La genèse du Palais de Rumine
Le legs de Gabriel de Rumine, en 1871, à la ville de Lausanne, destiné à la construction d’un édifice d’utilité publique, donnera jour, au début du XXe siècle, à un monument que tout lausannois connaît, le Palais de Rumine. Fils du prince russe Basile de Rumine et de Catherine Chakhovskaïa, exilés en Suisse en 1839, il naît et grandit à Lausanne, entre à l’Académie, puis à l’Ecole spéciale où il obtient un diplôme d’ingénieur constructeur. Attaché à cette ville d’adoption, il lui laisse, à sa mort, 1 500 000 francs à condition de:
[…] placer (cette somme) dans de bonnes conditions pour qu’elle, étant doublée, soit employée à la construction d’un édifice qui sera jugé, quinze ans après sa mort, d’utilité publique par une commission de dix membres, choisis de moitié parmi les magistrats de la ville, de moitié parmi les professeurs de l’Académie. [1]
En 1886, le Conseil communal constitue, selon la volonté du donateur, la Commission de dix membres (la Commission de Rumine) qui devra « décider souverainement et définitivement sur la destination à donner à l’édifice d’utilité publique qui doit être construit au moyen du legs » [2].
Deux lieux en particulier sont désignés pour la construction des nouveaux bâtiments universitaires:
[…] les bâtiments académiques ou universitaires ne peuvent s’édifier qu’à l’emplacement proposé (la Riponne) ou au midi de la ville. On ne proposera ni la Pontaise, ni Beaulieu.
Le site de la Cité avait petit à petit perdu de son prestige avec le déplacement de l’élite intellectuelle vers les quartiers bourgeois. Mais ce lieu recelant une grande symbolique pour l’institution lausannoise, ainsi que le relève un procès-verbal de la Commission: « Nous ne pouvons pas nous éloigner de la Cité; il faut au moins qu’un bâtiment y rappelle les anciens souvenirs de nos pères […] », il fallait lui redonner vie. La zone au midi de la ville, elle, comprenait déjà la gare pour animer le quartier. La Riponne fut donc naturellement choisie comme futur site du Palais de Rumine. [3]
Le choix de cet emplacement souleva de nombreuses oppositions malgré l’aval de la ville. Lors d’une séance du Conseil communal en juillet 1888 d’autres emplacements possibles sont encore envisagés: Mon-Repos, la propriété Matthey à Montbenon, Champ-de-l’Air ou le plateau central de la Cité-dessus. Mais ces sites étaient soit trop chers, soit trop éloignés ou encore d’une surface trop restreinte. On peut aussi citer d’autres emplacements qui auraient convenu quant à la surface disponible comme Beaulieu, en Chissiez ou le boulevard de Grancy, mais ils étaient jugés trop excentrés.
Le concours des plans de l’édifice de Rumine sur la place de la Riponne, lancé en 1889, voit naître 36 projets. Six sont retenus et primés: Les projets Taureau Farnèse, Hic, Nous, A toi beau pays de Vaud, Léman et A 298. [4]
Aucun d’entre eux n’obtient l’adhésion complète du jury et de ce fait le 1er prix n’est pas attribué. Quoi qu’il en soit, les travaux sont confiés à l’architecte Dominique Demierre, lauréat du 3ème prix pour son projet Hic. Dans le même temps, une commande pour une nouvelle étude est passée à André Gaspard qui a remporté le 2ème prix. Ce dernier refuse le mandat, ne voulant pas adapter son projet. Suite à la disqualification de Demierre, qui travaillait dans le même bureau qu’un membre du jury, Henri-Paul Nénot, Gaspard accepte la tâche et devient officiellement l’architecte en titre.
Bien que le lieu et l’architecte soient désignés, il faut attendre 1889 pour que le chantier débute. Les polémiques font rage; le choix des occupants semble trop vaste, l’emplacement est toujours discuté et des changements politiques au Conseil communal modifient les priorités. Le décès, en 1896, de l’architecte qui laisse des plans inachevés, met fin à cette longue épopée.
Finalement, les travaux sont confiés à quatre architectes, Louis Bezencenet, Louis Girardet, Francis Isoz et Charles Melly – les deux premiers étant également les architectes de l’Ecole de chimie.
Après huit ans de travaux et un budget largement dépassé (évalué à 4’400’000 francs), le Palais est inauguré le 3 novembre 1906.
Relevons tout de même qu’entre 1896 et 1906, le nombre d’étudiants a doublé, passant de 600 à 1200, suscitant, dès les premiers jours, une polémique sur le manque de place.
A consulter également: UniLausanne 3 (1972) Le Palais de Rumine (pdf)
Constance Lambiel
Service des Archives, Université de Lausanne
[1] Testament de Gabriel de Rumine, cité in GUBLER, 1967, p. 206.
[2] Edifice de Rumine, Rapport de la Municipalité de Lausanne au conseil communal en réponse à l’interpellation de M.L. Rambert du 19 mai 1890, Lausanne: Imprimerie Georges Bridel & Cie, 1890, 14 pages.
[3] P.V. 1887, p. 103-105, in Avant-projet de l’édifice de rumine. Rapports de majorité et de minorité de la commission du Conseil communal de Lausanne, Lausanne: Imprimerie Adrien Borgeaud, 1893, 27 pages.
[4] Le Fonds de Rumine et l’Université. Examen du projet municipal et propositions nouvelles par le Dr E. Bugnion et le Br E. De Cérenville, Lausanne: Imprimerie Georges Bridel & Cie, 1890, 47 pages.