La « révolution numérique » met la presse écrite en difficulté. Elle fait face à un lectorat fragmenté, à la rude concurrence des réseaux sociaux et à la gratuité des nouveaux formats de l’information. Mais la crise actuelle n’est pas la première que traversent les journaux papier, coutumiers des défis posés par les nouvelles technologies. Retour dans les années 1980.
Par Marie Sandoz, janvier 2017.
«Autant dire que les médias traditionnels vont devoir rapidement basculer dans des écritures adaptées à ce nouveau monde.» Lorsque Bernard Rappaz s’exprime dans Bilan en septembre 2016, c’est le paysage audiovisuel actuel, dominé par le numérique, Facebook et le format vidéo, que le chef de l’actualité à la RTS qualifie de nouveau monde. Il fait ainsi écho à la litanie qui sans cesse intime à la presse de se réinventer, de se saisir des nouvelles technologies, de s’adapter. Des prescriptions que l’on formule au rythme des licenciements effectués au nom de la « révolution numérique ».
Mais le défi que posent les nouvelles formes médiatiques aux journaux papier est-il une problématique exclusivement actuelle? Nullement.
Dès la moitié des années 1950, l’apparition de la télévision dans l’univers médiatique helvétique avait suscité l’émoi des milieux de la presse écrite et des annonceurs. Puis, un quart de siècle plus tard, on pouvait par exemple lire dans L‘Express que « les nouveaux médias exerceront une influence révolutionnaire sur les grands courants de la pensée, de l’art, de la culture et de ce qu’il est convenu d’appeler la civilisation. Pour que cette dernière ne dégénère pas en… anti-civilisation, la presse écrite devra s’allier étroitement aux nouveaux médias (…) ». Mais, lors de ce mois de juin 1980, quand le quotidien neuchâtelois annonce une « révolution » que les journalistes devront affronter, il est question de l’émergence du Télétext, du Télétel, du Videotext, des radios locales ou encore de la télévision par satellite.
Et aujourd’hui comme hier, les nouvelles formes de diffusion de l’information inquiètent en même temps qu’elles captivent le monde des journaux papier. En 1980, craignant notamment l’avènement de la télévision satellitaire, l’Association suisse des éditeurs de journaux accorde la priorité « à son action dans le domaine des nouveaux moyens et des nouvelles techniques d’information », se voulant « résolument tournée vers l’avenir. » Deux ans plus tard, la thématique des « nouveaux médias » constitue le cœur des discussions de son Assemblée générale à Baden. A cette occasion, son président Max U. Rapold, également rédacteur en chef du quotidien Schaffhauser Nachrichten, invite ses condisciples à « ne pas rester à l’écart de ce qu’on appelle les nouveaux médias » et les enjoint au contraire à « participer à leur mise sur pied ».
Tel-Sat: les éditeurs suisses se saisissent du satellite
Cette stratégie a d’ailleurs été prise au mot par une poignée d’éditeurs de journaux et de publicitaires romands et alémaniques. En effet, au mois de mai 1980, ils fondent Tel-Sat avec l’aspiration d’en faire la première entreprise suisse de télévision satellite. Trois ans plus tôt, lors d’une conférence de l’Union internationale des télécommunications, la Suisse et les autres pays membres de l’institution recevaient une position orbitale et cinq canaux de diffusion. Depuis, la course à la télévision satellitaire est lancée en Europe et rien ne semble bouger du côté de la SSR. L’objectif des promoteurs de Tel-Sat est donc de ne pas se laisser doubler par la concurrence nationale et internationale sur ce nouveau terrain médiatique et technologique.
A la tête de l’initiative, on trouve le genevois Jean-Claude Nicole, ancien patron du journal aujourd’hui disparu La Suisse. Lors de la conférence de presse durant laquelle il présente Tel-Sat au grand public, il conclut son intervention en ces termes:
Mais Tel-Sat ne verra pas le jour. Ses promoteurs n’obtiendront pas la concession nécessaire du Département fédéral des transports, de la communication et de l’énergie pour diffuser leurs programmes. Nous reviendrons certainement sur les raisons de cet échec. Quoiqu’il en soit, cette initiative démontre que la mobilisation de la presse dans le contexte de la digitalisation actuelle de l’audiovisuel n’est pas une exception: ces milieux sont depuis longtemps attentifs aux progrès technologiques qui traversent l’histoire des médias. Et ils tentent, bon gré mal gré, de ne pas se laisser dépasser par ces évolutions que l’on qualifie peut-être trop facilement de révolutions.
Références
Archives cantonales vaudoises, PP 888 101, Télévision par satellite (1980-1987).
Ursula Ganz-Blättler, Theo Mäusli, « Télévision » dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne.
« Grandeur de la servitude », L’Express, 6.6.80.
« Des problèmes de poids pour les éditeurs de journaux », L’Express, 8.11.82.
« Les défis de la presse à l’ère Facebook », Bilan, 6.9.16.