Entretien avec Jean Leclerc autour de l’avenir d’Histoire Vivante
Se déclinant à la fois sous la forme d’un documentaire historique à la télévision, de cinq émissions radiophoniques du lundi au vendredi et d’un article hebdomadaire dans La Liberté, Histoire vivante lie la mise en contexte d’un sujet d’histoire contemporaine ou révolue à l’éclairage spécifique d’un expert. A l’occasion du changement de sa case de programmation radiophonique, retour sur les spécificités de cette émission phare en Suisse romande avec son producteur Jean Leclerc.
Par François Vallotton, mars 2017.
François Vallotton : Depuis la rentrée, les fidèles d’Histoire vivante sur La Première ont eu la surprise de voir l’émission raccourcie d’une demi-heure et déplacée de sa case vespérale de 20 heures à celle du début d’après-midi. Quelles sont les raisons de ce changement et qu’implique-t-il au niveau de la réalisation de l’émission ?
Jean Leclerc : J’ai été informé de ce changement de grille l’été passé : les après-midi se voyaient refondus de manière importante et Histoire vivante devait revenir à une case horaire et à une durée qui étaient celles d’origine. Beaucoup de proches, mais aussi plusieurs auditeurs, contrariés par le nouvel horaire, m’ont demandé les raisons de ce choix. Je n’en sais rien et cela n’est pas de mon ressort.
Mais, au fond de moi-même, indépendamment de certaines difficultés liées au nouveau format temporel, je me donne un peu de temps pour parvenir à trouver un nouvel équilibre, ignorant si cette formule là va s’avérer, d’une autre manière, malgré tout efficace.
Par principe, 13.30 est infiniment mieux que 20 heures, même si l’écoute se faisait souvent en podcast. Le nouveau créneau permet de toucher un plus large public du fait aussi d’une durée allégée: cinq heures hebdomadaires – sans compter la reprise du dimanche – avait quelque chose de lourd. Lors de mes premiers entretiens raccourcis, j’avais un sentiment de frustration épouvantable, et puis il m’est venu à l’idée de faire deux entretiens avec le même invité (diffusés de manière espacée) en lui proposant une autre thématique que celle liée à une recherche personnelle. Cela me donne le sentiment de moins zapper avec la personne, de passer plus de temps avec elle, de «chauffer» l’interlocuteur qui est ensuite plus décontracté pour parler de son sujet.
Dans la nouvelle configuration, je dois davantage réfléchir à la manière dont je construis les entretiens, ne pouvant plus m’installer dans une conversation comme j’aimais à le faire. Je suis par exemple obligé de faire des relances en commençant par le nom de la personne afin de créer le fil soutenu d’une sorte de questionnaire. Je continue de tâtonner. Mais c’est intéressant comme exercice de style ; cela oblige à ne plus fonctionner par habitude et cela a donc aussi des bons côtés.
FV : Pour revenir plus globalement aux caractéristiques de l’émission, quel est l’apport de la voix de l’historien par rapport à la forme de communication écrite. En quoi la voix amène une plus-value pour l’auditeur ?
JL : C’est selon. L’historien n’est pas fait de prime abord pour développer un discours en studio, qui plus est devant un auditoire incomparablement plus nombreux que ce qu’il a l’habitude de connaître dans un cours ou une conférence. Il doit faire passer sa recherche par un canal très personnalisé et singulier. C’est un peu demander à quelqu’un d’arriver tout nu sur scène. Pour les gens rompus à l’exercice, les entretiens se ressemblent. Ils sont habitués à faire une minute ou dix ou trente; ce ne sont pas forcément les gens que je recherche, dans la mesure où des voix plus rares, moins «calibrées», m’intéressent davantage. Il y a des gens qui ont très peur et qui n’arrivent pas à se détendre, bien qu’on fasse un énorme travail de montage pour supprimer les hésitations et tout ce qui peut porter préjudice à l’invité. Il y a aussi des choses qu’on ne peut pas changer comme le timbre des voix. Certains parlent comme des trompettes ! Mais la voix peut aussi dans ces cas là porter des choses que l’écrit ne saurait traduire. Je prendrai un seul exemple : une hésitation. Celle-ci peut refléter, le temps d’un silence, une sorte de ruminement que l’on peut délibérément choisir de conserver au montage car il peut en dire très long aux gens qui écoutent et qui sont entrés dans le rythme de l’entretien. Un historien peut exprimer un doute… et expliquer la logique de son indécision; alors que quelque chose qui relève de l’hésitation relève d’une dimension qui n’est pas uniquement cartésienne, mais aussi émotionnelle.
FV : Histoire vivante a souvent été présentée comme une émission emblématique de la convergence, qui avait comme caractéristique d’être programmée aussi bien à la radio et à la télévision. Comment voir cette complémentarité, a-t-elle une raison d’être ou est-elle cosmétique ?
JL : Précisons d’abord qu’Histoire vivante existe depuis 2002, soit bien avant que l’on parle de convergence. Sur ce point, il n’y a évidemment aucune raison de ne pas croire qu’en mettant radio et télévision côte à côte les synergies ne soient pas positives. Il ne m’appartient pas de juger des bénéfices ou déficits de ce processus. Il faudrait surtout voir ce que le public en retient. Est-ce un fait acquis, en dehors des nouveaux logos ?
FV : Comment voyez-vous le devenir des émissions historiques dans le service public de demain ?
JL : Je pense que ce ne sont pas les émissions historiques, c’est le service public qui doit faire démonstration de son caractère irremplaçable. Le fait est que pour avoir fait cette série d’émissions sur le service public [diffusée en mai et en décembre 2016], les problèmes viennent plus de la télévision et beaucoup moins de la radio en termes de cote et de fiabilité, et pas seulement au niveau de la Suisse. La télévision est infiniment plus critiquée, largement plus concurrencée que la radio qui demeure un média très modeste. De par le fait de s’être trouvé accouplée, pour ne pas dire colonisée par la télévision, la radio se trouve entraînée dans les problèmes de la télévision. On se trouve indirectement menacés dans un conflit qui ne nous est pas adressés directement. Si la télévision est plus exposée, c’est avant tout parce que celle-ci est diffuseur ; elle diffuse des programmes qu’elle n’a pas fait autre chose qu’acheter alors que l’intégralité des programmes de la radio est constituée de productions propres et que du même coup elle peut beaucoup plus définir les objectifs auxquels le service public est attaché.