulzer constitue l’une des rares exceptions. L’inscription de l’entreprise de production mécanique sur les listes noires britanniques induira un tollé médiatique. La chronique du 5 novembre 1943 , qui en témoigne, relaie le communiqué officiel, ainsi que le correctif du SOC destiné à être diffusé. Cet exemple met en exergue les valeurs d’intégrité nationale et de neutralité que le SOC souhaite véhiculer à l’étranger.

Liens

Sur Hans Sulzer
(Dictionnaire historique de la Suisse)

Sur l’entreprise Sulzer
(Dictionnaire historique de la Suisse)

L’effort de guerre, une opportunité d’émancipation pour les femmes?

Les femmes travaillant aux champs, les conductrices de tramway en ville, l’augmentation du nombre d’ouvrières dans les usines pour remplacer les hommes mobilisés sont des réalités de la Seconde Guerre mondiale. Mais ces faits sont-ils pour autant des signes de l’évolution de la société et d’une certaine forme d’émancipation des femmes suisses?

Service complémentaire féminin à Zurich, le 1er juin 1940. © RDB
Service complémentaire féminin à Zurich, le 1er juin 1940. © RDB

Dans les chroniques radiophoniques du Service suisse des ondes courtes (SOC), les femmes sont présentées de différentes manières. Parfois, l’image de la femme sert avant tout à promouvoir la paix et l’amour. Dans ce cas, les chroniques ne parlent jamais du quotidien des femmes suisses, celles-ci sont ici uniquement des figures, des emblèmes de la paix et de la charité. Mais il existe d’autres chroniques qui évoquent leur quotidien durant la période de la Seconde Guerre mondiale. C’est principalement de ces chroniques que nous allons parler ici.

Un partage des tâches qui demeure

Pendant le second conflit mondial, les femmes ont plusieurs possibilités pour apporter un soutien à l’armée: s’engager dans le Service complémentaire féminin (SCF) ou se mettre à la disposition de différentes associations féminines, comme la Lessive du soldat dont parle la chronique du jour du 25 septembre 1940. Nous pouvons constater que ce type de travaux de soutien à l’armée et aux soldats mobilisés est fortement valorisé. Ainsi, à leur manière, les femmes suisses participent à l’effort de guerre.

Toutefois, la phrase suivante devrait interpeller le lecteur : « Les Suissesses ont pour devise de ne pas être des femmes habillées en soldat, mais de véritables auxiliaires de notre armée. » Le SOC montre ainsi que même si les femmes apportent une grande aide à l’armée, elles ne doivent en aucun cas être considérées comme des soldats. Elles sont les petites mains invisibles qui travaillent pour le bon fonctionnement de l’armée, et en particulier de son intendance. Ce n’est donc pas ici une révolution qui s’opère: la guerre demeure l’affaire des hommes. Les femmes ne sont là que pour prêter main forte, en accomplissant les tâches qui leur sont d’ordinaire assignées, comme la lessive, la cuisine ou la couture.

Le travail des femmes au service d’un discours patriotique

Au travers de nos recherches, la chronique datant du 13 octobre 1943 nous a paru particulièrement intéressante. Celle-ci remercie les femmes suisses pour tous les services qu’elles ont rendus à la patrie, aussi bien en remplissant leur rôle de mère qu’en assumant de nouvelles tâches pour remplacer les hommes. C’est également ici la première mention qui est faite dans les chroniques mises à notre disposition de la revendication pour le droit de vote féminin qui ne sera octroyé pourtant qu’en 1971. Cette intervention peut donc sembler progressiste pour son époque.

Mais une lecture plus attentive permet de voir que ce n’est pas le travail des femmes qui est valorisé, mais la nécessité de ce travail. Montrer qu’il est impératif de recourir à la main d’œuvre féminine, c’est montrer que la Suisse a aussi souffert de la guerre, qu’elle est dans une condition similaire à celle de ses voisins, quoique moins grave; c’est exprimer à la fois que la Suisse a dû et su faire des sacrifices, mais aussi qu’elle est toujours prête à se défendre. Cette analyse de la chronique peut être appuyée par le fait que son auteur, Peter Dürrenmatt, était un homme politique de droite très conservateur et patriote. Etant donné ses valeurs, son but premier n’était certainement pas de défendre les droits des femmes, mais plutôt de valoriser sa patrie, son pays.

Un retour en arrière à la fin de la guerre

S’il est vrai que de nouvelles tâches accomplies par les femmes pour faire face à la mobilisation des hommes sont mises en valeur dans les chroniques, cette attention poursuit souvent d’autres buts que la défense de leurs droits, comme nous l’avons montré ci-dessus.

Durant la Seconde Guerre mondiale, l’idéologie de la femme au foyer reste encore très fortement ancrée dans les mentalités et pas seulement dans les milieux conservateurs. Preuve en est la presse féministe de l’époque : si elle revendique le droit de vote, elle reste extrêmement traditionaliste pour ce qui est des tâches que les femmes doivent remplir dans la société, valorisant la ménagère ou les professions dites féminines.

Malgré la relative ouverture que représentent l’investissement croissant de cette population dans le marché du travail et l’effort de guerre fourni, ces changements ne s’accompagnent pas automatiquement d’une évolution des mentalités et d’une remise en question des rapports entre les sexes.

Alix Meister

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Chroniques

Dans la deuxième partie de la Chronique du jour du 25 septembre 1940, le journaliste du Service suisse des ondes courtes explique les différentes tâches réalisées par les femmes suisses pour venir en aide à l’armée et aux soldats mobilisés. Il fait également référence au dévouement et à la charité féminine.

La Chronique politique et culturelle du 13 octobre 1943 (disponible en allemand, en anglais et en espagnol) aborde la question du travail féminin en Suisse. Son auteur, Peter Dürrenmatt, parle brièvement de tous les secteurs d’activité, aussi bien le foyer que l’usine ou les services. Il insiste également sur la nécessité de ce travail effectué par les femmes en temps de guerre et sur le fait que la Suisse, elle aussi, n’a pas été totalement épargnée par le conflit.

Annexe

Emilie Gourd, «Aux Chambres fédérales. Questions féministes» [en pdf].

Le Mouvement Féministe, 8 juillet 1944, n° 666.

Audiovisuel

Sujet de Radio Lausanne sur les conductrices de tramways à Lausanne, par le journaliste Marcel Suès, 14 juin 1940 (archives RTS).

Liens

Sur le Service complémentaire féminin (Dictionnaire historique de la Suisse)

Sur la Lessive de guerre (Dictionnaire historique de la Suisse)

Sur Peter Dürrenmatt (Dictionnaire historique de la Suisse)

Bataille des champs et guerre des ondes

Dans les chroniques du Service suisse des ondes courtes, l’image du paysan suisse a évolué au fil de la guerre. Acteur important pour le pays, il fut souvent mis en avant, mais dans des représentations bien différentes selon les périodes.

Un scout entouré de paysans à Maur (ZH), le 8 septembre 1939. © RDB/ATP/Pfister
Un scout entouré de paysans à Maur (ZH), le 8 septembre 1939. © RDB/ATP/Pfister

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la paysannerie suisse est fortement sollicitée: tout d’abord par la mobilisation des hommes et des chevaux au front, ce qui la prive de bras et d’animaux de trait, mais aussi par le fort engagement qui est attendu d’elle dans la réalisation du « plan Wahlen». En effet, dès 1940, ce plan d’extension des cultures, aussi appelé « bataille des champs », bouleverse l’agriculture. La Confédération demande aux paysans de produire beaucoup plus afin de nourrir la patrie, alors que les hommes et les bêtes font défaut dans les exploitations. Progressivement, la figure du paysan suisse, courageux et nourricier, est mise en avant dans les chroniques du Service suisse des ondes courtes (SOC). Celle-ci permet de donner l’image d’une Suisse autarcique à l’étranger.

L’appel à sauver le pays de la disette s’adresse également au reste de la population. Citadins et ouvriers sont, eux aussi, exhortés à relever les manches. Les jeunes gens et les chômeurs sont incités à travailler aux champs et les citadins encouragés à cultiver parcs et jardins. L’effort paysan devient l’effort de tout un pays qui s’ingénie à subvenir seul à ses besoins. Les chroniques du SOC peuvent également par ce biais montrer à l’étranger l’image d’un pays solidaire et uni face à l’adversité.

Notre frère paysan

La Chronique politique et culturelle du 15 septembre 1939 est entièrement consacrée à la mobilisation des paysans et aux conséquences immédiates de celle-ci. L’honneur et la fierté à être mobilisé sont mis en avant. Fait rare dans les chroniques, la difficulté pour les femmes restées seules sur les exploitations est évoquée. L’accent est mis sur les efforts qu’elles fournissent et le courage dont elles font preuve et, par un glissement de langage, cette vertu est généralisée : de « une femme paysanne suisse », on passe en fin de chronique à « la femme suisse ». Parallèlement, la chronique montre que le pays se prépare vaillamment à résister. Le choix de la figure paysanne n’est donc pas fortuite. Elle véhicule des valeurs qu’on lui associe, mais elle fait aussi appel à l’affect et à une imagerie commune. Le pays est rassemblé derrière sa « forte race » de paysans, il est prêt, il fait front.

Une image qui se fissure

La Chronique du jour du 12 novembre 1941 indique un changement de ton. Le discours rapporté est celui qu’a tenu le Conseiller fédéral von Steiger à l’occasion de l’assemblée des délégués de l’Union suisse des paysans, « l’une des plus puissantes associations économiques du pays ». Intitulé « L’Etat et le paysan », cet exposé marque une évolution dans l’image de la figure paysanne. Le fait que la chronique le reprenne est intéressant.

Pour la première fois, et bien que l’on salue le travail accompli, des efforts de compréhension sont demandés aux paysans à l’égard des consommateurs afin d’éviter que la population se désolidarise. Ils devraient être plus attentifs à la relation entre les prix et les salaires. Le paysan doit continuer à nourrir le pays, mais il n’est plus tout puissant. L’Etat reprend sa place de premier plan en gérant les différents intérêts économiques. Progressivement, la figure du frère paysan finit par disparaître totalement des chroniques.

Le SOC propose une image du paysan suisse qui évolue durant le conflit. Mais la réalité du quotidien de la paysannerie n’apparaît jamais dans les chroniques, pas plus que les tensions entre le monde agricole et le monde ouvrier. Grâce à cette représentation idéalisée du paysan, le SOC propose aux auditeurs étrangers l’image d’une Suisse courageuse, subvenant seule à ses besoins alimentaires, et lui permettant ainsi de ne pas remettre en cause sa neutralité en dépendant d’une aide extérieure.

Natacha Gallandat

Bibliographie

Moser Peter, Sélectionner, semer, récolter. Politique agricole, politique semencière et amélioration génétique en Suisse de 1860 à 2002, Baden: Hier + Jetzt, 2003.

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Chroniques

La Chronique politique et culturelle du 15 septembre 1939 et la Chronique du jour du 12 novembre 1941 sont chacune représentatives d’un ton utilisé pour dresser la situation de la paysannerie suisse à deux périodes différentes. Les Chroniques politiques et culturelles et les Chroniques du jour n’ont pas la même visée. Les premières permettent le développement de thématiques générales, alors que les secondes sont plus factuelles et attachées à l’actualité. Le changement de discours général à l’égard des paysans se vérifie dans les années qui suivent. Dès 1941, l’évocation du monde paysan ne se fait plus que dans les Chroniques du jour. C’en est fini des chroniques thématiques consacrées entièrement à la figure idéalisée du frère paysan.

Annexes

1) Surfaces cultivées en Suisse de 1850 à 2000.

Moser Peter, Sélectionner, semer, récolter. Politique agricole, politique semencière et amélioration génétique en Suisse de 1860 à 2002, Baden: Hier + Jetzt, 2003, p. 125.

2) Le point de vue de F. T. Wahlen.

Wahlen Friedrich Traugott, «La bataille des champs. L’extension des cultures en Suisse durant la Deuxième Guerre mondiale», discours prononcé le 17 septembre 1979 à la Société des Arts de Genève, Lausanne: Centre de recherches européennes, 1980, pp. 24-25.

Audiovisuels

«Aide à la campagne ». Interview de Mlle Arlette Müller par F.-L. Blanc, 8 juillet 1942, et Chant populaire «Savez-vous planter les choux?» entonné par les jeunes filles suivant l’Ecole féminine des cadres pour le Travail agricole, 18 mars 1944.

Archives de la Radio Télévision Suisse provenant du CD de Détraz Christine, Le pain de la veille [Ensemble multi-supports]: aspects de la vie quotidienne en Suisse romande durant la guerre 1939-1945, Lausanne: LEP Loisirs et pédagogie et Radio suisse romande, 1994.

Liens

Sur Friedrich T. Wahlen (Dictionnaire historique de la Suisse)

Icônes militaires

En raison du rôle particulier joué par les soldats dans les temps difficiles de la Seconde Guerre mondiale, leur image est fortement influencée par les intérêts et la volonté des autorités et groupes dominants. Quelle est la spécificité des représentations militaires relayées  par le Service suisse des ondes courtes et pourquoi  l’image de la sentinelle est reléguée à l’arrière-plan après la seconde mobilisation générale?

Couverture d'un numéro spécial de la Schweizer Illustrierte, juillet 1938. © RDB
Couverture d’un numéro spécial de la Schweizer Illustrierte, juillet 1938. © RDB

Deux mobilisations générales marquent les débuts de la Seconde Guerre mondiale en Suisse. La première, à la fin août 1939, constitue la réponse des autorités suisses aux tensions que connaît le continent européen, notamment suite aux annexions de divers territoires par l’Allemagne. La seconde est décidée, en mai 1940, en réaction à l’offensive de l’armée allemande en direction de l’ouest. Entre deux s’écoule environ une année durant laquelle le soldat apparaît avant tout comme le défenseur de la nation suisse et des valeurs qui la caractériseraient.

La sentinelle protectrice

Analyser les chroniques du Service suisse des ondes courtes (SOC) de ce début de guerre permet de mettre au jour une volonté de valoriser le soldat et de façonner l’image de la sentinelle : le soldat, armé mais non combattant, qui fait le guet à la frontière du pays. Celle-ci renvoie à l’homme de devoir, bien armé, discipliné et prêt à sacrifier sa vie pour la défense de la nation. Le SOC adopte ici une ligne servant les intérêts des autorités qui souhaitent rassurer la population sans afficher une posture trop agressive vis-à-vis de l’extérieur. On sait qu’en réalité le matériel de l’armée suisse présente de grandes carences. Surévaluer les capacités de l’armée est un moyen de rassurer les Suisses de l’étranger, public prioritairement visé par ces émissions, et à encourager leur engagement. On peut y voir également un complément à la propagande de guerre produite par l’armée elle-même, soit sa volonté de grossir ses capacités défensives aux yeux des gouvernements étrangers.

Une civilisation menacée

A l’image de la sentinelle sont associées les valeurs fondamentales qui caractériseraient la démocratie helvétique: celles de neutralité, de liberté et d’indépendance. La sentinelle ne défend pas seulement une terre, mais les fondements d’une civilisation à laquelle la Suisse appartiendrait. Cela permet de véhiculer l’image d’une démocratie des plus épanouies malgré la mise en place d’un régime de pleins pouvoirs. La chronique du 1er novembre 1939 revient d’ailleurs sur la bonne tenue de votations récentes. Le journaliste souligne la participation des mobilisés au vote, et cela librement et de manière disciplinée : «Sans doute a-t-on pris quelques mesures pour que les luttes politiques ne compromettent pas la discipline et la bonne entente entre les soldats». Cela permet de rapprocher les Suisses de l’étranger en jouant sur leur adhésion à ces mêmes valeurs.

Cette fibre identitaire est également touchée par la mise en avant de l’imbrication entre les sphères civile et militaire. Le soldat suisse est aussi un travailleur et un chef de famille qui doit tout laisser derrière lui pour remplir son devoir. L’auteur de la chronique du 15 septembre 1939 relève ce trait particulier du fonctionnement de la société suisse et ses conséquences. Il constate à la fois le vide laissé par les départs pour le service et l’aide que les soldats peuvent parfois apporter à la population. Le 30 août 1939, le journaliste développe l’idée selon laquelle la Suisse entière est une armée. Le peuple dans son ensemble est sur ses gardes, prêt à se défendre.

Priorité à l’économie

En été 1940 déjà, le Général Guisan juge les risques d’une confrontation armée avec l’Allemagne peu importants et fait valoir les arguments économiques à l’appui d’une hypothétique démobilisation. Les préoccupations d’ordre économique deviennent rapidement dominantes dans l’esprit des autorités et des élites du pays. Des accords ponctuent les négociations avec l’Allemagne et l’Italie et la Suisse s’intègre de plus en plus dans l’espace économique de l’Axe.

L’image du soldat véhiculée par le Service suisse des ondes courtes s’en trouve modifiée. Après la seconde mobilisation, la figure de la sentinelle laisse la place à des chroniques traitant des aides sociales dont jouissent les familles des mobilisés : les caisses de compensation pour perte de gains ou de salaire.

Suivant la tendance impulsée par les autorités, les chroniqueurs soulignent le caractère novateur de cette mesure et insistent sur son efficacité. Ils mettent en exergue l’exceptionnel esprit de solidarité que ce dispositif supposerait de la part de toutes les catégories de la population. Celles-ci se sacrifieraient pour favoriser la cohésion sociale, une rhétorique qui doit marquer la rupture avec la situation très conflictuelle de la société suisse à la fin de la Première Guerre mondiale et qui s’était traduite par la Grève générale de 1918.

Marc Huber

Bibliographie

Jost Hans-Ulrich, Le salaire des neutres: Suisse 1938-1948, Paris: Denoël, 1999.

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Chroniques

La chronique du 30 août 1939 est émise le jour même du vote des pleins pouvoirs au Conseil fédéral. L’Assemblée fédérale tranche en faveur du colonel Guisan pour être nommé général de l’armée suisse. Ce ne sont là que quelques décisions parmi tant d’autres que les autorités suisses prennent pour s’adapter aux tensions entre Etats-nations européens. Cette chronique illustre richement les valeurs auxquelles on voulait associer le soldat et le souhait de le voir unir une population elle-même aux aguets.

La chronique du 14 octobre 1940 fait le point sur le dispositif des caisses de compensation à l’avantage des soldats mobilisés et de leur famille, ce après plusieurs mois d’application. Cette émission prend tout son sens lorsque l’on sait qu’à ce moment-là la France a signé l’armistice. Comme en atteste l’allocution radiodiffusée du Conseil fédéral du 25 juin 1940, les autorités suisses sont avant tout préoccupées par les difficultés économiques et sociales qui s’annoncent.

Annexe

«L’Armée suisse aux frontières», Journal de Genève, 1er août 1941. Cet article signé par le Capitaine Eddy Bauer revient sur deux ans de service actif.

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Sur les aspects militaires de la Seconde Guerre mondiale (Dictionnaire historique de la Suisse)

Quelle place pour le mouvement ouvrier ?

Les chroniques du Service suisse des ondes courtes (SOC) renvoient une image positive de la classe ouvrière et de ses représentants : à travers les ondes, c’est un pays  affranchi de ses conflits sociaux qui se présente sur la scène internationale

Ernst Nobs, le 7 décembre 1949. © RDB/ATP
Ernst Nobs, le 7 décembre 1949. © RDB/ATP

Alors que les années 1920 marquent le renforcement du poids politique du mouvement ouvrier, les années 1930 vont se distinguer par un processus de rapprochement progressif entre les partis bourgeois et le Parti socialiste suisse (PSS). Dès 1927, l’Union syndicale suisse efface de son programme la notion de « lutte de classes» : avec la crise économique qui se déploie les années suivantes, il s’agit bien davantage de lutter contre ses conséquences les plus néfastes que de dépasser le système capitaliste. En 1937, la signature de la paix du travail marque l’apogée de cette forme de réconciliation sociale, la Fédération des ouvriers sur métaux et horlogers renonçant à l’arme de la grève. Parallèlement, le Parti socialiste s’intègre toujours davantage à la démocratie bourgeoise tout en affirmant ses différences avec le Parti communiste.

La Seconde Guerre mondiale prend donc place alors que le nouvel équilibre entre partis politiques tente de s’établir. La façon dont les chroniques du SOC mettent en scène certains événements en lien avec le PSS et la population ouvrière semble révélatrice d’un désir de renvoyer l’image d’un pays qui a su dépasser les différents conflits sociaux.

Ernst Nobs, premier socialiste au Conseil fédéral

L’élection de M. Nobs au Conseil fédéral en 1943 marque un tournant décisif pour la gauche en Suisse. C’est en effet la première fois qu’un socialiste accède au gouvernement.

Au sein des chroniques, cet événement est présenté de manière positive. Cette élection est décrite comme un jour mémorable et marquant pour l’histoire du pays. La  chronique du 18 décembre 1943 insiste particulièrement sur le nouveau climat de collaboration qui va pouvoir être mis en place entre les différents partis par ce biais. Dorénavant, le Parti socialiste suisse se voit distingué des formations extrémistes, comme par exemple le Parti communiste, et devient un acteur avec lequel les partis bourgeois acceptent de coopérer.

La valorisation d’un personnage tel que Ernst Nobs permet à cette chronique de renvoyer une image de la Suisse caractérisée par son climat de cohésion sociale. D’une part, elle présente un pays qui est à l’écoute du peuple: la Suisse intègre les membres du parti qui représente la plus grande part de la population ; elle montre, d’autre part, la capacité du pays à créer une collaboration harmonieuse au sein des partis politiques.

Les chroniques de Charles Frédéric Ducommun

Le mouvement ouvrier n’est pas absent des chroniques. Celles-ci évoquent d’abord comment évoluent les relations entre ouvriers et patronat. Elles exposent ensuite le rôle que jouent les ouvriers au sein de la société en ces temps de guerre en montrant leur participation au maintien de la stabilité économique du pays.

Au-delà d’une simple valeur informative sur la classe ouvrière, les chroniques vont jusqu’à donner la parole à certains de ses représentants. En effet, plusieurs chroniques sont signées par Charles Frédéric Ducommun, Secrétaire adjoint de l’Union syndicale suisse et  l’une des chevilles ouvrières de la section Armée et Foyer. Au sein de ses émissions, il évoque la notion de « corporatisme » et invite à abandonner le principe de « lutte des classes » afin d’évoluer vers une communauté professionnelle. Ducommun insiste sur l’idée d’unité entre ouvriers et patrons et encourage à agir vers une « tâche commune ».

Le SOC ne donne pas ainsi la parole à n’importe quel représentant du mouvement ouvrier. Défenseur d’une vision pacifiée et consensuelle des rapports sociaux, Ducommun incarne une forme de collaboration de classe promue alors par les élites politiques et économiques helvétiques ; pour l’opinion publique internationale, ce visage rassurant du syndicalisme suisse a pour vocation d’étouffer le spectre de la Grève générale de 1918 qui avait conclu la Première Guerre mondiale en Suisse.

Rita Cunha

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Chroniques

L’élection d’Ernst Nobs est longuement présentée dans la Chronique du jour du 18 décembre 1943. Les propos du nouveau conseiller fédéral doivent rassurer quant aux craintes qui pourraient être liées à l’entrée du premier socialiste au gouvernement : Nobs, président de la Ville de Zurich, a démontré ses capacités à la tête d’un exécutif et dans la recherche de consensus avec la bourgeoisie. La chronique souligne par ailleurs le fair play du parti radical zurichois – qui a renoncé au siège qu’il détenait depuis près de 100 ans –… en passant sous silence le succès socialiste aux élections fédérales de l’automne 1943.

Charles-Frédéric Ducommun, Secrétaire adjoint de l’Union syndicale suisse (USS) de 1937 à 1942, intervient à plusieurs reprises au sein des chroniques du SOC, comme dans la Chronique politique et culturelle du 23 mai 1943. C’est un adepte de la communauté professionnelle, une notion intégrée dans le programme de l’USS au milieu des années 1930 mais qui tend à être marginalisée avec le déclin des puissances de l’Axe sur le plan international.

Annexe

Article évoquant l’union entre les ouvriers et les paysans [en pdf].

Kübler Arnold, «Eine verhinderte Allianz. Bauer und Arbeiter», Der Aufstieg, 12 novembre 1943 (avec des photographies de Paul Senn).

Audiovisuel

Récit de l’intégration de multiples ouvriers aux syndicats durant la Seconde Guerre mondiale sous l’impulsion des patrons.

Plans-Fixes, interview de Gabrielle Ethenoz-Damond du 6 octobre 2000.

Liens

Sur Ernst Nobs (Dictionnaire historique de la Suisse)

Sur Charles Frédéric Ducommun (Dictionnaire historique de la Suisse)

Une culture sous pression

A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement helvétique met en place ce qu’il appelle la défense nationale spirituelle. Une politique culturelle se développe visant à promouvoir une certaine image de la Suisse tant sur le plan national qu’international. Le Service des ondes courtes (SOC) constitue un des outils pour diffuser une vision positive du pays par le biais de ses Chroniques politiques et culturelles.

Cahier spécial de la Schweizer Illustrierte pour la "Landi" de 1939. © RDB / SI
Cahier spécial de la Schweizer Illustrierte pour la « Landi » de 1939. © RDB / SI

A travers les années de la guerre, de 1939 à 1945, on distingue une évolution quant à la façon d’aborder le thème de la culture au sein des chroniques du SOC. Lors des premières années, jusqu’en 1943 environ, le discours culturel est utilisé avant tout à des fins patriotiques en valorisant, vis-à-vis de l’extérieur, le rôle du pays dans le maintien de certaines valeurs bouleversées par la conjoncture de guerre. A partir de 1943, la place de la culture au sein des chroniques du SOC devient plus importante et donne lieu à un traitement spécifique. Plusieurs d’entre elles sont rédigées par l’Institut für Auslandforschung, institut privé rattaché à l’Université de Zurich afin de rompre l’isolement diplomatique dont souffre la Suisse durant cette période. Créé le 8 mars 1943, il sera dirigé pendant ses premières années d’existence par Eduard Fueter, un ancien frontiste, cofondateur de Pro Helvetia (membre du conseil de fondation de 1939 à 1952) et chef de l’Office central universitaire suisse (1940-1946).

Une culture de propagande

La grande exposition nationale qui s’est tenue à Zurich en 1939 – la Landi – est considérée par certains comme l’une des expressions paradigmatiques de cette défense spirituelle de la Suisse, mise en place par le gouvernement. Au cours de cette exposition, le but principal était de proposer une vision de la Suisse susceptible d’inculquer aux Confédérés espoir et fierté en leur pays. Lors d’une interview, en octobre 1939, de M. Schlatter, responsable du service de presse romand de l’exposition nationale, le journaliste présente la presse et la publicité comme étant les deux facteurs de la réussite de l’exposition. La presse joue en effet un rôle important dans cette promotion de l’identité suisse. Les chroniques du SOC, se faisant aussi largement le relais de cet évènement, s’intègrent ainsi dans un processus plus large. Ces émissions, destinées aux Suisses de l’étranger avant tout, transmettent la vision officielle des autorités. Dans la chronique du 30 octobre 1939, qui porte sur la fermeture de l’exposition nationale, le discours du chef de l’exposition est repris tel quel en évitant toute appréciation personnelle sur le sujet.

Un nouvel essor pour la culture

Dès 1943 pourtant, la façon dont est présentée la culture change au sein même des chroniques. Préoccupations secondaires dans les années antérieures, les thématiques culturelles vont ainsi s’imposer plus largement au sein du SOC avec des chroniques qui y seront désormais exclusivement consacrées. Parmi les thématiques récurrentes, on peut signaler la mise en valeur du «génie» industriel helvétique, la tradition et l’activité de ses universités, le rayonnement des écrivains et artistes suisses. Dans la chronique du 25 mai 1945, le journaliste souligne surtout la contribution des universités et des enseignants suisses à la reconstruction de la structure scolaire et éducative dans les pays touchés par la guerre.

Emergence d’une diplomatie culturelle

Ce poids croissant donné à la culture sur le plan international doit être relié plus largement à la mise en place par la Confédération d’une forme de diplomatie culturelle. Si cette dimension est présente dans le mandat de Pro Helvetia dès sa création en 1939, il faut attendre la deuxième partie du conflit pour voir se développer une politique plus volontariste qui passe notamment par le soutien à des concerts et conférences, la subvention d’une histoire de la Suisse en anglais ou encore la distribution de livres à des bibliothèques étrangères. Parallèlement se mettront en place dans l’immédiat après-guerre et sous l’égide du Département politique les premiers postes d’attachés culturels rattachés successivement aux légations de Paris, Washington et Londres.

Gregory Vauthier

Bibliographie

Hauser Claude, Seger Bruno, Tanner Jakob (dir.), Entre culture et politique: Pro Helvetia de 1939 à 2009, Genève: Slatkine, 2010.

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Chroniques

Dans la chronique du 30 octobre 1939 en français, le journaliste présente une forme de bilan à l’occasion de la fermeture de la Landi. Pour tout commentaire sur cette séance ou sur l’exposition nationale elle-même, le SOC relaie le discours des dirigeants. C’est un discours subjectif avec un but principal: valoriser certes l’exposition, mais surtout le message qu’elle veut faire passer aux Suisses. Un discours de propagande en sorte.

Avec cette Chronique politique et culturelle du 25 mai 1945 en allemand et centrée sur le monde culturel uniquement, on voit nettement le changement dans la façon dont la radio internationale propose d’aborder les sujets culturels. La culture a désormais une place à part entière dans les actualités du SOC.

Annexe

Le cinéma helvétique connaît un fort développement durant la Seconde Guerre mondiale, tout en contribuant à promouvoir une certaine image de la Suisse. La Praesens Film, l’une des principales maisons de production de l’époque, se distingue par plusieurs films à grand succès dont certains, comme La dernière chance, connaissent une carrière internationale.

La Suisse au miroir du monde, www.miroirdumonde.ch, Université de Fribourg.

Audiovisuel

Interview du 28 octobre 1939 de M. Schlatter, chef par interim de la section romande du service de presse pour l’exposition nationale de 1939 (archives RTS).

Liens

Sur les expositions nationales (Dictionnaire historique de la Suisse)

La Suisse, un îlot démocratique au cœur de l’Europe ?

Dans l’ouvrage, La Suisse, démocratie-témoin, le sociologue et historien français André Siegfried dresse en 1948 le portrait d’une Suisse à la vie démocratique exemplaire pendant la Seconde Guerre mondiale, image d’Epinal qui perdurera. Malgré les signes d’un fléchissement de la démocratie, le Service des ondes courtes a, par le biais de ses Chroniques politiques, contribué à forger cette image mythique d’une Suisse, îlot démocratique au cœur d’une Europe en guerre.

Landsgemeinde à Glaris, le 29 avril 1944. © RDB/ATP
Landsgemeinde à Glaris, le 29 avril 1944. © RDB/ATP

On peut distinguer trois grandes périodes pendant lesquelles la démocratie a été traitée sous un angle différent par le Service suisse des ondes courtes (SOC), suivant l’avancement de la guerre et la situation des belligérants.

De 1939 à 1940, la Suisse vit une véritable crise et l’intégrité de ses institutions est menacée. Malgré un renforcement des mesures autoritaires, comme l’octroi des pleins pouvoirs au Conseil fédéral le 30 août 1939, le SOC insiste sur le fait que le peuple suisse a toujours le dernier mot sur les grandes questions. Des fissures apparaissent dans le système, mais les chroniqueurs ne relèvent aucune différence majeure avec le fonctionnement d’avant-guerre.

De fin 1940 à 1943, le renforcement autoritaire se poursuit et les critiques portées à la démocratie sur le plan intérieur s’intensifient. Le SOC change alors légèrement de stratégie en matière de communication extérieure sur la vie démocratique helvétique. Les chroniqueurs parlent beaucoup des votations cantonales ou de sujets plus superficiels afin certainement de se détourner du débat moral qui pourrait mettre en doute l’intégrité démocratique de la Suisse et l’adhésion de son peuple à ce régime politique.

De 1943 à 1945, le nombre des chroniques du SOC abordant la thématique démocratique explose. Cette mise en exergue correspond au moment où le vent semble tourner en faveur des Alliés. En diffusant à l’étranger une image exemplaire de la Suisse, le SOC cherche à présenter le pays sous son meilleur jour auprès des futurs vainqueurs et ainsi à lui assurer une place de choix dans le monde d’après-guerre.

L’exemple des pleins pouvoirs

La chronique du 18 septembre 1940 offre un bel exemple de la façon dont le SOC cherche à mettre sous le boisseau le durcissement de la vie démocratique en Suisse. La décision de donner les pleins pouvoirs au gouvernement le 30 août 1939 est présentée comme un acte d’union nationale et une preuve de confiance du peuple envers ses dirigeants. Cette mesure est légitimée par les journalistes à plusieurs reprises en invoquant notamment le facteur temps – les institutions suisses sont lentes, ce qui se révèle problématique en période de guerre – et en rappelant continuellement la surveillance que l’Assemblée fédérale exerce sur le Conseil fédéral durant ses sessions parlementaires. Ainsi, les droits fondamentaux des citoyens suisses ne leur seraient pas ôtés. En réalité, ils ont tout de même perdu de nombreuses occasions de s’exprimer, car l’instrument du référendum est supprimé. Il ne reste au peuple que le droit d’initiative et les votations sur les objets que le Conseil fédéral veut bien lui soumettre. Les chroniques du SOC mettent justement en avant ce droit d’initiative comme étant l’expression ultime de la démocratie, alors que cet instrument est laborieux à utiliser. Elles se font le relais de presque toutes les discussions autour d’initiatives en cours pour montrer que le débat politique national ne s’est pas éteint.

Même dans ce contexte de restriction des droits politiques, le SOC continue à défendre le Conseil fédéral en louant le bon travail effectué dans les intérêts de la sécurité et de la prospérité suisse. Il rappelle qu’en temps de guerre il faut savoir faire confiance au gouvernement.

Un climat d’auto-censure

L’image idéale d’une Suisse bastion de la démocratie a pu émerger en partie grâce au climat d’auto-censure qui règne dans les médias suisses. Cette auto-discipline est particulièrement encouragée pendant la guerre par les instances dirigeantes politiques et militaires. Couplée à la Division Presse et Radio de l’armée chargée de surveiller les médias, une certaine forme de retenue est largement pratiquée par les journalistes et certainement encore plus lorsqu’il s’agit du SOC, ses émissions visant un auditoire international.

Pauline Rumpf et Pascal Vosicki

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Chroniques

La chronique du 18 septembre 1940 démontre à quel point les journalistes du SOC tiennent à tout prix à présenter le régime des pleins pouvoirs sous un jour positif.

Dans la Chronique politique et culturelle du 4 mai 1942, le SOC a également a cœur de montrer que le peuple suisse a encore en sa possession le droit à l’initiative et que, par ce biais notamment, le débat d’idées a toujours lieu.

Liens

Sur les pleins pouvoirs (Dictionnaire historique de la Suisse)

Sur l’ouvrage d’André Siegfried, La Suisse démocratie-témoin (La Suisse au miroir du monde, www.miroirdumonde.ch, Université de Fribourg)

Les chroniques face au durcissement de la politique d’asile

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, on estime qu’un peu plus de 80’000 civils, et parmi eux de nombreux Juifs, ont tenté de venir chercher refuge en Suisse. Quels stratagèmes le Service suisse des ondes courtes va-t-il utiliser pour défendre dans ses chroniques une image positive du pays à l’étranger malgré les restrictions en matière de politique d’asile mises en œuvre par le Conseil fédéral?

Enfants réfugiés originaires de Serbie, à Chiasso, le 31 mai 1942. © RDB/Lindroos
Enfants réfugiés originaires de Serbie, à Chiasso, le 31 mai 1942. © RDB/Lindroos

Dès 1938 déjà, la question des réfugiés juifs interpelle les autorités suisses (introduction du « J » sur les passeports allemands), mais au cours de l’été 1942, elle se pose avec encore plus d’acuité. Face aux déportations massives de Juifs vers les pays de l’Est, l’afflux de réfugiés aux frontières suisses s’intensifie. A partir du 13 août 1942, le Conseil fédéral décide de refouler systématiquement les réfugiés qui sont entrés illégalement en Suisse, comme ceux qui fuient leur pays «en raison de leur race».

Une grande prudence

Dans la mesure où le Service suisse des ondes courtes (SOC) est l’un des principaux vecteurs d’information de la Suisse à destination de l’étranger durant la Seconde Guerre mondiale, il joue donc un rôle important dans l’image du pays qu’il diffuse à l’extérieur. Les mesures restrictives à l’égard des réfugiés sont notamment traitées dans les Chroniques politiques du 4 et 25 septembre 1942. Ce sont les premières qui abordent de manière précise la problématique de l’asile.

Ces deux chroniques font explicitement suite aux remous, suscités par la politique restrictive adoptée par les autorités, au sein de l’opinion publique suisse. En effet, de nombreux cercles de la population, telles que des organisations juives, d’aide aux réfugiés ou encore féminines, contestent les mesures prises. Les chroniques cherchent également à parer à d’autres critiques qui pourraient voir le jour sur la scène internationale. Ainsi, c’est l’image du pays à l’extérieur que l’on tente de préserver.

Par ailleurs, les chroniqueurs font preuve d’une grande prudence lorsqu’ils se penchent sur ce problème. Ainsi quand un de ceux-ci évoque le fait que la plupart des réfugiés s’avèrent être des Juifs, cette précision est ensuite tracée dans le tapuscrit et donc, selon toute vraisemblance, pas lue à l’antenne. Une correction – «remords» ou intervention extérieure ? – qui témoigne en tous les cas du caractère sensible d’une question que l’on préfère taire à ce moment-là.

La tradition de l’asile suisse à l’appui

Les chroniques tiennent un discours qui vise à justifier les mesures restrictives prises par les autorités politiques. On tend à les nuancer et à amoindrir leur impact négatif. Pour ce faire, les journalistes font appel de maintes fois au passé altruiste et généreux de la Suisse. La tradition humanitaire du pays est ainsi utilisée comme une sorte de « légitimation des décisions présentes au nom d’une générosité passée », pour reprendre les propos de la Commission indépendante d’experts Suisse-Seconde Guerre mondiale. Le discours est également toujours ramené en fin de chronique à un rappel des tâches charitables et généreuses déjà accomplies. A titre d’exemple, celle du 4 septembre 1942 mentionne les efforts déjà entrepris pour les enfants victimes de la guerre. Les chroniqueurs cherchent toujours à évoquer des aspects plus positifs.

Les réalités économiques du pays mises en avant

Il est également intéressant de noter comment les chroniques abordant la question des réfugiés s’articulent et avec quelles autres thématiques elles sont mises en lien. Le second sujet dont traitent nos deux chroniques porte sur les réalités économiques du pays en tant de guerre. Les difficultés en ce qui concerne le logement, le travail, les prix ou encore la nourriture y sont exposées. Il ne faut pas y voir un pur hasard. Le fait de lier les enjeux économiques à la question des réfugiés dans la même chronique permet en effet de justifier la politique d’asile en vigueur. Ainsi comme le relate la chronique du 25 septembre 1942, dans un contexte économique interne difficile, « la capacité d’accueil de la Suisse n’est pas inépuisable ».

Le durcissement de la politique d’asile que mène le Conseil fédéral est ainsi atténué dans les chroniques. Le SOC tend à prouver que ces restrictions n’entrent pas en contradiction avec l’idéal humanitaire et charitable associé à la Suisse. A ces fins, la tradition d’asile helvétique est évoquée de manière récurrente. Le SOC se rallie ainsi à de nombreux égards au discours officiel du gouvernement helvétique pour justifier les mesures prises. Il se fait en quelque sorte le relais des idées du Conseil fédéral auprès de l’étranger.

Anaïs Jeanmonod

Bibliographie

Commission indépendante d’experts Suisse – Seconde Guerre mondiale, La Suisse et les réfugiés à l’époque du national-socialisme, Berne: OFCL/OCFIM, 1999.

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Chroniques

Destinées aux Suisses d’outre-mer, les Chroniques politiques du 4 septembre 1942 et 25 septembre 1942 fournissent toutes deux des informations sur deux objets distincts: la problématique de la politique suisse en matière d’asile et des questions d’ordre économique concernant les prix et les salaires en Suisse, ainsi que d’autres difficultés internes. Elles tentent notamment par ce biais de proposer une certaine justification aux mesures restrictives prises par les autorités fédérales au cours de l’été 1942 envers les réfugiés.

Annexes

1) Circulaire du 13 août 1942 du Chef de la Division de Police du Département de Justice et Police, H. Rothmund, aux Directions et Commandements de police des Cantons concernant les « mesures contre l’afflux des réfugiés étrangers civils et militaires ».

Documents Diplomatiques Suisses

2) Nombres de réfugiés civils admis en Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale.

Commission indépendante d’experts Suisse – Seconde Guerre mondiale, La Suisse et les réfugiés à l’époque du national-socialisme, Berne: OFCL/OCFIM, 1999, p. 25.

3) Volume 17 de la Commission indépendante d’experts Suisse – Seconde Guerre Mondiale: La Suisse et les réfugiés à l’époque du national-socialisme.

Liens

Sur les réfugiés en Suisse (Dictionnaire historique de la Suisse)

Sur La Suisse, les réfugiés et la Shoah (Documents Diplomatiques Suisses)

L’approvisionnement : rassurer et négocier

Durant la Seconde Guerre mondiale, exporter et importer librement est d’une importance capitale pour la Suisse. Dépendante à la fois des deux groupes belligérants, la question de l’approvisionnement du pays devient un sujet primordial. Les thèmes diffusés sur les  ondes courtes varient alors entre chroniques rassurantes sur la capacité autarcique du pays et émissions témoignant des sacrifices de la population suisse.

Pénurie d'essence en Suisse, 1940. © RDB/Maurer
Pénurie d’essence en Suisse, 1940. © RDB/Maurer

Avant le conflit, un tiers de la population helvétique travaille dans le secteur de l’industrie d’exportation, soit les produits métalliques et électriques, l’industrie textile et chimique. L’économie suisse dépend également des importations que ce soit pour le charbon, le pétrole et les autres matières premières. La Confédération, confrontée à la nécessité de commercer, souhaite maintenir des liens avec tous ses partenaires. Dès le moment où la Suisse sera presque entièrement encerclée par l’Allemagne et l’Italie, on assiste à une intégration toujours plus importante du pays à l’économie de l’Axe.

Face à cette dépendance, l’un des premiers rôles des ondes courtes consiste à rassurer les auditeurs sur les capacités autarciques du pays. En plus de la nécessité d’informer les Suisses de l’étranger sur le sort de leurs congénères vivant au pays, il est capital de montrer vis-à-vis de l’extérieur une Suisse autonome et tenant son destin entre ses mains.

«L’alimentation de la Suisse est assurée»

Dès l’opération Barbarossa, l’Allemagne ne respecte pas les accords commerciaux signés avec la Suisse et ne livre plus le charbon en quantité suffisante pour l’industrie helvétique. La Chronique politique diffusée le 31 décembre 1941 insiste sur l’incapacité du pays à produire le ciment nécessaire à l’industrie du bâtiment par manque de ce précieux combustible. La pénurie de charbon ne touche pas uniquement le secteur industriel; elle contraint une partie de la population à y renoncer et se chauffer au bois. Les boulangers se retrouvent ainsi contraints d’utiliser du mazout pour pouvoir continuer à exercer leur métier.

Cependant, le gouvernement suisse se veut rassurant. De nombreuses chroniques certifient que « l’alimentation de la Suisse est assurée » grâce à la mise en place d’une économie de guerre réfléchie et efficace. Comme dit précédemment, on peut aisément penser que ce type d’émissions joue un rôle double. Elles doivent permettre de rassurer les Suisses de l’étranger sur les conditions de vie de leurs ressortissants tout en montrant les capacités du pays à résister à toute ingérence extérieure qui mettrait à mal sa neutralité.

Un enjeu diplomatique

La Suisse tente de commercer avec le monde entier. Cependant, les blocus et les pressions importantes qu’exerce une Allemagne maîtresse de l’Europe rendent la balance entre les deux camps toujours plus difficile.

A titre d’exemple, le crédit de clearing avec l’Allemagne du 18 juillet 1941 est conclu alors que les Suisses subissent d’un côté une pression économique de sa part et de l’autre les récriminations de l’Angleterre qui menace d’arrêter la livraison des denrées alimentaires nécessaires au pays.

Dans cette situation complexe, il est crucial de faire comprendre les difficultés de la population au jour le jour. Ainsi, les ondes courtes insistent sur l’esprit de sacrifice des citoyens suisses. En conformité avec les prescriptions du gouvernement en matière d’information, le contenu des traités avec les belligérants est présenté superficiellement et les problèmes d’approvisionnement avec l’Allemagne abordés sans condamner pour autant cette dernière. En montrant un peuple uni et solidaire dans la tourmente, les chroniques du SOC peuvent aussi endosser un rôle plus diplomatique en présentant la situation inconfortable d’une Suisse qui se doit de négocier pour sa survie. Les «sacrifices» de la population sont détaillés plus longuement dans les émissions dédiées aux publics anglophone et francophone.

Ainsi, les chroniques diffusées sur les ondes courtes portent un message à la fois rassurant et de portée diplomatique. Ce double rôle peut alors conduire à des contradictions. Il n’est en effet par rare de voir se succéder des émissions qui vantent la capacité autarcique du pays et d’autres insistant sur la nécessité « vitale » de commercer pour les Suisses. Cependant, dans l’un et l’autre cas, il apparaît très clairement que les ondes courtes cherchent à véhiculer l’image d’une Suisse qui se tient prête à assurer et assumer sa neutralité.

William Yoakim

Bibliographie

Bourgeois Daniel, Business helvétique et troisième Reich: milieux d’affaires, politique étrangère, antisémitisme, Genève: Le Courrier, 1998.

Jost Hans-Ulrich, Le salaire des neutres: Suisse 1938-1948, Paris: Denoël, 1999.

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Chroniques

La Chronique du jour du 20 février 1941 parle des capacités autarciques de la Suisse à fournir les besoins alimentaires pour ses habitants. Il est également fait mention du programme d’intensification des cultures. La problématique de l’exploitation de la pomme de terre est abordée plus longuement et permet de voir que la production agricole et l’utilisation des récoltes sont contrôlées. Cette politique est présentée comme une garantie de ne pas succomber à la famine.

La Chronique politique du 21 juillet 1941 fait mention de l’accord économique germano-suisse et de son importance pour l’industrie suisse. Il est aussi question de la baisse du trafic ferroviaire du fait des problèmes d’approvisionnement de charbon. Pour terminer, cette émission fait état d’un supplément de sucre concernant les dispositions liées au rationnement des denrées alimentaires. Le sort des Suisses est présenté comme «très supportable».

Annexes

1) Graphique [en pdf] montrant comment les exportations et les importations suisses se répartissent entre les deux groupes de belligérants et les autres pays.

Jost Hans-Ulrich, Le salaire des neutres: Suisse 1938-1948, Paris: Denoël, 1999, p. 305.

2) Tableau [en pdf] sur les sources d’approvisionnement alimentaire des Suisses. On peut aisément voir la progression de la capacité autarcique de la Suisse durant le conflit et l’évolution des importations.

Jost Hans-Ulrich, Le salaire des neutres: Suisse 1938-1948, Paris: Denoël, 1999, p. 367.

Audiovisuel

«C’était un soir de jour sans viande», chanson de et par Jack Rollan, 4 septembre 1942.
Archives de la Radio Télévision Suisse provenant du CD de Détraz Christine, Le pain de la veille [Ensemble multi-supports]: aspects de la vie quotidienne en Suisse romande durant la guerre 1939-1945, Lausanne: LEP Loisirs et pédagogie et Radio suisse romande, 1994.

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Sur le Plan Wahlen (Dictionnaire historique de la Suisse)

La neutralité suisse au service de la diplomatie

Plus la fin de la Seconde Guerre mondiale approche, plus les critiques de la part des Alliés sur l’attitude de la Suisse pendant le conflit se font insistantes. Pour y répondre, les chroniques du Service suisse des ondes courtes, dont la particularité est d’être spécifiquement destinées à un public international, rappellent l’ancrage historique de la neutralité comme fondement de la politique extérieure de la Confédération.  A la fin de la guerre, cet aspect sera largement relayé à l’étranger également par d’autres vecteurs, comme le livre, et jouera un rôle clé pour défendre la position de la Suisse face à la recomposition des rapports de force.

Edgar Bonjour, le 1er juillet 1988. © RDB/Vera Isler-Leiner
Edgar Bonjour, le 1er juillet 1988. © RDB/Vera Isler-Leiner

La neutralité est progressivement devenue un élément majeur de l’identité suisse. Et c’est dans le contexte des rapports tendus avec les pays belligérants pendant la Seconde Guerre mondiale que le Service suisse des ondes courtes (SOC) a commencé à transmettre au monde un discours historique sur la neutralité qui sera ensuite largement repris après la guerre.

La neutralité: une mission si ce n’est divine, du moins naturelle

La question de la neutralité fait l’objet de la première chronique, datée du 7 juin 1939. Le journaliste répond alors, sur un ton très personnel, en usant abondamment des premières personnes du singulier et du pluriel – une manière de faire qui s’estompera au fil des chroniques-, aux critiques émises à l’encontre de la Suisse: on lui reproche son attitude « passive » à l’égard des événements internationaux et son manque d’engagement aux côtés des autres démocraties.

La neutralité justifie, selon le chroniqueur, le statut particulier de la Suisse: « En effet -et cela est trop peu connu- la neutralité ne nous a pas été imposée. Si nous sommes neutres, c’est que nous le voulons bien, c’est que nous avons accepté la mission que la nature nous a confiée et qui consiste à garder les cols des Alpes, à maintenir -en dépit de tous le conflits qui peuvent surgir- cette communication essentielle entre les peuples, à assumer de la sorte une tâche hautement civilisatrice, enfin à conserver en toutes circonstances au centre de l’Europe un territoire à l’abri des ravages de la guerre. » Cette tâche naturelle, puisqu’elle repose aussi sur une réalité géographique, explique que la Suisse se tienne à l’écart du conflit. L’image du Sonderfall helvétique apparaît ici en filigrane. D’après le chroniqueur, la Suisse n’a pas besoin de faire des alliances car sa neutralité est reconnue par les autres nations qui y trouvent également des avantages. Un glissement s’opère progressivement, de l’aspect naturel de la neutralité suisse à son caractère divin. Le chroniqueur brandit la menace, toutefois euphémisée par l’usage du conditionnel: « [C’est] pourquoi serait châtié quiconque essayerait de la violer ». Le champ lexical semble ici renvoyer à des sanctions divines.

Dans cette chronique, l’accent n’est pas mis sur l’intérêt que le concept de neutralité représente sur le plan national (cohésion interne du pays, indépendance), mais sur l’avantage qu’il représente au niveau international (commerce possible avec tous les belligérants, contribution « au maintien de la paix »); ceci s’explique certainement par le fait que ce discours est destiné à un auditoire étranger.

La neutralité fait partie, avec d’autres éléments (politique humanitaire, rôle de l’armée), des principales valeurs associées à la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale qui sont relayées avec force par les chroniques du SOC et qui vont constituer le socle de la mémoire du pays dans l’immédiat après-guerre. Ces dernières ont permis de répondre aux critiques formulées par les Alliés à l’encontre de la politique menée par la Confédération pendant la guerre, notamment sur son intégration à l’économie de guerre allemande.

Edgar Bonjour et la construction mémorielle de l’immédiat après-guerre

C’est également dans ce but qu’en 1944, Pro Helvetia -communauté de travail fondée en 1939 ayant pour objectif de promouvoir la culture suisse tant sur le plan national qu’international- confie au Professeur d’histoire bâlois, Edgar Bonjour, la tâche de rédiger un ouvrage consacré à la neutralité suisse. Ce texte constitue un jalon important dans la construction de l’image d’une Suisse neutre et nourrit le mythe helvétique. Pro Helvetia recourt à la traduction pour donner l’écho le plus large possible à cette image d’Epinal. En plus de l’allemand et du français, cet ouvrage est publié à Londres, en 1946, sous le titre Swiss neutrality. Its history and meaning. S’ensuit une version espagnole qui paraît à Madrid en 1954. A travers ces traductions, financées par Pro Helvetia, dans des idiomes qui touchent une large part du globe, l’ouvrage de Bonjour prend toujours plus d’importance et devient un moyen précieux pour promouvoir l’image d’une Suisse non coupable et active pour le bien-être de son peuple. Les diverses versions, distribuées notamment par le réseau des ambassades grâce à Pro Helvetia, rencontrent un succès considérable.

Tant le livre de Bonjour que les chroniques des ondes courtes ont permis la diffusion d’une imagerie nationale au-delà des frontières. Ce sont deux vecteurs qui, quoique de façon différente, visent les mêmes objectifs. Ils ont aidé à ancrer dans les mémoires une certaine vision de la Suisse qui ne sera remise en question qu’à partir des années 1960.

Liridona Gubetini

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Chronique

La chronique du 7 juin 1939 propose l’image d’une Suisse neutre, reconnue dans le monde entier pour être «la plus vieille démocratie». Promouvoir cet aspect de l’identité helvétique est un souci constant du SOC, dont l’objectif est de répondre aux attaques qui visent la Suisse et d’expliciter aux yeux du monde les options prises par le Conseil fédéral.

Liens

Sur Edgar Bonjour (Dictionnaire historique de la Suisse)

Sur les diverses traductions du livre de Bonjour (La Suisse au miroir du monde, www.miroirdumonde.ch, Université de Fribourg)