Signalons finalement l’article sur les publications en libre accès de la UCA qui propose toute une série d’ouvrage s’inscrivant dans le champ des études du cinéma et des médias et de leur histoire.
Kit Hughes, professeure en Visual & Media Culture à l’Université d’État du Colorado, a récemment publié l’ouvrage Television at Work: Industrial Media and American Laborchez Oxford University Press. La chercheuse y propose une autre histoire de la télévision en examinant son exploitation dans le cadre du travail, où le médium contribue à l’efficacité industrielle mais aussi à consolider certaines idéologies et au développement économique de l’entreprise. Ce déplacement du regard hors des industries médiatiques commerciales ouvre des perspectives intéressantes sur l’histoire de la télévision en permettant notamment de l’aborder comme une technologie de contrôle et de management.
Présentation:
Television has never been exclusive to the home. In Television at Work, Kit Hughes explores the forgotten history of how U.S. workplaces used television to secure industrial efficiency, support corporate expansion, and manage the hearts, minds, and bodies of twentieth century workers. Challenging our longest-held understandings of the medium, Hughes positions television at the heart of a post-Fordist reconfiguration of the American workplace revolving around dehumanized technological systems. Among other things, business and industry built private television networks to distribute programming, created complex CCTV data retrieval systems, encouraged the use of videotape for worker self-evaluation, used video cassettes for training distributed workforces, and wired cantinas for employee entertainment. In uncovering industrial television, the book reveals how labor architectures shaped by these uses of television were foundational to the rise of the digitally mediated corporation and to a globalizing economy.
Au début des années 1970, la vague de contestations de mai 68 connaît un « écho tardif » en Suisse romande. En parallèle, le magnétoscope portable fait son entrée sur le marché. Le sociologue suisse Alfred Willener, professeur à l’UNIL dès 1970, verra dans cet outil un contre-pied aux mass media et un terrain d’expérimentation pour la démarche sociologique tant sur le plan de l’enseignement que de la recherche.
Le début de l’année a vu la parution de l’ouvrage « Her Stories. Daytime Soap Opera and US Television History » chez Duke University Press. Signé par la professeure en Media, Cinema et Digital Studies à l’Université du Wisconsin–Milwaukee, Elena Levine, le livre propose une histoire culturelle et économique des feuilletons télévisés aux États-Unis, depuis leurs débuts à la fin des années 1940 jusqu’à leur déclin au 21e siècle. L’étude approche ainsi l’histoire de la télévision en croisant des questions industrielles, de genre, de génération et de race.
La chercheuse dit au sujet du texte sur lequel elle a travaillé pendant douze ans: « I started to realize that there was a story to tell here that would arch over all of television history from the 1940’s and 50’s up to the present. One of the things that led me to the focus of my book was in the late 2000’s, a number of daytime soap operas started to get canceled and there were four shows that were on for decades that got canceled between 2009 and 2012. It made me realize that there was a kind of an end to this story. »
Présentation de l’ouvrage:
« Since the debut of These Are My Children in 1949, the daytime television soap opera has been foundational to the history of the medium as an economic, creative, technological, social, and cultural institution. In Her Stories, Elana Levine draws on archival research and her experience as a longtime soap fan to provide an in-depth history of the daytime television soap opera as a uniquely gendered cultural form and a central force in the economic and social influence of network television. Closely observing the production, promotion, reception, and narrative strategies of the soaps, Levine examines two intersecting developments: the role soap operas have played in shaping cultural understandings of gender and the rise and fall of broadcast network television as a culture industry. In so doing, she foregrounds how soap operas have revealed changing conceptions of gender and femininity as imagined by and reflected on the television screen. »
Signalons par ailleurs que notre collègue de la Section d’histoire et esthétique du cinéma de l’Université de Lausanne, Delphine Chedaleux, proposait en 2019 un séminaire intitulé « Le soap opera et ses spectatrices : une approche par les cultural studies ». Elle prépare actuellement un ouvrage sur le soap opera que nous ne manquerons pas de relayer!
A la lumière des violences policières contre la population afro-américaine aux États-Unis, et du mouvement international Black Lives Matter qui mène une lutte acharnée pour combattre ces violences, nous publions ici des documents issus des archives télévisuelles. Ceux-ci éclairent l’histoire des luttes anti-racistes et anti-impérialistes américaines et leur représentation à la télévision en Suisse .
Après l’entretien réalisé dans l’émission La Voix au chapitre en 1975 avec Angela Davis, nous poursuivons la série avec la présentation d’une émission réalisée en 1973 par la TSR sous le titre Black is Beautiful. En plus d’être une redécouverte d’une production télévisuelle largement oubliée, cette émission fait directement écho aux vifs débats qui ont accompagné très récemment l’Arena sur la SRF – la version suisse allemande d’Infrarouge. En porte à faux avec les déclarations de bonnes intentions de la part de ses producteurs, cette émission a permis la diffusion d’un discours discriminatoire et niant les problèmes structurels de racisme quotidien que les personnes de couleur rencontrent toujours en Suisse. Ayant ainsi trahi son objectif de donner la voix aux personnes concernées par le racisme, la SRF a programmé une deuxième discussion censée corriger le discours porté par le premier débat télévisé.
Black isBeautiful, 17 mai 1973: « Des Noirs parlent des Noirs »
Diffusée le jeudi 17 mai 1973 à l’heure du prime time, de 20h15 à 22h45, Black is Beautiful fait partie d’un nouveau format d’émissions promu sous le titre Grand Soir. Une première émission-test, dédiée à l’Irlande, a été diffusée en août 1972; Black is Beautiful est présentée comme la « véritable première édition de cette nouvelle émission ».
La spécificité de Grand Soir consiste à réunir des productions de genres divers – spectacle, variété, informations – autour d’une seule thématique. Celle-ci est ainsi explorée sous de nombreux angles pendant deux heures et demie. Chaque volet propose de mobiliser « plusieurs moyens de la télévision »: le reportage, le direct, le plateau… Le second volet de Grand Soir est diffusé le vendredi 2 novembre 1973 et est entièrement dédié au sujet de Folie, ma soeur; en avril 1975, la TSR se penche sur le sujet Vivre son corps, alors qu’en 1976, lors de la dernière mouture, une soirée est dédiée à la musique.
Le réalisateur de Black is Beautiful, Raymond Vouillamoz, revient sur les ambitions du concept quelque peu expérimental dans un article publié à l’occasion du second volet de Grand Soir, en novembre 1973. Il explique:
« Trop souvent, la télévision sert uniquement de véhicule aux moyens d’expression classiques tels le journalisme, le cinéma ou le théâtre. Or, nous pensons que la richesse technique et la souplesse horaire dont dispose la télévision lui permettent, tout en empruntant à des domaines connus, de rechercher un langage spécifique. Avec « Grand Soir », nous essayons d’explorer toutes ses possibilités. » (Radio TV – Je vois tout, 25 octobre 1973)
La première partie de Black is Beautiful mélange ainsi des débats en direct sur le plateau, des intermèdes de danse contemporaine, de musique folk et des performances de théâtre auxquels s’ajoutent des reportages enregistrés. Outre l’envie d’expérimentation qui caractérise l’émission et qui la rend précieuse d’un point de vue de l’histoire des programmes de la RTS, c’est sa thématique et sa mise en scène qui la rendent particulièrement pertinente dans le contexte actuel. Sur le plateau du journaliste Pierre-Pascal Rossi se réunissent des invité·e·s illustres: l’écrivain James Baldwin, le chanteur Richie Havens, Ernst Morgan, danseur et chorégraphe, Eleanor Hicks, consule des USA à Nice et première femme noire à avoir accédé à ce poste, Stanislas Spero Adotevi, philosophe, Albert Tevoedjre, sous-directeur général du Bureau international du travail, Jean-Pierre N’Diaye, sociologue, Maryam Maxim, comédienne. L’émission s’ouvre sur un gros plan de Maryam Maxim qui cite un texte de Stanislas Spero Adotevi tiré de son ouvrage Négritude et Négrologues :
Le nègre n’est pas une couleur, c’est une valeur. Le nègre qui n’a pas foi dans la réhabilitation de sa race n’est pas un homme. Black is Beautiful.
S’enchaînent ensuite des interventions en direct d’artistes et d’intellectuel·le·s présents sur le plateau ainsi qu’une série de reportages organisée autour des trois thématiques: servitude, choc de deux cultures et libération. Dans toutes ces réalisations, une large place est donnée aux personnes noires et à leurs expériences aux États-Unis et en Europe. Si certains éléments de l’émission nécessitent un regard critique – je pense en particulier à l’utilisation à des fins décoratives de l’art africain dans le studio qui rappelle l’héritage colonial des musées occidentaux – la réalisation de la TSR est remarquable dans sa manière de faire une place aux artistes, intellectuel·le·s et figures de la vie politique noir·e·s :
Arena, 12 juin 2020: « Jetzt reden wir Schwarzen »
A travers ses thématiques, Black is Beautiful aborde ainsi non seulement des sujets tels que le racisme ou les inégalités structurelles qui en découlent, mais honore également sa devise « des noirs parlent des noirs » en ouvrant le plateau à des femmes et hommes noir-e-s.
Le 12 juin 2020, suite au meurtre de George Floyd et au mouvement BLM qui prend de l’ampleur dans les villes suisses, l’émission Arena de la SRF emprunte ce même titre, « Jetzt reden wir Schwarzen », maintenant, nous les noirs parlons. Déjà en amont de l’émission, toutefois, de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux dénoncent la composition des invité·e·s qui ne respecte pas le slogan choisi, et dont la photographie de plateau rend compte au premier coup d’oeil:
Sur le devant de la scène discutent outre le présentateur Sandro Brotz (au milieu): Andrea Geissbühler, conseillère nationale UDC et policière; James Foley, représentant du parti des républicains américains et supporter de Trump; le comédien Kiko et la conseillère nationale PS Samira Marti. Placées sur les bancs du public (absent en raison du COVID-19) en arrière-fond figurent Angela Addo, membre de la JUSO et militante dans le mouvement Black Lives Matter et Gabriella Binkert, UDC. Manuel Obafemi Akanji, footballeur, intervient via un entretien enregistré. Ainsi, 3 des 4 interventant·e·s principaux sont blancs; la parole des personnes de couleur est littéralement reléguée à la marge. Au lieu de faire une place aux expériences des personnes noires en Suisse, on entend avant tout les voix privilégiées de personnes blanches niant tout problème de racisme ou d’inégalités structurelles. Ainsi, Andrea Geissbühler proclame qu’ « aucun membre de l’UDC n’est raciste ». James Foley s’était déjà fait un nom en 2016 sur le site watson.ch lorsqu’il proclamait qu’Obama n’était pas américain puisque son certificat de naissance était falsifié.
A la suite de l’émission, 130 plaintes sont déposées auprès de l’Ombudsman de la SRF. Dans la presse et sur les réseaux sociaux, les critiques fusent quant aux nombreux problèmes soulevés par la conception même de l’émission. Face à ce désastre politique et institutionnel, Sandro Botz s’excuse publiquement de l’échec de son émission et organise une deuxième mouture le 19 juin 2020, avec cette fois exclusivement des invité·e·s de couleur.
L’émission Arena de juin 2020 représente ainsi un cas d’école à la fois des préjugés et discriminations racistes qui persistent en Suisse et de l’importance des résistances contre cette forme d’oppression. Le détour via les archives de la télévision suisse permet un éclairage historique de ces débats et nous fait découvrir une réflexion sur la représentation des questions raciales à la télévision qui, presque 50 ans après, n’a malheureusement en rien perdu de son actualité.
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Un grand merci à RTS Archives, et en particulier à Marielle Rezzonico, pour la mise à disposition du clip de Black is Beautiful.
L’historien de la culture visuelle et des médias à l’Université de Toronto, Brian R. Jacobson, a dirigé un ouvrage qui est paru ce mois chez University of California Press. Intitulé In the Studio. Visual Creation and Its Material Environments, l’ouvrage se propose de penser la diversité des significations et enjeux que revêt le studio, « at once, material environments and symbolic forms, sites of artistic creation and physical labor, and nodes in networks of resource circulation ». Ce faisant, le volume aspire à démontrer que, « when we foreground these worlds, we gain new insights into moving-image culture and the dynamics that quietly mark the worlds on our screens. »
Notre collègue Anne-Katrin Weber a contribué à l’initiative avec le chapitre « Ephemeral Studios: Exhibiting Televisual Spaces during the Interwar Years ». Elle y montre comment le studio était un élément central dans les modalités de présentation de la télévision dans les exposition et foires de l’entre-deux-guerres.
« Contrary to permanent studios, exhibition’s studios were built to be disassembled: their ephemerality corresponded to the exhibition’s own temporality as a fleeting event for the celebration of consumer culture and new technology » souligne l’historienne de la télévision dont la contribution permet un éclairage nouveau sur l’histoire du média et sur la manière dont son identité s’est construite avant qu’il ne devienne un media de masse.
L’historien Thibault Le Hégarat a lancé en 2018 une série de podcasts sur l’histoire de la télévision française. Ce docteur en histoire contemporaine, enseignant et spécialiste de l’histoire culturelle de la télévision partage depuis plusieurs années ses connaissances sur le média par le biais de formats originaux.
Dans sa série de podcasts Aujourd’hui à la télévision, l’historien présente les programmes de la télévision d’une journée entière, quelque part entre 1949 et 2018, et dans un ordre aléatoire. Le site propose par ailleurs une transcription de chaque épisode pour les personnes sourdes et malentendantes.
« Les relations entre sport et télévision apparaissent de nos jours aller de soi. Il n’en a pas toujours été ainsi. Retour sur le cas suisse des années 1950 et 1970, une période que l’on pourrait qualifier de « proto-histoire » du football dans les programmes TV de la SSR. Car si les grands changements en matière de retransmission interviennent dans les années 1980-1990, ceux-ci prennent appui sur la coopération mise en place 30 ans plus tôt. »
A la lumière des violences policières contre la population afro-américaine aux États-Unis, et du mouvement international Black Lives Matter qui mène une lutte acharnée pour combattre ces violences, nous publions ici des documents issus des archives de la RTS éclairant l’histoire des luttes anti-racistes et anti-impérialistes américaines, ainsi que leur représentation à la Télévision suisse romande.
Nous commençons cette série avec l’entretien d’Angela Davis diffusé le lundi 9 juin 1975 dans l’émission La voix au chapitre. Cette émission culturelle d’une demie-heure, à l’antenne de 1971 à 1980, donne la parole principalement à des personnalités du domaine littéraire. L’invitation d’Angela Davis fait suite à la publication, en 1974, de son autobiographe, traduite l’année suivante en français et publiée chez Albin Michel.
Loin de l’entretien promotionnel accompagnant la sortie d’un nouvel ouvrage, Angela Davis propose ici une analyse de l’histoire des luttes des populations noires aux États-Unis, une réflexion sur les liens entre marxisme et féminisme et l’importance d’une analyse intersectionnelle de ces problématiques, ainsi qu’un bref retour sur son parcours universitaire, dont une partie s’est déroulé en Europe.
Un mois avant cet entretien, les lectrices et lecteurs de Radio TV Je vois tout, le magazine officiel de la SSR, publie un article d’une page accompagnée d’une photo de Davis au poing levé, geste iconique des membres du parti des Black Panther. Retraçant sa trajectoire de sa naissance en 1944 à Birmingham aux années révolutionnaires, l’article souligne également en quoi l’ (auto-)biographie de cette militante, intellectuelle et auteure afro-américaine demeure d’actualité – et ceci encore aujourd’hui:
Si le cas retentissant d’Angela Davis a pu faire oublier à l’opinion publique que les prisons américaines sont peuplées de prisonniers politiques noirs – qui y ont connu et y connaissent des sorts plus tragiques que le sien – elle se charge de le rappeler en les intégrant très largement dans cette autobiographie de militante. Ces condamnés s’ajoutent aux «frères de Soleda» qui font partie et sont à l’origine de «l’affaire Angela Davis».
Depuis mars 2020, le podcast Histoire en séries propose de décrypter une série à la lumière des sciences humaines et historiques. Chaque semaine, un ou une universitaire met en perspective une oeuvre culturelle choisie.
Le podcast s’ouvrait par exemple avec une discussion sur la cultissime Game of thrones avec l’historien Florian Besson et la spécialiste du médiévalisme et de la fantasy Justine Breton. La série française Marseille, fait quant à elle l’objet des réflexions de l’historien Hayri Özkoray alors que l’Inde coloniale d’Indian Summers est commentée par la doctorante Sara Legrandjacques. N’oublions pas l’épisode dédié à la mini-série Chernobyl, durant lequel la spécialiste de l’histoire soviétique Julie Deschepper parle notamment du fonctionnement social de l’URSS des années 1980 et des enjeux de mémoire actuels de la catastrophe. Pour finir, signalons l’émission sur la toute récente mini-série Unorthodox qui s’intéresse à la communauté juive ultra-orthodoxe de New York. Elle est décryptée par Sonia Goldblum, maîtresse de conférences à l’Université de Haute-Alsace et spécialiste du judaïsme.
Et puisqu’il est question de l’analyse de productions audiovisuelles par des historiens et historiennes, mentionnons quelques épisodes récents du podcast Paroles d’histoire dédiés à plusieurs films, à l’instar de ceux sur Dunkerque, Titanic, Un Peuple et son Roi, Rambo, Excalibur, etc. Mais aussi sur le long-métrage helvétique Die Göttliche Ordnung (L’Ordre divin, 2017) sur la lutte pour le droit de vote des femmes en Suisse.