Montreux et sa Rose d’Or : dans les coulisses d’un festival de télévision

Si la ville de Montreux vit depuis 1967 au rythme du jazz, la renommée du Montreux Jazz Festival a pourtant éclipsé un autre festival de six ans son aîné. En 1961 est créé sous la houlette de la Ville de Montreux, de la Société suisse de radiodiffusion (SSR) et de l’Union européenne de radiodiffusion (UER) le festival de télévision la Rose d’Or. 

Par Roxane Gray, juin 2017.

 

Affiche de Jean Tinguely pour la 25ème Rose d’Or de Montreux en 1985.

 

L’éclosion de la Rose d’Or

La naissance de la Rose d’Or est le fruit d’une rencontre entre trois hommes : Marcel Bezençon, directeur général de la SSR de 1950 à 1972, président de la Commission des programmes de télévision de l’UER et cofondateur du réseau Eurovision en 1954 ; Edouard Haas, directeur de la télévision suisse à partir de 1955 et Raymond Jaussi, directeur de l’office du tourisme de Montreux.

L’idée d’un festival international de télévision part tout d’abord d’une volonté de promotion de la télévision à l’échelle internationale. Marcel Bezençon souhaite développer le prestige de la télévision en créant un prix international récompensant des émissions de variétés télévisées.

L’opportunité de découverte et d’échange de programmes de télévision de divertissement que constitue la création du festival revêt, de plus, un intérêt stratégique pour les directeurs de programme de la SSR, réunis sous la direction d’Edouard Haas à partir de 1955. Ceux-ci peinent à renouveler les programmes de variétés et appréhendent la période estivale où « le divertissement est aussi rare qu’indispensable » explique Franck Tappolet, chef de la coordination des programmes télévision de la SSR à partir de 1957.

Le 15 mai 1961, débute à Montreux la première édition de la Rose d’Or. Raymond Jaussi soutient en effet le projet et y voit le moyen d’élargir le rayonnement de sa commune, ville d’accueil de l’Eurovision en 1954 et à l’activité locale dynamique.

Reflet de l’intensification des relations internationales engagées par la Suisse à partir des années 1950 et au sein desquelles la télévision suisse joue un rôle prépondérant ; rencontre entre professionnels stimulant la créativité des programmes de télévision et promesse de dynamisme touristique pour la ville de Montreux, l’organisation de la Rose d’Or reflète les attentes diversifiées dont elle fait l’objet.

 

Montreux, capitale du petit écran

Les stratégies de promotion du concours de la Rose d’Or à l’échelle internationale ont suscité le développement d’une offre plus large en matière de télévision. Parmi les organisateurs du festival, Marcel Bezençon, ancien journaliste, perçoit les opportunités offertes par la promotion du festival, notamment par la presse qui fait l’objet d’une attention particulière. Tout comme les professionnels de l’audiovisuel, les journalistes ont la possibilité de rencontrer les producteurs et organismes de télévision mais aussi de visionner les programmes de télévision.

En parallèle du concours de la Rose d’Or qui comprend la sélection des émissions diffusées et l’attribution des prix par le jury, le festival de la Rose d’Or propose également un ensemble de manifestations autour de la télévision. Un symposium ainsi qu’une exposition sont organisés à la même période et sont consacrés aux évolutions de la télévision.

 

Photographie de Jean Schlemmer. « Symposium international de télévision, stand Marconi, camions en extérieur », mai 1973, fonds photographique PP 070-E-0224, Archives de Montreux.
Photographie de Jean Schlemmer. « Symposium de télévision, appareils », 1973, fonds photographique PP 070-E-0230, Archives de Montreux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lieux de démonstrations des innovations techniques, à l’instar des tests de télévision en couleur ou de la mise en place de liaisons satellites, expositions et symposium constituent également des opportunités de réflexions et de discussions sur ces évolutions technologiques. A titre d’exemple, le deuxième Symposium de télévision qui s’est déroulé du 23 avril au 2 mai 1962 a engagé des discussions sur les satellites-relais de télécommunication, sur les progrès en matière d’équipement de studios ou encore sur les applications utilitaires de la télévision dans la médecine et l’enseignement.

Par le biais d’expositions, de démonstrations et autres conférences, il s’agit d’offrir en marge du concours un grand nombre d’attractions supplémentaires afin de créer un événement suffisamment large et attractif pour justifier le déplacement des participants. Plus encore, les happy-hours, concerts et galas conçus au départ en marge de la Rose d’Or vont d’ailleurs, à l’image du Montreux Jazz Festival, susciter une couverture médiatique qui fera de l’ombre au festival de télévision.

 

Jeanne Moreau distribue la Rose d’Or de l’année 1963 et chante pour la première fois en public à Montreux

Reportage « La première chanson », Pierre Matteuzzi, Télévision Suisse Romande, 3 mai 1963, RTS Archives.

 

Promouvoir l’excellence télévisuelle 

Concours international d’émissions de variétés, la Rose d’Or se donne pour objectif premier de diffuser des programmes de variétés de haute qualité et de susciter la création d’œuvres de divertissement originales pour la télévision. La réalisation de ces objectifs passe par une promotion de l’excellence télévisuelle, soulignée par la mise en place de règles rigoureuses dans l’organisation du concours.

La valeur du concours passe tout d’abord par un nombre limité de prix distribués. Une rose de bronze, d’argent et d’or sont remises chaque année par le jury auxquelles s’ajoute le Prix de la Presse Internationale remis par les journalistes. Si la Rose d’Or met en place un prix spécial de la ville de Montreux récompensant l’œuvre dont le comique s’exprime par l’image, le son et la situation, le festival limite néanmoins la multiplication de nouveaux prix, autorisant même le jury à ne pas décerner de rose d’or à partir de 1980.

Un autre principe incontesté du concours réside dans le caractère original et nouveau des programmes de télévision présentés. A partir des années 1970, le règlement du concours stipule que les participants se voient refuser la candidature des programmes ayant déjà reçu un prix ou ne constituant qu’une compilation d’extraits ou d’archives d’émissions.

Règles de rigueur dans le choix des participants mais également dans la constitution du jury : au départ nommé par les organisateurs de la Rose d’Or sur le modèle des festivals de cinéma, le jury se compose ensuite des représentants des organismes de télévision participant au concours, garants d’un choix équitable et d’une véritable expertise sur les programmes de télévision. D’autre part, la partialité du jury tend à être limitée par une procédure de vote stricte, composée d’un premier tri sur la base de critères établis au préalable puis entrecoupée d’éliminations.

 

Lieu de sociabilité entre professionnels de télévision  

La promotion de l’excellence du divertissement télévisuel se double d’un second objectif, plus pragmatique. Le concours constitue en effet une opportunité pour les télévisions internationales de confrontation d’idées, d’innovation technique et de recherche de nouveaux talents. L’édition 1964 de la Rose d’Or prime l’émission de la Télévision Suisse Romande Happy End à l’allure de comédie musicale et lance la carrière du jeune réalisateur suisse Jean-Louis Roy. La France est primée deux ans plus tard avec l’émission L’Arroseur arrosé, ensemble de sketches produits par l’ORTF et réalisés par Pierre Tchernia.

L’amélioration de l’offre télévisuelle passe par une stimulation des échanges de programmes de divertissements entre producteurs et diffuseurs. La presse souligne en effet le caractère éminemment professionnel de la manifestation, réservée aux gens du métier. Les échanges de programmes sont facilités par la mise en place de lieux de rencontre plus ou moins formels : lors des conférences organisées pour débattre des problématiques spécifiques des professionnels de télévision ; lors des expositions, opportunités de démonstration des techniques et savoir-faire développés ; ou encore lors de moments plus récréatifs. Les happy-hours, concerts et galas constituent autant de moments privilégiés pour développer son réseau professionnel.

 

Photographie de Jean Schlemmer. « Exposition de télévision, extérieurs », 1971, fonds photographique PP070-E-00455, Archives de Montreux.
Photographie de Jean Schlemmer. « Symposium international de télévision, Philipps », 1969, Fonds photographique PP 070-E-0336, Archives de Montreux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au cours de son évolution, le festival tend à développer et faciliter ces moments d’échanges. En 1984, est installé devant la salle du jury international un circuit de télévision en interne qui diffuse chaque jour, entre les projections, des interviews en direct permettant aux réalisateurs, artistes et producteurs des émissions projetées de se présenter aux délégués. La mise en place d’un vidéokiosque proposant un visionnement à la carte des émissions sélectionnées et hors concours contribue également à une meilleure information et communication entre les professionnels de télévision.

Le festival s’adapte par ailleurs aux mutations du paysage audiovisuel et de ses professions en ouvrant progressivement, à partir des années 1980, la compétition aux producteurs privés. En 1980 est mis en place par la SSR la manifestation « Private Screening Montreux » qui permet aux producteurs privés de projeter, de visionner et d’acquérir des programmes en-dehors du concours officiel. Celui-ci ouvrira officiellement ses portes aux productions indépendantes en 1984.

Le journaliste de la TSR Georges Kleinmann s’invite dans les coulisses de la Rose d’Or en 1972

Reportage « Rose d’or », Georges Kleinmann, Télévision Suisse Romande, 27 avril 1972, RTS archives.

 

La Rose d’Or a rythmé la vie touristique et culturelle de la ville de Montreux durant plus de quarante ans. Transféré de 2004 à 2012 à Lucerne, le festival se poursuit aujourd’hui, sous la direction de l’UER, dans différentes villes d’Europe. En 2017, c’est à Berlin que les heureux gagnants recevront leurs roses. Lieu de rencontre entre les professionnels de la télévision, industriels et journalistes, opportunité d’échanges de programmes télévisuels mais aussi espace de démonstrations et de discussions sur les techniques et pratiques de la télévision, la Rose d’Or a contribué au développement des transferts culturels internationaux et constitue un observatoire privilégié des évolutions du paysage audiovisuel.

 

Références 

Archives communales de Montreux, Fonds Montreux CC 000181, « Dossier Rose d’Or 1981-1985 », liste des documents consultés :

  • Procès-verbaux des réunions du comité d’organisation du festival du 15 juillet 1983, du 4 juillet 1984 et du 22 août 1985 à la Direction Générale de la SSR, Berne.
  • Procès-verbal de la séance du Conseil international de la rose d’or de Montreux, 14 mai 1985, Montreux.
  • Règlement du concours international de variétés pour la télévision en vue de l’attribution de la rose d’or de Montreux, soumis à l’approbation de l’UER, 1985.
  • Communiqués de la Rose d’Or de Montreux du 16 mars et du 10 avril 1981.
  • Bulletin du festival de la Rose d’Or de Montreux, 21-26 avril 1994.
  • Tappolet Franck, « La Rose d’or a 25 ans », 25ème Rose d’or de Montreux en 1985, Société suisse de radiodiffusion et télévision, Berne, 63 pages.

Archives communales de Montreux, fonds photographiques PP 070-E-0224/0230/0336/00455.

Musée de Montreux, Dossier de presse, Bulletin n° 18, Service d’information de la Télévision, 25 avril 1962.

Vallotton François, « L’Europe imaginée : le rôle de la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR) dans la coproduction et l’échange de programmes télévisés », in Les télévisions dans la construction de l’Europe. Culture nationale et identité de l’Europe (1945-2005), sous la dir. de Marie-Françoise Lévy et Marie-Noële Sicard, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008, p. 71-85.